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Rendre l'âme

Je suis à l’heure, sans avoir vraiment cherché à l’être. Je ressens en moi une impression apaisante, une simplicité palpable. Je t’attends. Je me suis vêtue comme tu me l’as demandé. Une robe ample, très sage, très douce. J’ai relevé ma coiffure pour élever un beau chignon et dénuder ma nuque. Les cheveux tirés vers l’arrière donnent à mon visage l’expression d’une nature simple, dépouillée de tout parement. Mes lèvres sont vierges de tout fard, mes yeux libres de regarder cet entre soi où ce lieu me convie à chaque fois. Je me suis trouvée belle tout à l’heure en voyant mon reflet dans la vitrine d’un magasin. C’était une vision fugace, je n’ai guère eu le temps de me détailler, ma silhouette dégageait une belle énergie, des couleurs chaudes, une démarche douce et mon sourire aux lèvres.

Je t’attends sans véritablement t’attendre, toujours avec ce même sourire. Celui qui est certain que tu seras là, bien que je ne sache pas si tu viendras réellement. Après tout, tu n’as rien précisé. Mais peu m’importe, je sais que tu seras à mes côtés d’une façon ou d’une autre. Tu m’as demandé d’écouter chez moi les suites pour violoncelle de Bach pendant l’heure précédant ma venue ici. Pour tout te dire, j’ai gardé mes écouteurs durant tout le trajet pour rester dans cet état d’être que ces notes stimulent en moi. Je n’avais jamais véritablement fait attention à ce détail, peut-être est-ce simplement parce que j’étais totalement disponible à cette écoute, quoi qu’il en soit j’ai perçu la respiration du violoncelle. Je l’ai perçue d’une façon semblable à certaines de mes respirations nocturnes. Celles où, affleurant à l’aube de mon sommeil, je perçois une respiration qui me paraît étrangère. Est-ce ma respiration ? Celle de quelqu’un d’autre ? Comment puis-je douter qu’il s’agisse de ma respiration ? Comment puis-je ne pas en avoir la certitude alors que personne ne partage les murs de mon petit appartement ? Comme ces fois-là, j’ai cessé de respirer pour savoir. Habituellement, la respiration se tait et le silence suit mon apnée. Ma respiration reprend, et mon oreille décèle à nouveau avec distance une respiration qui m’est étrangère bien que parfaitement synchrone avec le mouvement de ma poitrine. Alors, à demie consciente, doutant toujours qu’il s’agisse de moi, je reprends encore deux ou trois fois de petites apnées pour constater que cette respiration me colle toujours à la peau et qu’à l’évidence cette respiration ne prend naissance qu’entre mes seules lèvres entrouvertes. Cette fois, c’est parfaitement éveillé que j’ai suivi les mêmes étapes avant de me convaincre que cette respiration était celle même du violoncelle.

L’instrumentiste est un dieu qui donne vie et insuffle dans ces bois des émotions qui deviennent siennes. C’est la même vie que je ressens ici, c’est ce même souffle que je perçois ici, cet entre soi, ce presque silence fragile et éphémère, ce doute de n’être plus seule.

Il y a avec moi une présence, toujours. Un intime inconnu ? Un homme sans visage ? Une vie incarnée ? Ou est-ce toi qui m’enveloppes de ta bienveillance ? À cette heure, il n’y a personne. Mais je ne suis pas seule. Le soleil éclaire avec bonté le lieu pour y faire naître des motifs colorés et chaleureux. Un nuage au-dehors accroît la pénombre avant de laisser jouer à nouveau la lumière des vitraux. Lorsque je suis entrée tout à l’heure après avoir franchi le petit sas capitonné qui isole l’église du monde extérieur, mon regard a tardé à prendre la mesure du lieu, alors que mes joues refroidies par le froid sec de ce mois de novembre trouvaient un réconfort bienvenu, privée du sens de la vue, je voyais mon être gagné en perception invisible. Le prélude de la suite n°4 en Mi bémol majeur vibrait à l’unisson de l’instant, avec douceur, beauté et mystère. Dehors la ville bouge, anarchique et convulsive. Ici il n’y a que quiétude et douce lenteur. Le temps cesse sa course folle et invite ses habitants à écouter le rythme de leurs souffles et de leur cœur. Courir est peine perdue. Tout ce qui vient de l’extérieur devient autre ici. Les notes de Bach continuent à battre en moi. Je me rends compte que je fredonne les chutes graves de la musique en accompagnant certaines de mes expirations. Un souffle lent, aéré, serein, s’épuise doucement avant de retrouver son ampleur. J’ai marché quelques pas comme on respire un parfum discret, en funambule, presque absente à moi. Me voilà assise à écouter la respiration de cette église. Mon manteau rouge disposé sur mes genoux. Mon corps fait œuvre de paix, il puise en la chaleur délicate de la chapelle une sensation de bien être parfaitement en accord avec l’instant. Mon dos se repose contre le long dossier de bois tandis que mes mains caressent la douceur de la patine du temps, celle-là même qui a travaillé et lissé le bois pour le rendre encore plus lisse, plus doux et plus chaleureux.

