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En terre morte

Ici, il ne se passe rien. Rien d’intéressant. Rien qui ne vaille la peine d’en parler à qui que ce soit. À qui pourrais-je bien parler d’ailleurs ? Je ne sais même pas si c’est une vie de passer ses journées dans cette plaine déprimante. C’est à peine si quelques arbres viennent ponctuer le paysage. Ça sent la terre grasse, noire et fertile, une odeur qui imprègne, une odeur visqueuse qui épanche doucement ses relents acres. Parfois la pluie fait remonter des odeurs plus malsaines encore, comme si la terre vomissait l’haleine fétide des soldats, morts ici au champ du déshonneur de la race humaine, tumulus des champs de betterave, quelques futaies perdues en de vagues lignes esseulées incapables de résister à la houle d’Éole. Ce vent est fertile pour ceux qui détiennent la terre, il est aride pour ceux qui ne peuvent rien en faire. Il chante les louanges des grandes familles sucrières. Où qu’ils vivent, quelle que soit l’histoire de cette terre, ils ont ici des rentes à exploiter des hectares à perte de vue de maïs, de blé, de betterave, de colza. De la nourriture pour rembourrer le matelas moelleux de leur vie confortable, bercé par le cristal des verres que l’on porte en lisière de lèvre. Ils doivent être gras à souhait et leurs femmes replètes comme des bonbonnes de vin bon marché. Santé ! C’est pas une vie de voir couler les heures dans un paysage comme celui-là à faire la bordure de la départementale. D’ailleurs seuls ceux qui ne savent pas marcher restent ici à écrémer la plaine brumeuse rompue ça et là par quelques clochers de village dominant des petites maisons de briques qui ne cachent ni la misère, ni la solitude.

Je suis de ceux-là. Je ne marche plus, mettre un pas, ne serait-ce qu’un pas devant moi m’est devenue une idée absurdement inaccessible. Est-ce cela arriver en fin de vie, perdre les automatismes de l’enfance ? Perdre les quelques rêves éparses qui nous ont tenu la main trente ans durant. Je me force à imaginer que les voitures qui passent sans me voir sont des oiseaux qui voyagent du Nord vers le Sud, ou du Sud vers le Nord, ça m’aide parfois… rarement en fait. J’ai l’impression de m’être échouée ici au milieu de nulle part. Ça me va. Le rien me va et je n’aspire à rien. Voie de garage pour locomotive éreintée, je suis une motrice mise à la casse par son fidèle conducteur. Je passe mes journées à regarder le vide et à attendre.

Attendre.

Compter.

Voir des nuages et le ciel autour. Voir des arbres et la terre autour. Quand l’attente est satisfaite je disparais, je plie ma chaise, passe au volant et conduit somnolente une route jonchée de croix blanches alignées parfaitement dans un ordre militaire qui cherche à nier la souffrance et les morts nés du chaos des hommes. Morts-nés perdus à jamais pour des siècles et des siècles. Une goutte négligeable fondue aux océans de l’univers. Je conduis somnambule, morte. Aucun express vers un refuge loin en moi, m’enterrer sans corps pour ne pas me voir, me cacher et me tuer pour ne pas vivre, pour ne rien mémoriser des heures qui viennent de passer. Dieu m’a vu naître. Dieu ne me voit plus. Je suis devenue invisible, une chose, celle que j’ai rejeté, celle qui respire le souffre d’un morne enfer. Elle n’est plus pour moi, celle d’avant je la regarde de loin en loin, un point sur l’horizon. Lui et moi l’avons fait mourir comme on coule le cadavre d’un corps lesté par une ceinture de plomb abandonnée aux failles infinies des entrailles de la terre. Je ne me noie plus, je suis déjà morte. Je coule sans crainte. Putain prisonnière de la semence immonde et chlorhydrique des entrailles de la terre, chair putrescible, je suis une terre infertile.

