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Chemins

Je vous conseille de vous baigner dans la musique de la "caresse du perdant" (envoi par mail) pour lire ce texte. C'est cette caresse qui a su faire naître ces mots là. Je remercie donc Chamylia pour l'inspiration qu'elle me procure.
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Le sable sous mes pieds, ce même sable qui me brulait la plante des pieds à l’automne de mon enfance. Ce sable dont j’ai depuis trop rarement foulé le grain. J’aime m’envoler dans ces vastes dunes d’or, lorsque la lumière décline et que le bord de mer est tout à moi. J’ai toujours apprécié être seul ici, rêver à ce qu’il pouvait y avoir de l’autre côté de cette mer, rêver aux autres enfants du bout du monde. Je marche le long de la ligne d’eau, l’écume échouant contre mes pieds me rappelant la caresse des saisons estivales quand, tout frais de ma presque puberté, nous ne pensions qu’à nous amuser, moi et les copains. Nous avions pour nous la confiance que l’on accorde aux garçons et nous nous sentions déjà grand assis sur nos bicross, le torse nu et doré, seulement vêtus de nos maillots de bain. Nous filions le long de la route qui mène au phare, longeant les canaux bordant cette Camargue secrète et interdite, nous dépassions les manades du bord de route en nous bouchant le nez pour ne pas succomber à l’odeur forte des chevaux blancs et gris, et nous filions fier comme des hommes la canne à pêche rivée au cadran de nos destriers. Le vent caressait nos jeunes peaux, aujourd’hui je me rappelle encore de cette sensation de liberté, c’était sans doute la première fois. La pêche n’était pas des plus miraculeuses mais quelques anguilles avaient bien voulu se laisser charmer par nos frêles hameçons. Nous étions rentrés fiers de nos quelques prises, montrant à nos mères le butin gagné de haute lutte lorsque le poisson s’était mis à s’agiter en tout sens et que comme des hommes il avait fallut le saisir fermement et l’assommer contre le rebord de la vanne. Je ne saurais dire qui était le héro de cet exploit, de fait je crois que nous nous le sommes tous approprié. Petits hommes solidaires et rêveurs que nous étions. Oui c’était ce même sable, cette même Camargue, et aujourd’hui si peu de choses ont changé ici que je me sens chez moi à chaque fois que je viens.

C’est à chaque fois la même histoire, que je sois seul ou pas, je m’envole vers mes souvenirs, fermant les yeux et profitant de ces instants uniques que la mer à su rendre possible. Lorsque le mois d’août était à son apogée nous courions tout notre saoul pour traverser le désert brulant et rejoindre le sable frais. Chacun avait sa technique, moi j’essayais de courir comme je pouvais sur les talons pour n’offrir à la morsure du sable que la corne de mes petits pieds d’indien courageux mais pas téméraire ! S’en suivaient de longues journées de soleil à s’activer entre enfance et adolescence, à regarder les plus grands, qui ne l’étaient finalement pas beaucoup plus que nous, à jouer au volley ou au foot. A les regarder en compagnie de ces jeunes filles à la peau hâlée, les regarder draguer sans trop savoir pourquoi je les regardais. Je me souviens de cette barrière légendaire qu’il nous était impossible de franchir, nous en parlions souvent en nous raillant les uns les autres, en inventant des histoires sur ce qu’il se passait là bas, là-bas où il fallait être nu pour pouvoir fouler le sable de la plage. Nous nous inventions des excursions immergés tels des requins dans l’eau, nous échappant à l’attention de nos parents pour nager plus à l’est et sans jamais immerger volant des images de corps nus, des corps qui n’étaient que sirènes et jamais mâles. Avouerais-je n’avoir jamais foulé ces rivages là ? C’est comme si je m’attachais un peu à mes rêves d’enfant, préférant imaginer la vie de cette plage interdite plutôt que de découvrir la vérité.