Toutes les matières, tous les matériaux, toutes les couleurs, les lumières et les ombres m’isolent ici un peu plus de ce qui n’est pas en ce lieu. Je regarde les figures illuminées par le soleil d’hiver. Je ressens de la bonté, de l’amour, de l’apaisement, de la douceur. Mes yeux glissent sur des ors m’invitant à contempler le visage apaisé de la vierge Marie. Qui était-elle ? Que ressentait-elle ? N’était-elle point femme avant d’être l’image pure et rayonnante qui me fait face ? Quelle était l’inclinaison de sa respiration à l’approche de l’être aimé ?

Un souffle s’épanche sur ma nuque, là où tu aimes déposer tes baisers lorsque nous sommes nus l’un contre l’autre, mon bassin calé entre tes cuisses, mes reins tout contre toi et mon dos appuyé contre le tien. Cet endroit où la naissance de mes cheveux laissent apparaître entre deux pointes satinée ma peau dénudée. J’aime quand tes lèvres se posent ici et viennent éprouver la tendresse de ma peau pour y déposer des baisers et y laisser une once d’humidité. Ce souffle est chaud, il me fait frissonner et fermer les yeux. Je songe à cet instant qu’il serait bon de marier le français et l’espagnol, d’utiliser dans chacune de ces langues les tournures les plus savoureuses. Ici ce serait « fermer los ojos », un langage bien à moi pour te dire tout ce qu’il y a de trouble et d’intime dans l’inclinaison de mes paupières réduisant encore un peu plus la lumière. Mon corps bat. Ce souffle en cet entre-nous entretient la chaleur du lieu et soulève celle de mon église. Mes paupières se baissent et je joue de mes cils pour créer et rajouter des couleurs, des pépites, des voiles qui forgent le monde à l’image de ce que je ressens. J’entends au loin des pas, un écho qui me rassure, comme la certitude qu’ici, ceux qui sont avec moi veillent sur moi. Je cherche à entendre ma respiration, mes lèvres à demie ouverte exhalent le parfum de mon monde intérieur, je veux respirer, respirer fort pour que tes fantômes m’entendent et viennent à moi. Respirer longuement pour qu’ils ne perdent pas la trace du chemin de ton souffle, de ma nuque vers mon cœur. Ce cœur qui bat, qui s’étreint sous ta présence.

Les jambes jointes, mes bottines posées sur le repose pied, je ressens le tissu doublé de ma robe reposer sur mes jambes nues, à mi-hauteur. Sans que je n’y commande, mes cuisses se contractent à chaque inspiration, se détendent sur chacune de mes expirations. Est-ce mon souffle qui produit cela ? Est-ce le tien ? Est-ce ce lieu ? Je sens mes chairs qui se découvrent, mes lèvres qui enserrent et relâchent, mes lèvres qui compriment et libèrent. Mon clitoris enfermé réagit à chacune de mes respirations, que le souffle monte ou descende, il exhale et répand la multiplication des sensations. Il y a toujours cette petite chaleur qui par intermittence vient inonder ce point qui recueille habituellement tes baisers. De ma nuque, il glisse le long de mon échine, embrase mes poumons et inonde mon ventre. J’ouvre mes yeux, mes mains sont posées de part et d’autre de mon corps, sur l’assise du banc, elles se crispent par instant, finissent par se saisir de la tranche rude espérant peut-être toucher le tissu de tes vêtements et certifier ta présence derrière moi, agenouillé sur le prie-Dieu, tes lèvres disposées à quelques millimètres de la frondaison de ma chevelure. Je ne perçois rien... et pourtant tout. Tout le souffle qui m’envahit, toute la palpitation de mon désir de vie. La chaleur vient soulever ma robe et ma peau demande encore à sentir cette douceur rassurante, mes cuisses appellent au toucher, ma poitrine se gorge, ma langue inonde mes lèvres. Ce sont des doigts qui s’immiscent à la base de mes cheveux relevés. Ce sont des ongles qui laissent leurs traînées sur l’aréole de mes seins, des mains qui viennent s’introduire entre mes cuisses à chaque fois que mes poumons expulsent l’air, des baisers qui parcourent mon ventre. Combien as tu enrôlé d’âmes pour venir ainsi m’emporter alors que je sombre ici doucement en moi ? Combien de main parcourent en cet instant mon corps ?