La terre est plate, à peine voilée par quelques pentes douces. La terre est plate et mes jours secs, pluie ou soleil, secs, toujours sec. La couleur du ciel est souvent changeante ici, c’est avec le vent qui caresse les champs mon seul plaisir glané aux heures longues et ennuyeuses. Je suis à fond de cale depuis des années maintenant, bien avant d’arriver ici, je l’étais déjà. Rejetée, j’ai fui et j’ai roulé pendant des jours et des jours, jusqu’à ce que mon réservoir s’assèche définitivement. Panne sèche. Plus rien pour remplir la machine, plus une goutte pour la faire avancer. Durant ces jours et ces nuits, j’ai siphonné la moindre envie d’aller chercher l’énergie du désespoir pour me révolter contre tout, contre rien finalement. Le hasard a décidé pour moi et c’est ici au bord de cette route que je passe mes jours. Ici où la vie ne fait plus que me heurter et me projeter toujours plus morte, traînée par le crissement des pneus, étouffée par les gaz des pots d’échappement, déchirée par l’odeur pestilentielle des épandages. Écrasée par les masses profilées des voitures anonymes, la vie ne fait plus que m’effleurer alors que je suis là, assise, les jambes croisées, dénudées comme la putain que je suis. Vulgairement commune finalement, j’attends ceux qui se cachent assis confortablement sur leur fauteuil, conducteurs de lignes qui viendront tâter un corps déjà vide de vie. Je ne suis finalement qu’un de ces hommes à l’arrêt lorsque le moteur cesse de les entraîner. Dieu n’est qu’un homme. Les fleuves des hommes se rejoignent pour approvisionner une volonté commune qui nous emporte. Je ne suis plus. Je ne veux plus nager à contre-courant, je ne veux même plus en avoir la force. L’idée d’un tronc d’arbre sec flottant dans les eaux boueuses, glacées par les torrents de pluie, objet cassé parmi tant d’autres. Objet de tous les hommes, de leur volonté, putain des hommes. Hommes ou femmes, nous sommes des lombrics qui rampent dans la fange d’une fosse commune, un bain de boue. Ils fuient la sécheresse et s’égayent dans la boue des fossés nauséabonds, leur seule source.

Lorsque la pluie tombe sans discontinuité à grosse goutte et que les orages grondent, après l’accalmie, si le soleil s’en mêle, les fossés bien remplis d’eau terreuse, ma journée sera longue et dure, pleine de foutre. Pégueuse et empêtrée, engluée dans le fatras des branches emmêlées, corps, bras, jambes, sexes, doigts, bouches, je suerai allongée, gueuse sur l’étroit matelas séparant mon corps de la tôle parsemée de rouille, de traces de terres et de brindilles éparpillées. Un sauna de ferraille qui me fera m’assécher encore un peu plus sous le quota à abattre sans penser, sans imaginer. Morte parmi les morts. Pute parmi les putains. À peine le temps d’une cigarette, d’une gorgée d’eau, je m’allongerai jusqu’à ce que la nuit m’envahisse, engloutissant avec moi le relief blanc et froid de l’habitacle. Enferrée dans ma cage réconfortante, j’attends la consécration de ma mort quand, à la ferveur d’une mort consacrée, j’accéderai à l’inconscience définitive. Je ne travaille pas le soir. La nuit est faite pour oublier chaque fois un peu plus et sombrer dans mon néant. Un néant aux tapisseries bleu passé, à quelques kilomètres d’ici, une petite piaule sans confort, un lit, un lavabo et une armoire, c’est tout ce qu’il me faut. Je n’en demande pas plus. Après plusieurs jours passés au bord de la route, j’ai trouvé mon petit nid déconfit comme on trouve une grotte ou l’on ne veut plus ressortir et se terrer dans l’attente du sacre du printemps qui ne viendra jamais. Il n’est toujours pas venu. J’ai échoué ici il y a quelques mois déjà, je voulais mourir ce jour-là, c’était un jour de plus de route. Je ne m’arrêtais jamais. Ne me retournais jamais. Stravinsky en boucle, je suivais la ligne blanche depuis des jours. Ce jour là ; j’ai roulé pendant des heures comme d’habitude, sans savoir où j’allais, jusqu’à sucer la dernière goutte de carburant. Sans moyen de poursuivre, j’ai terminé ici, je suis restée longtemps au volant, le regard fixe, le regard nulle part si ce n’est en dedans, perdue dans le noir. J’ai ouvert la portière et je suis sortie, je me suis posée, je regardais les voitures, adossée contre la roue arrière de ma camionnette, glanant le peu d’ombre que le ciel voulait bien m’offrir.