Finalement le temps passe et nous restons toujours un peu les mêmes. Est-cela que nous étions venu chercher mes meilleurs amis et moi lorsqu’à l’orée de nos vingt ans, la vie encore devant nous, tous trois nous nous étions mis à nu sur cette plage de septembre déserte. Amis pour la vie, amis même nu, même pas cap. Qui avait dit ça ? Je crois que personne ne l’avait dit, mais c’était bon de se sentir si proche, alors nous avons vécu cette scène improbable qui nous avait bien fait rire dans ce film ovni. Et nous avons courus dans les dunes, ivres de joie et d’amitié. J’y suis revenu encore d’autres fois, y emmenant des gens qui venaient de loin, leur montrant un peu du mystère du Rhône et de la mer. Il y a même eu ce jour de tempête où le vent soufflait si fort, il n’y avait plus de plage, les vagues mordaient doucement le pied des grandes dunes, j’ai marché pieds nus ce jour de novembre, il pouvait bien faire froid, il pouvait bien pleuvoir, personne ne m’enlèverait ce rendez-vous avec moi-même. Le sable me piquait les chevilles par grande bourrasque, moi je faisais corps avec cet espace de liberté, mélangeant l’Andalousie avec cette Camargue dont je ne sais rien. Imaginant les gens de ce pays fier, humble et pauvre. J’aurais aimé naître andalou ou gitan, est-ce cette image de force et de fierté qui me paraît si belle ? Est-ce ce que j’aurais aimé être ? Cette plage est belle à l’été comme en hiver, elle cache ce qu’elle a de plus secret car l’on ne voit d’elle que ses étendues de sable et ses dunes dégarnies. Pourtant derrière cette quiétude apparente, il y a les méandres du Rhône, les salins, les rizières, la beauté sauvage de ce qui est inaccessible

Je suis bien ici. Je suis bien assis sur ce sable, les genoux repliés contre moi. Mes bras servant d’arceaux à mes jambes pour les maintenir tout contre moi. Regardant l’horizon de cette mer d’encre, une mer paisible, j’ai l’impression de vivre un conte de fée, j’ai l’impression d’avoir vécu le voyage de Chihiro, d’être ce dragon qui trouve enfin la paix. J’attends que le soleil décline, que la lumière du jour se fasse douce. Je l’attends, elle, sans savoir l’heure, sans savoir si elle sera à mes côtés. Je refais ce chemin de mes pas inscrits dans le sable. Des pas d’enfant, des pas de garçon, des pas d’homme et je suis là à nouveau suivant mes traces et les découvrant sans cesse. Il ne fait pas très chaud ici, mais mon esprit n’a que faire des frissons de mon corps. Il s’en nourrit, il souhaite que ces frissons laissent place à la chaleur de son corps. Il souhaite même avoir très froid. Alors ces frissons deviennent miracles quand ils lui permettent de rêver encore d’elle. Les minutes passent doucement, j’ai laissé ma montre, je ne voulais pas prendre la mesure du temps, je voulais me perdre. Me perdre en quoi ? A nouveau ce petit garçon qui me dit qu’il n’a que faire de l’heure, le soleil et la lune lui suffisent, il saura bien lorsqu’il sera temps de rentrer. Je saurais bien lorsqu’il sera temps de revenir à la ville, de retrouver le rythme et de conserver mes rêves. Alors je rêve.

Je rêve qu’elle est là. J’entends ses pas sur le sable. Je sais que c’est elle, je sais que c’est son aura qui m’embrasse, qui me berce. Je ne cesse de regarder le flot des petites vagues qui grimpent sur la pente, redescendant toujours, lissant le gris du sable dans un mouvement perpétuel. Elle pose sa main sur mon épaule sans s’offrir à ma vue. Je rêve de paix. Elle m’offre cette paix. Existe-t-elle seulement dans mes rêves ? Est-ce bien le touché d’une main qui réchauffe mon épaule ? Est-ce seulement mon rêve ? Alors elle s’assoit à mes côtés, se met à regarder elle aussi l’horizon, partageant mes pensées comme mon silence. Elle se matérialise à moi, et cela me semble si naturel, c’est ainsi que je la voulais apparaître et c’est ainsi qu’elle est. Fallait-il craindre cet instant où je serai enfin cet homme construit si lentement au fil des étés ? J’ai ce soir l’impression d’être un homme, un homme qui saisit la main d’une femme, une main chaleureuse, une main aimante. Je ne me pose pas de question et me laisse envahir par cette immensité, la laissant pénétrer en moi calmement, laissant les vagues progresser en moi. Il y a le bruit apaisant de la mer et l’horizon rayonnant qu’elle m’offre. Il y a l’étendue de sable fin et doux tout autour, il y a derrière les dunes la nature sauvage de la Camargue. Je serre sa main, la porte à mes lèvres et lui baise chacun des doigts. Quatre baisers pour lui dire qui j’ai été. Un enfant discret et rêveur. Un adolescent timide et triste. Un jeune homme ambitieux et sincère. Un presque homme perdu en lui-même. Un baiser pour lui dire que je suis cet homme.

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