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Neige d'été





09 août 2034 – Confédération Andalo-sino-islamique – Séville

Aujourd’hui Sainte Amour. Dans ma main trois pilules bleues, une rouge, une blanche. Mauvais mélange aurait dit Malko. Putain de mauvais mélange, je lui aurais répondu. Je ne me souviens plus, je ne sais plus. Je suis nu, face à ce miroir brulé, et dans ma main cinq pilules minuscules. Certain d’en avoir vingt et une pas plus tard qu’hier matin, sept de chaque. Le vendeur m’avait dit pas plus d’une bleue par jour et maxi tous les deux jours un extra « vieille France » bleu blanc rouge. Tu parles d’un cocktail explosif. Je sais que je n’étais pas seul, je ne sais plus où, je ne sais plus quand, mais je sais que Mina était là, à mes côtés. Mais ce matin, je suis seul avec ce putain de trou noir de quelques jours dans ma tête. Sainte Amour, plein été, pleine de grâce et de miséricorde, il neige sur les terres d’Al Andalous. J’ai chaud, une chaleur à crever. Mes ancêtres auraient simplement hallucinés, mais la vie c’est comme ça, aujourd’hui ça ne vaut pas plus d’une pilule blanche la semaine et tout ne s’explique pas.

Trop las, je décide de prendre trois bleues et la dernière rouge, dose exacte pour combler le noir qui m’entoure dans la lumière de ce jour naissant. Au diable les conseils de Malko. Mon corps me lâche, je m’affaisse, je sombre, chute sur le sol azulejos et me voilà revivre mes dernières heures.

Comme chaque soir depuis 9 nuits, Mina, Mina J est là. Chaude, câline, désespérée, comme moi, comme toute cette foutue ville qui grouille et se répand au dehors. Elle aurait pu s’appelait Jill Bioskop, Mina Jill B., mais je lui aurais préféré Leïla, double de Naïk, moi cet homme paumé. Peau blanche, pure comme cette neige qui tombe depuis neuf nuits. Mon immaculée Sylphide, ma petite Mina. Cheveux rouges. Rouges comme les mille incendies qu’elle a su déclencher dans mes entrailles. Au premier regard elle a su m’incendier, ma petite pyromane au grand cœur. Nous nous connaissons depuis neuf nuits. Il ne nous en a pas fallu davantage pour savoir que les derniers jours seraient à nous. Neuf nuits à baiser, neuf nuits à respirer dans la sueur des corps emmêlés. Neuf nuits qu’il neige en plein mois d’août, allez comprendre. Et pourtant, toujours cet incendie, chaque parcelle d’air étant plus irrespirable que la précédente. Apnée. Seule façon de vivre. Rouge cœur, rouge sang, rouge peau. Rouge. J’ai brulé sa peau de mes baisers. Je l’ai mordue. Caressée, subjuguée, violentée. J’ai marqué sa peau de mes mains nues. Dominée, insufflée, malmenée. Et nous avons aimé ces peaux qui se consument, ces peaux qui chantent, ces corps qui crient dans ces nuits sévillanes étouffantes. Et pourtant derrière le rouge, toujours ce blanc, intact, aérien, irréel, éthéré. Mina hypnose, Mina blanche de peau, rouge de cœur, Mina me hante.

Huit nuits sont passées. Huit fois 24 heures. 11520 minutes, 691 200 battements de cœur. Je les ai comptés un par un. Plus fou de secondes en secondes. Fou de ce petit corps alerte. Fou de cette femme si légère. Fou de ce rouge et de ce blanc. Elle marcherait dans cette neige d’été qu’elle n’y laisserait aucune empreinte. J’en suis convaincu. Mina est mon ange, mon ange polaire, mon ange solaire, mon ange rouge, mon enfer. Son visage s’est imprégné, gravé au feu vif au plus profond, cicatrice rétinienne, à jamais. Je ne vois plus qu’elle, je ne sens plus qu’elle, je la respire, je la vis. Je ferme les yeux. Huit nuits. Désormais la dernière, il ne nous en reste plus qu’une. Nous le savons, sans avoir eu besoin de le prononcer. Il se passera neuf nuits d’une neige d’été, puis il ne se passera plus jamais rien. Je ferme les yeux et je vois tous ces amants que son corps miniature a du accueillir. Je les hais instantanément. Rouge poudre, explosif. Blanc frisson, intrusif. Qu’importe, Mina est mienne. Elle me regarde, nous entamons la dernière nuit. Ses yeux pétillent. Son corps est immobilisé. Ses lèvres rouge carmin me sourient. Un anneau d’or blanc orne leur centre. J’aime cette petite fente métallique. Je l’embrasse. Nos baisers n’en finissent plus, conciliabules intimes, piquants, pimentés. Je murmure tout contre sa joue blanche et lisse des mots que je ne prononcerai que pour elle. Elle me sourit, sereine, aimante, résolue. Je tremble. Il fait chaud. Je tremble. La neige tombe à gros flocons. Et j’étouffe. Et je tremble. 

