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Le parquet

J’ai pris soin d’ouvrir en grand les rideaux du salon. Il fait nuit et pourtant c’est comme si nous étions au grand jour. Pleine lune ? Non, nuit blanche. Nuit blanchie de la poudre inhalée, nuit autrement blanche. Les flocons se sont figés sous la douceur du froid et le ciel illuminé par la grande ville rose se teinte d’une roseur de jouvencelle. Le parquet laisse éclore sous mes pas la complainte de nombreuses décennies. Il est sombre et contraste avec cette ambiance de bal masqué. Des vies se sont épanchées sur ces lames de bois, nombreuses, sans doute. J’aime croire que des amants s’y sont aimés avec douceur parfois, avec violence d’autres fois, oscillants entre amour et haine, pudeur et décadence. Des vies qui ont laissé toutes ces traces visibles ou invisibles. Entre toutes ces lattes imparfaites, rayées par des objets d’hommes et de femmes, il reste forcément un peu de l’essence d’hommes et de femmes inconnus. J’ai la même pensée lorsque je regarde la grande poutre aux siècles passés et que mon regard se pose sur l’anneau qui y est apposé. Servait-il au même jeu que celui auquel il m’arrive de jouer de temps à autres dans la chambre de bonne de notre immeuble bourgeois lorsque nos humeurs se font badines ? La réponse importe peu, ce qui compte c’est l’idée que je m’en fais, et cette idée me plait.

Mon regard et ma conscience du monde se troublent d’une vision blanche, mon oreille écoute la symphonie du parquet. Je ne bouge pas, et pourtant des craquements viennent jusqu’à moi. Je lui avais dit de ne pas faire le moindre geste, même le plus infime. J’avais envie qu’elle soit faite de faïence vierge et immaculée. J’aurais aimé la voir allongée nue à même le sol, dehors, elle aurait fait une très belle pucelle immaculée de neige, j’aurais aimé que le ciel l’ensevelisse sous sa trame éphémère, j’aurais invité quelques badauds, cela aurait fait un bel et étrange happening. Mais je n’aurais pas aimé qu’elle attrape la mort, j’ai préféré l'agenouiller toutes lumières éteintes sur ce vieux parquet que personne n’a jamais songé à vitrifier. A-t-il été posé par des raboteurs semblables à ceux de Caillebote ? Ont-ils sués leur pain et leur vin à lustrer ce sol bourgeois. Ce parquet a-t-il donné souffrance semblable à celle que je lui fais endurer nue, bien au chaud à l’abri des fenêtres dénudées des tentures ?

La encore, la réponse ne m’importe pas, ce qui me plait c’est de l’imaginer. Ces pensées transverses m’excitent. Je me fais mon cinéma en relief. Cette fois le parquet craque plus régulièrement, je me retourne et la contemple comme si j’étais installé derrière l’une de ces fenêtres voisines qui cache peut être un homme ou une femme complice de son spectacle. Je vois qu’elle s’impatiente. Ses genoux doivent lui faire mal, ils commencent à croire que le bois se transforme en béton brut et méchant. Et plus cette pensée l’envahit, plus le maintien de la position l’incommode. Je sais que cette situation n’est pas pour lui déplaire, je sais que l’hypothèse de sa possible exhibition se mue comme une main posée sur son sexe. C’est une chaleur qui l’envahit lentement, elle se répand en elle comme des langues de laves épaisses et denses, une intrusion, un viol de la pudeur inculquée. J’épie son instabilité, je guette les mouvements que cela déclenche entre ses fesses, entre ses cuisses. Elle doit avoir pris conscience de la fragilité de sa position comme de l’incongruité malhonnête du spectacle qu’elle a accepté de donner en connaissance de cause.

Je marche vers elle, la longe en posant ma main sur sa nuque pour descendre vers son cul, chuter vers son sexe. J’introduis en un geste majeur jusqu’à la phalange presque aspiré par la moiteur de son intérieur chaud et liquide. Satisfait de l’effet et du souffle entendu, je la claque comme un écho au parquet de chêne. Ses épaules se crispent dans l’infime temps qui suivra le son produit. Ses omoplates ont suivi un mouvement comme les passagers d’une voiture qui stopperaient sa course violemment, les genoux arrimés au sol, le buste partant vers l’avant jusqu’à ce que la ligne d’épaule rompe la projection comme une barrière invisible. Je suis satisfait. Je m’installe dans le lourd fauteuil anachronique. Je pose mon pied sur la ligne droite de son cul. J’imprime un mouvement léger de poussée jusqu’à entendre grincer le parquet, une musique d’émois intemporels. J’ai l’idée d’un rockingchair, une existence pieuse et perverse, comme un bon feu de cheminée qui derrière le cliché du home sweet home évoquerait à moi et à elle seuls un home heat, home wet.