Au premier jour je suis restée seule, c’était un samedi gris sans vent, habité comme moi d’une envie de mort. Les nuages, le vent, le froid saisissant, les voitures conduites par des fantômes, l’odeur de ma fuite qui me collait à la peau, le soleil absent et les ombres des corbeaux sur la terre, tout n’était que présage de fin d’un monde. Je n’étais pas au spectacle, j’étais sur la grande scène, seule sous des projecteurs de lumière froide, je pouvais crier, hurler, mettre à vif mes cordes vocales, l’écho n’était que pour moi, pas même les corbeaux ne s’en effrayaient. Je les sentais se rapprocher de moi, ils prenaient ma mesure, évaluer le danger, sonder si j’étais ou pas une charogne en devenir. La mort, je l’attendais, et les heures ont passé. Le second jour, mes compagnons de plume me lorgnaient toujours d’un œil mauvais, je leur lançais à espace irrégulier des pierres, pas pour les éloigner, pour les provoquer, pour les inviter à mon festin. Mais ils fuyaient, les lâches ! Ils me craignaient, revenaient et recommençait alors le même balai d’approche funeste. Quelques voitures se sont arrêtées ce jour-là, une femme, un ou deux hommes et une famille, ils m’avaient vu le jour d’avant et me trouvaient le lendemain toujours ici à des kilomètres de la première ville. J’intriguais, je donnais pitié, j’invitais à la charité de l’après messe. Selon le moment, je ne pipais mot ou je leur crachais à la gueule la terre entière, je ne voulais pas être là en vie, je ne voulais pas de leur pitié superficielle. J’aurais voulu les entraîner dans ma mort, tous les tuer pour leur faire voir et comprendre l’abjecte vie des cloportes que nous sommes. Je ne voulais être nulle-part. Et les gens repartaient tantôt inquiets, tantôt soulagés d’avoir proposé de l’aide, parfois à leur tour haineux de se faire traiter plus mal que l’immondice à laquelle j’appartenais de toute évidence.

Le lundi fut une toute autre journée, la faim et la soif me fendaient les tripes, brûlant un peu plus ma gorge déjà éreintée par mes cris jetés aux quatre vents et à mes amis d’outre tombe au ramage noir. Mes vêtements étaient sales et je puais l’odeur de mon corps, les cheveux gras. Une fois la nuit passée à l’avant de ma voiture, je revenais à ma place attendant que la faucheuse vienne enfin me régler mon compte, commençant à la craindre aussi, je flanchais. Alors je me préparais, je dressais des barrières ridicules pour ne pas fuir ma prison, peine perdue, les clefs ne pouvaient se perdre dans ma tête. Je me préparais à crier au premier quidam qui s’arrêterait « Foutez-moi la paix ! » voilà ce que je m’apprêtais à leur gueuler pleine face, quitte à leur sauter au visage et à leur lacérer leur peau, arracher leurs yeux pour qu’ils ôtent leurs œillères et voient sans filtre et sans tri la réalité de ce pauvre monde. Il ne fallait pas qu’ils m’emportent avec eux, je ne voulais plus de contact avec mes congénères, je les vomissais comme je me vomissais. Mais cette fois ça n’était plus vraiment la mort qui me portait, c’était la haine, refuge qui ne m’éloignais pas trop de l’ombre, mais qui m’en séparais un peu plus. Je commençais à craindre la suite, la dernière nuit froide et humide m’avait portée à actionner le mécanisme de survie qui gît vraisemblablement en chacun de nous, il n’y avait plus vraiment d’urgence à mourir, l’urgence commençait à pencher du côté des lâches, vivre même si je n’y tenais pas. Je commençais à penser me jeter sous une roue pour mettre faim à la peur, plus qu’à ma vie. Je gambergeais, hésitais à choisir, je me forçais à rester ici, avec un peu de chance je m’évanouirai et ne me réveillerai jamais. Me suicider ? L’instant d’après il fallait que je bouge, que je reprenne la route, faire du stop, arrêter une voiture, un camion, un bus, marcher ou ramper s’il le fallait. Je n’arrivais plus à contenir la faille, elle s’élargissait de plus en plus, tous mes barrages se rompaient, les barbelés n’avaient plus d’effet, c’était un torrent qui me labourait le crâne et finissait par ne me donner aucun répit. Mon cœur battait et je le voulais, où était passé ma mort, j’étais morte et ne voulais plus mourir.