Je ferme les yeux cette fois totalement et je me laisse emporter au loin. Mon manteau gît au sol, sur la pierre usée, une tache rouge sombre se mélange aux ombres. Des mains délicates ôtent mes bottines en cuir souple. Mes mains ? Les tiennes ? Quelles sont ses peaux qui me parcourent ? Je perds pied. Mes bottines aussitôt englouties par l’épaisseur de mon manteau, je ressens des lèvres embrasser la naissance de mes orteils. Le même souffle qui se propage sur ma nuque, m’inonde ici. Des lèvres happent mes orteils, les enserre dans un fourreau de chair humide et chaude, chaque extrémité de mon corps y passe. Je ressens la fraîcheur de l’air lorsque passant au voisinage recommence ce jeu licencieux d’une offrande faite à mes pieds sucés tels des petits sexes rarement contentés. La langue se fait ample, elle lèche avec application mes pieds tandis qu’une main remonte le galbe de mes jambes en imprimant à hauteur des genoux deux mouvements opposés m’invitant à écarter mes cuisses. Trois langues glissent en moi, laissant une trace sur l’intérieur de mes cuisses ainsi qu’une autre plus diabolique encore dans l’échancrure de mes reins. Où prennent sources mes contempteurs ? Qu’as tu fait pour me porter en mon sein ? Tout est douceur ici. Une peau chaude glissent sous ma robe pour glisser sur l’échine, je commence à respirer fort, comme si j’allais étouffer. Je manque d’air, j’ai chaud, je brûle, ma tête vacille comme prise dans un tourbillon. Mes pieds sont posés sur le dossier du banc qui me fait face, mes cuisses largement écartées ne cachent plus rien à l’occupant des lieux. Un désir de rayonner m’inonde, je souhaite m’offrir amplement, ne plus rien cacher pour clamer toute la volupté de la vie qui m’envahit.

Une main vient par-derrière caresser ma joue tandis que je sens mes chairs écartées, elle fait glisser ses doigts sur ma peau, puis détaille la courbe de ma mâchoire, revient vers mon oreille afin de prendre possession de ma gorge. Je suis prise. Je me laisse envahir, je sens mon con suinter toute sa bile. Cette phrase me coupe, fait palpiter ma chair à vif. Comme une étincelle inattendue, un reflet qui imprègne un nouveau rythme, qui donne un sens supplémentaire et vient subjuguer les douceurs ressenties. Mon désir est violent. Je sens une rupture en moi, comme un torrent brûlant qui se déverse en moi, comme si ta queue s’enfonçait loin dans ma gorge pour m’empêcher de hurler le plaisir qui me rend folle, pour éreinter mes cordes vocales, me brûlant l’œsophage. Il n’y a pas que toi, il y a des sexes dans ma chatte et mon cul. Il y a des membres qui me recouvrent, des mains déchirent le tissu qui m’habille encore. Ma peau respire tandis que mes lèvres se remplissent de vies démesurées. Les sexes se succèdent en moi, et mon regard se perd sous le toit cathédrale, les croisées, les ogives, les gargouilles et les anges, tous se pressent en moi, tous arrachent leur prédécesseur pour s’engloutir au plus profond de moi, des musiques sacrés aux rites païens, du don de soi, à l’offrande de mon âme, il n’y a qu’un pas à franchir, une rupture qui m’emporte comme une digue qui cède sous les assauts répétés d’un océan déchaîné. Je sens ton souffle, il n’est plus sur ma nuque, il est en moi, dans mon sang il se répand dans mon corps, il se répand dans la nef, il se propage en un cri, comme un rêve né d’un souffle sur ma nuque, d’une intimité comprimée, pressée de me faire perdre pied pour me faire rendre l’âme.

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