Un aller retour. Une poussée, puis un retour en position. Une poussée, un lâcher prise. Une poussée, une musique. J’introduis par moment mon pied dans sa chatte. J’aimerais un jour le voir disparaître, sentir ma cheville emprisonnée comme mon poignet l’est parfois. Bien qu’il me plait beaucoup de sentir cette résistance qui se produit lorsque tous mes orteils sont en elle. Il ne me manquerait plus qu’un verre de whisky écossais au goût de tourbe pour me croire dans un joli cottage isolé et perdu au bout du monde. Mais il risquerait de me faire perdre mon emprise, bien qu’il ne manquerait pas d’ensorceler encore un peu plus la possession enivrante de mon sexe tendu. Je regarde ce sexe qui me scrute de son cyclope, je regrette de ne pas être contorsionniste, je pourrais me sucer et j’aimerais, bien qu’évidemment je n’aurais jamais le talent de ma musicienne parquétiste. Voilà qui me fait lui demander de se tourner. Pas gentiment, pas de s’il vous plait. Juste un ordre. « Tourne-toi ». Le parquet se met à nouveau à grincer. Ces musiques domestiques commencent à me faire regretter les lits anciens. Où est passée la musique des vieux ressorts miteux ? Mais je n’ai pas tout perdu, c’est un autre ressort qui s’enclenche dans ma mécanique toute personnelle. Ce n’est pas mon pied qui disparaît en elle, c’est ma queue. Ça n’est plus la neige qui ensevelit le monde qui m’entoure, c’est exactement l’inverse, c’est le monde, son monde, notre monde qui me fait disparaître et sombrer d’extase jusqu’à venir neiger sur sa langue douce et vertueuse du bout du monde. 

 

Commentaires

  1. Trop "embourgeoisé" pour un porno allemand des 80's mais pas mal dans son genre.

    Vendredi soir, c'est repos de la cervelle ;)

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  2. Qu'est-ce que j'aime me perdre dans vos mots. Ce texte est magnifique, fort, troublant... J'aime, infiniment.

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  3. comme ange solaire...
    j'ai vu cette pièce, cette position et j'aime senti l'odeur du whisky ...
    ces mots emportent aussi bien qu'un paysage nocturne enneigé citadin...
    je t'embrasse

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  4. Très déçu que mon message ait disparu dans les limbes de la toile parce que je n'arrive pas à retrouver les mots décrivant mon sentiment après vous avoir lu.
    En tout cas, je me suis laissée emporter par ces mots et l'ambiance de ce huis-clos.

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  5. @ Gaïann, si vous voulez du porno façon 70-80's j'ai aussi ce qu'il vous faut en stock !

    @ Ange Solaire, au vu de votre savoir en matière de littérature, je prends goût à rougir lorsque vous commentez sur mes pages. Sourire

    @ Dita : confidence : mois le whisky c'est pas ma tasse de thé, le thé non plus d'ailleurs :D

    @ Noosicaa : si ça vous revient, je me dis que vous n'oublierez pas l'adresse. Ravi que cela vous ai plu.

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  6. je n'aime pas le whisky non plus...mais je suis sûre qu'on trouvera une boisson que nous pourrons partager ensemble :)

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  7. J'ignore si mon savoir en littérature est particulièrement grand, mais je sais que j'aime vos mots, vos images... J'aime leur sensualité, leur chaleur... Depuis quelque temps, il n'est pas rare que je me dire "j'aurais aimé avoir écrit cela" en vous lisant...

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  8. @ Dita : un bon vin, nous le savons.

    @ Ange Solaire : Là vous me rendez fier ! et ma foi j'aime bien provoquer en vous cette jalousie là ! :D

    Bon week end à vous deux

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  9. Votre texte magnifique ne m'a pas laissé indifférente.
    J'ai fait l'exercice de vous oublier, d'oublier vos mots, d'oublier les sensations qui m'avaient parcourues, d'oublier tout simplement afin de voir si en vous lisant (et je ne dis pas re-lire), je retrouvai les sensations de la première fois, j'arrivai à trouver les mots à mettre sur les sensations, à moins que ce soit les sensations à mettre en mots.
    Vous êtes toujours là, je ne vous ai pas perdu ?
    Hier, on me parlait de souvenir. Je pense que l'on peut pas oublier les premières sensations, cela reste toujours un souvenir, surtout quand il fut des plus agréables.
    Après avoir marché au froid, la tête pleine des soucis du travail, du quotidien, vous lire a ouvert une porte où s'évader l'esprit léger et m'a réchauffé, dans tous les sens du terme.
    Au fur et à mesure de vos mots, j'ai pénétré ce huis-clos, cette pièce à l'aura si particulière selon votre description. J'entendais dans cette pièce vide résonner vos pas, résonner la claque, le feu dans la cheminée, les flocons de neige caresser les vitres, et vos mains son corps...