Un homme est descendu de sa voiture, je prenais une bouffée d’air, que faire ? Faire la morte muette ? Le haïr ? Acquiescer ? monter avec lui ? Le tuer ou le voler pour finir la route un peu plus loin, condamnée définitivement ? Je me souviens de ses chaussures, elles étaient boueuses, des chaussures de sécurité maculées d’une terre rouge et gluante. Je me souviens du bruit de ses pas, comme des ventouses, des mollusques que l’on écrase, des asticots purulents qui exhalent un dernier soupir dans une flopée de substance visqueuse et grise. Des sangsues s’échappaient de ses lacets, retombaient sur l’asphalte mouillée et rampaient vers moi. Cela commençait à grouiller, à me monter dessus, répandant sur ma peau une bave collante qui me faisait frissonner, cannibales de la transpiration et de l’odeur de ma peur reptilienne. J’entendais les bruits, des succions stridentes qui maculaient mes tympans d’un liquide noir, elles étaient dans mes oreilles, vrillaient vers mon cerveau, bouffaient la remise de mes globes oculaires. Et je priais. Je priais. Je priais. Je priais dans une immobilité parfaite, pas même mes lèvres ne bougeaient, quelqu’un priait pour moi, criait pitié, demandait grâce, quelqu’un qui m’échappait. Une voix. Fin nette et abrupte de mon delirium. La voix d’un homme, comment pouvait-il être là, je n’avais rien vu. L’odeur de la terre me revint à nouveau, ses chaussures, ce n’était que de la boue, ce n’était qu’un homme, ce n’était que le ciel nuageux de ce pays, ce n’était que cet homme qui s’était arrêté et qui avait marché vers moi, ce n’était que moi et ma folie morbide de ces derniers jours, ce n’était que l’impasse de ma vie, je n’étais pas encore morte.

La bouche qui occupait le visage mal rasé se mit à prononcer une phrase. Et la phrase n’avait pas de sens. Il la répéta plus lentement, articulant débilement pour que la débile ou l’immigrée que je semblais être à ses yeux comprenne enfin. Ce n’était pas la pitié. Ce n’était pas l’empathie. Ce n’était pas la honte. « C’est combien ? Combien pour une pipe ? ». C’était la convoitise, l’envie. Je devais avoir les atours d’un morceau de viande pourri mais bon marché à avaler sans chercher à goûter. Malgré mon état lamentable je restais un objet qui pouvait être convoité, un objet que l’on pouvait visiblement à loisir louer ou acheter. J’avais un prix. Si j’avais un prix, j’avais une valeur. Si j’avais une valeur, j’étais loin d’être morte. Ce con ne bougeait pas. Je ne répondais pas, sidérée par la voie qui s’ouvrait là. Je trouvais le moyen de continuer à vivre tout en me tuant. Je pouvais être un objet, une lampe que l’on allume s’il fait trop noir, une table que l’on déplie pour poser un vase, un banc pour se reposer. Il est reparti presque aussitôt, un peu maladroit, avec sans doute la sensation de s’être adressé à une débile mentale privée du don de parole. Plusieurs se sont arrêtés de la même façon, d’âge et de société distincte, fini le jour de messe, il fallait bien trouvé de quoi se repentir pour le dimanche suivant.

