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Paris, 1950


Paris, Dimanche 21 octobre 1950

Sally,

Je parcours de mes yeux le papier bleu lavande qui a su si bien recueillir vos premiers mots à mon égard. Depuis plusieurs jours, je n’ai de cesse de relire vos mots. Parfois même en pleine nuit. Souvent le sommeil me manque. Depuis la réception de votre missive, je ne m’en plains plus. En effet, je les passe à imagine quelle suite suffira à exalter la force des désirs que vous m’avez confié. Votre lettre m’a touché, sans doute plus que je ne veux bien me l’avouer.

Vous me dites que vos désirs mettent à l’épreuve votre vertu. Votre mari vous comble en tout point. Il est attentionné, doux, prévenant. Il travaille dur pour le bienêtre de votre famille. Il vous a offert deux beaux enfants, vifs d’esprit et plein de vie. Il vous offre une situation que vous n’auriez jamais imaginé lorsque, jeune fille, vous parcouriez les champs de votre Dauphiné natal. Un bel appartement parisien et une vie que vos sœurs et amies vous envient.


Pourtant, cet été, assise dans ce café de la place Gambetta, tout près du Père Lachaise, dans cette scène que vous me décrivez si bien, vous n’avez su dérober votre attention de la conversation qui se tenait derrière vous entre ces deux femmes. Elles parlaient de leurs folles escapades avec leurs amants. Des femmes mariées, volages et de peu de morale. Elles disaient toute leur accoutumance à cette revue de rencontres scandaleuses. Cette revue qui leur permettait d’offrir leur corps au premier venu contre rien d’autre que du plaisir.et de la jouissance dévergondée. Des aventures sexuelles, libres et débridées qu’elles n’auraient pas osé imaginer auparavant. L’une d’elle parlait de cette nuit où elle avait sucé tant d’hommes et léché tant de femmes, qu’elle avait fini par cesser de les compter, se livrant totalement à chaque sexe qui se présentait à elle dans une débauche totale et perverse, buvant leur sperme et leur mouille jusqu’à la dernière goutte, s’enivrant des mots crus dont tous ces hommes la paraît. J’imagine votre trouble Sally. J’imagine votre regard perdu en vous, ne voyant plus la rue qui vous faisait face. Je devine le mécanisme de votre imagination lorsque votre esprit buvait ses paroles telle une éponge se gorgeant d’eau visqueuse. J’imagine ces images qui ont dû naître en votre corps et vos chairs. Je n’ai pas de mal à les imaginer puisque je les ai moi-même vécues à plusieurs reprises. Vous avez du passer des nuits blanches à repasser en boucle dans votre esprit toutes ces images de sexes offerts et entrepris, en les inscrivant dans votre quotidien, en faisant de vous l’objet même de ces assauts.


Quel choc cela a dû être pour vous qui ne vous doutiez pas, jusqu’à cette conversation surprise, que tout cela puisse exister. Vous me confiez que vous avez cherché en vain à repousser tous les désirs qui vous hantaient nuit et jour. Vous vous trouvez repoussante, immorale, vous vous comparez à une vulgaire putain… et pourtant vous êtes revenue chaque jour à ce café dans l’espoir de croiser à nouveau ces deux femmes adultères. Vous avez cru devenir folle, obsédée par ces femmes que secrètement vous vous êtes mise à envier. Vous m’avez si parfaitement raconté cette scène que j’ai parfois moi-même l’impression d’y avoir assisté. Vous vous demandez encore quelle force vous a poussé à vous assoir à la table de cette grosse femme au visage doux lorsqu’après être entrée sous vos yeux dans la salle du café, elle s’est installée à l’opposé de vous. Quelle folie vous a poussé à lui relater la conversation que vous aviez surprise entre elle et son amie une dizaine de jours avant ? Quel vice malsain vous a obligé à lui demander comment se procurer cette revue ? Et quelles turpitudes vous ont conduit dans l’arrière-boutique du libraire du passage Briquet pour demander de votre petite voix mal assurée, que vous souhaitiez acherter le dernier numéro de notre fameuse revue. Votre cœur devait battre à se rompre, et votre entrejambe ne devait pas manquer d’émotions.