Mina. Jill. Leïla. Toutes en une. Héroïnes de mes neuf nuits sino-sévillanes. Arabesques pourpres crème. Elle est ici. Devant moi. Au centre. Au cœur du patio. Deux êtres sombrant dans l’abandon, quartier Santa Cruz, el dia de la Sainte Amour. Chaux blanche sur les murs, aucune trace de verdure, blanc et rouge, bicolore. Au dessus le ciel et ses nuages de flocon. Lourds flocons chutant dans la cours. Au centre. Mina. Les flocons se posent délicatement sur son corps incandescent, des plumes duveteuse fondant aussitôt, absorbés dans l’instant par cette peau pyromane et opale. Sa chevelure m’éblouit. Rouge vif sur un théâtre blanc, page blanche que nous allons remplir cette nuit. J’ai ramené ses bras dans son dos. Pris soin de les attacher, entrelacés d’une corde rouge synthétique. Ses coudes se joignent, ses mains sont libres. Elle a choisi de les joindre en un geste de prière inversé. Ses épaules sont enserrées en un nœud central desquels partent d’autres petites cordelettes miniatures, immobilisant ses cuisses écartées, pieds soutenant ses fesses. Ainsi offerte, Mina a choisi de se donner à moi. C’est elle qui guide mes mains. Le rouge synthétique de ses liens contraste avec sa peau de plus en plus blanche, froide et bouillonnante. Je ne sens plus la chaleur. Court répit dans cette moiteur abrasive. Mina est mon ultime œuvre. Je l’ai façonnée, elle l’a décidé. Je ne peux rêver beauté plus apaisante. Je prends le chemin du manège. L’observe. Tourne autour d’elle à contre temps, pour gagner quelques secondes sur cette dernière nuit. Elle est mon cœur, je suis son sang.

Enfin je m’assoie, nu. Je m’allonge. Pose ma nuque contre sa cuisse. Le regard rivé sur son visage d’ange infernal. Nos souffles s’accordent. La neige ne cesse de chuter dans un silence étrange. Nous l’entendons se poser sur nos corps dénudés. Une neige d’été, lourde, fraiche, vivifiante. Je respire mieux. Mina me communique son souffle. Je prends le rythme. Je n’ai plus chaud. Je ne tremble plus. Je suis bien. Nous avons fait l’amour durant huit nuits, pour la dernière nous laissons place à la contemplation. Pensées rouges couchées sur une page blanche. La neige finit par prendre le dessus, elle nous couvre, chaleureuse, douce, caressante, apaisante. J’ai dans ma main quatre pilules bleues, six rouges, six blanches. Mina écarte ses lèvres et m’invite à la nourrir de trois bleues, trois rouges et deux blanches. Je lui fais cette offrande. Referme ses lèvres dans un silence cristallin, un doigt posé sur sa chair rouge entraînante. Elle ferme les yeux. Je fais de même. J’en avale trois rouges et trois blanches, Mina, Jill, Leïla puissance deux. Nous disparaissons sous la neige. Mina n’est plus là, elle se fond dans la soie blanche. Moi j’oublie ces neuf nuits.

9 août 2034, Sainte Amour, Séville. Je me souviens, je l’ai perdue à jamais, c’était ce que nous désirions. Disparaître, ivre d’amour, enfin apaisés, loin de cette vie invivable. Naïk restera seul. J’ai revécu ces neuf nuits et je m’effondre, anéanti. La neuvième, l’ultime. Je n’ai plus qu’une pilule blanche façon neige dans la main. Si je l’absorbe j’oublie tout au point de m’oublier moi-même. Si je la jette, je devrai vivre sans Mina. Je ferme les yeux. Putain de mauvais mélange. J'ai choisi. Blanc complet.

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