Le lundi les travailleurs ont visiblement les couilles pleines du week-end, ils ne craignent pas la mort, ils doivent aimer s’en approcher, faire une petite danse avec elle. Peut-être est-ce une façon pour certains de se sentir vivant en comparaison. Tant qu’il y a pire, tout va bien. Il leur faut vider leurs couilles, jeter leur petite vie en gouttes opaques et dégoûtantes, et si possible en bordure de départementale. La première proposition m’a surprise. Les suivantes sont devenues ma mort.

Commentaires


  1. Votre Élue est sombre.
    Comme celle de Pina.

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  2. Cela sonnait étrangement familier, résonnait fortement. Mais la fin...

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    1. Il est reparti presque aussitôt, un peu maladroit, avec sans doute la sensation de s’être adressé à une débile mentale privée du don de parole. Plusieurs se sont arrêtés de la même façon, ce même jour, ces mêmes visages, ces mêmes ombres glissées dans leur rétine. Et tous ce mot. Combien ? Combien ? Combien ? Combien pour la femme sans valeur ? Ils espèrent tous un petit prix, peut-être même rien ? Combien pour ma dernière goutte de jus ? Combien ?! Combien je vais vous tuer ! Combien vous voulez me foutre ! Combien vous voulez de ma carcasse décharnée et crasseuse ? Combien de temps encore à rester dans ce monde froid, traître, pourri, déviant ? Combien de fois ce même mal ! Combien de fois ces regards d'hommes ? Combien ! Combien ! Combien ! Ça raisonne dans ma tête, ça prend une ampleur démesurée. Avec un peu de chance ma caboche explosera et se répendra indélébile sur leur face de porcs ! Combien ? Ce mot à des allures de douilles que l'on décharge sur des corps morts allongés dans la fosse des indigents, des sans noms qui ne mérite pas d'autres mots que combien. Combien de temps. Combien de vols. Combien de viols, de sinistres machineries démentes, combien encore ? Combien de bites bayonnettes à labourer ma terre jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sang ? Comment ne peuvent ils pas voir que ce sang je n'en ai plus, qu'ils ont pompé mon cœur jusqu'à le faire exploser ? Que cela a commencé il y a bien longtemps. Ah le voleur d'enfant ! Ah le suceur de joie ! Le fouteur fossoyeur violeur ! Je me mets à les haïr, comme je le hais, comme je l'ai tué, comme il m'a meurtri en fourrant son souffre dans ma fente ! Comme je me haïs moi d'avoir tant hésité à l'étouffer dans son sommeil de monstre aviné et repu. Comme je me haïs d'avoir refusé d'abandonner mon dernier souffle. Et ils m'ont rattraper, rattraper jusqu'ici. Des tas d'ogres sanguinaires et affamés. Je regarde mes mains. Sales. Je regarde la terre qui s'est accumulée sous les ongles. Je vois mes cheveux arrachés par poignées entières et encore prisonniers de la paume de mes mains. Je marche le long de la départementale, je me traine, limaces visqueuse rampant à la mort. Je creuse mon sillon, j'entends derrière moi une voiture. Elle ne ralentis pas, combien de temps avant qu'elle passe à mon côté ? 30 secondes ? 20 secondes ? Combien ? Je ne compte pas, j'écoute. J'écoute et je me dis combien ? Combien de temps ? J'imprime à mon corps un dernier mouvement brusque. Ma dernière énergie pour bondir vers l'intérieur de la route. Je vois devant moi un hérisson ecrasé, ses entrailles aplaties comme une galette de chair rouge presque noire, les fossés boueux de la longue ligne droite, l'horizon décharné d'un jour qui prend fin.

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