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  10. Quel beau parquet !
    (commentaire détaché pour ne pas dire que ce texte m'a attachée !)

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  11. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  12. (Je suis désolée, je relis mes deux derniers commentaires en vos pages et j'y vois d'affreuses coquilles... Vous voyez bien que vos mots sont troublants: j'en perds mon français... Et c'est drôle, cette histoire de fautes, ça me fait penser aux tout premiers messages que nous avons échangés il y a bientôt deux ans... Vous souvenez-vous de la métaphore de la tache de spaghetti?)

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  13. @ Noosicaa : Je suis toujours là et je crois avoir suivi. Sourire. Je suis ravi que ce texte puisse vous avoir diverti pour vous faire voyager jusqu'à ce beau parquet (dixit Alice). Il me semble par contre que votre esprit vous a jouer un sacré tour, il a ajouté au décor la cheminée qui ne figure pas dans le texte (ou alors c'est mon esprit qui a effacer la cheminée). MES pas ? MES mains ? Vous croyez vraiment que vous m'avez vu ?

    @ Alice : vous vous y connaissez en parquet ?

    @ Ange Solaire : Si chacun de nous devait réaliser un gage pour une faute d'étourderie, on ne s'en sortirai pas ! Moi le premier. Par contre, il va falloir m'en donner un car je ne me souviens malheureusement pas de cette tâche de spaghetti... vous m'aidez ?

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  14. Je vous ai relu plusieurs fois persuadée d'avoir entendu crépiter le feu dans la cheminée...

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  15. Pour ce qui est de vous avoir vu ...

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  16. Un gage? Naaaaah! Vous avez déjà une dette envers moi (vous vous souvenez de ce récit que vous aviez promis d'écrire pour moi?), alors je n'en rajouterai pas...

    Dans nos premiers échanges, je vous racontais une métaphore que j'utilisais avec mes élèves et qui expliquait l'effet qu'avaient les fautes dans un texte... Je vous renverrai le courriel, si vous voulez... :)

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  17. Avec la coupe mulet? :-)

    http://www.youtube.com/watch?v=5wtZX1i6OYc

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  18. @ Noosicaa : Dois-je en conclure que pour la cheminée, cela signifie que votre idéal vous pousse à vous allonger sur une peau de bête ? Moi quand on me parle de soirée en tête à tête devant une cheminée, j'ai toujours une image de Santa Barbara, une scène où Eden Capwell est allongée sur une peau de bête aux côtés de Cruz Castillo devant le feu d'une cheminée d'un chalet perdu dans les rocheuses. Dois-je en conclure que c'est un idéal inconscient ? Si oui, c'est que mon idéal est kitsh !

    Et donc, pour ce qui est de m'avoir vu ?

    Je me demandais si votre Noosicaa avait un lien avec Miyasaki, à voir votre voisin Totoro, j'en conclus que oui.

    @ Gaïann : Clerks n°2, j'avais adoré le 1, je viens de découvrir une scène du 2. Merci. Mais les porno revival, c'est mieux sans mulet. Le lien, ici : http://cadencesensuelle.canalblog.com/archives/2010/01/28/16701846.html

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  19. @ Ange : C'est gentil de ne pas m'accabler davantage. Je me souviens très bien de ma promesse, de fait ce message où nous avions convenu de la première fois à écrire est toujours dans la page d'accueil de ma messagerie. Cela signifie que je n'ai pas renoncé, ni oublié d'ailleurs.

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  20. @ Ange : et maintenant, je me souviens de cette anecdote. Une faute d'orthographe c'est comme une tache de sauce tomate provoquée par des spaghetti. Ça gâche toujours un peu le plaisir en somme.

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  21. Je savais bien, au fond, que vous n'aviez pas oublié... Et je suis heureuse de lire que vous n'avez pas renoncé... Merci. :)

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  22. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  23. @ Ange Solaire : lorsque je promets, je ne renonce jamais.

    @ Coco : Le plaisir est partagé, vous devriez tout de même le lire ce texte, il pourrait bien vous plaire.

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  24. Je découvre votre espace et funambule je me penche sur vos mots .Quelle belle narration , j'aime quand le parquet chuchote une histoire qui trousse l'esprit autant que la chair .

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    1. A mon tour de vous souhaiter la bienvenue.
      Il n'y a plus grand monde qui passe dans ces eaux là, mais ma foi cela me convient parfaitement.
      ... et merci :)

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