Oui, Sally, je n’hésite pas à vous confier mes pensées sans détour, dussé-je heurter la bienséance. Combien de fois avez-vous lu et relu ces feuillets scandaleux avant de faire le choix de mon annonce. Qu’est ce qui a fait écho en vous ? Qu’est ce qui a répondu à ce que, dans vos élans de pudeurs, vous dites ne savoir pas définir ? Certains désirs et fantasmes exposés vous ont-ils choqués ? Heurtés ? Lesquels de ces désirs fantasques, obscènes, vicieux et licencieux ont-ils le plus fait palpiter vos lèvres humides ? Toutes ces annonces d’hommes, de femmes, de couples ou de groupes d’hommes, je suis certain que vous les avez dévorées entre fascination et répulsion. Je crois que c’est cette idée qui me touche le plus dans ce que vous me confiez. Combien de nuits avez-vous résisté avant de vous caresser secrètement dans votre lit, allongé aux côté de votre époux plongé dans le sommeil du juste ?


Je suis heureux Sally que, au détour d’une nuit fiévreuse, vous ayez décidé de prendre votre joli plume pour coucher vos pensées les plus secrètes. Par votre délicate et si sensible écriture, vous avez fait de moi votre précieux confident. Je suis honoré que vous ayez choisi de répondre à mes mots et non à ceux d’un autre. Depuis la guerre j’ai choisi de vivre dans l’espoir et la lumière en acceptant de vivre et de nourrir ce qui était en moi, vices, décadence, bonheur simples, plaisir d’être, jouissances fabuleuses. En retour de vos si belles confidences, je souhaite vous offrir tout ceci.


Sally, votre désir de vie vous fait peur. Il n’y a rien d’anormal à cela. Vous souhaitez seulement vivre. Derrière votre trouble, derrière l’incompréhension de ce qui vous arrive, votre lettre ne dit pas autre chose. Vous avez conclu votre lettre Sally en m’écrivant « je suis prête à vous rencontrer ». Vous ne l’êtes pas, Sally. Pas encore. Et je ne le suis pas plus que vous non plus. J’aimerais avant de vous rencontrer que vous puissiez me confier chaque jour un peu de vous. Un mot, une pensée, une émotion, une sensation, une carte postale, l’une de vos mèches, la trace de votre rouge à lèvre déposée sur une feuille blanche, un tissu imprimé de votre parfum, l’odeur de votre sexe après une nuit de caresse, la trace de vos doigts pleins de votre miel intime.


Donnez-moi la main, Sally. Venez marcher à mes côtés à la lisière des bois. Tenez-mois serré contre vous. Tendez-moi vos seins, que je les rende sensibles. Montrez-moi votre joli cul que je le fasse rougir. Ouvrez vos lèvres que j’y glisse ma langue. Offrez-moi vos songes nocturnes pour que je puisse vous baiser.


Bien à vous.



Alfred

Commentaires

  1. Très jolie lettre. J'aurais eu envie de lire la lettre de Sally

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  2. Décidément, il y a du monde à la lisière des bois !
    Est-ce qu'elle a répondu au moins ? après vous avoir débarqué ainsi au Cap Horn de vos désirs ! :p

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    1. Des renards, des chouettes, des libellules, des coccinelles, des abeilles, guêpes, fourmis, araignées, scolopandres, scorpions, capricornes je n'arrive même pas à tous les voir tellement ils sont multitudes. Il est par contre bien plus exceptionnel d'y croiser un loup.

      Pour le reste, laisser place à l'imaginaire.

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  3. Il a raison ce Alfred, le désir de vie fait [parfois] peur.
    Quant à lui confier chaque jour un peu d’elle, c’est une carte au trésor qu’il lui propose de dessiner. :-)
    Tu connais Lettre à Nora, 2 décembre 1909, interprété par Arthur H ? On trouve d’autres Lettres de James Joyce à Nora Barnacle sur la toile, je pense que tu prendrais plaisir à les découvrir si tu ne les connais pas... ;-)

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  4. Le désir de vie, c'est aussi le désir de mort, l'inconnu fait peur.
    C'est une chasse au trésor plus qu'une carte, mais le tout pourrait bien donner un jour "une géographie de nos caresses". Ecriture qui de fait me semble impossible à réaliser aujourd'hui. Pour le reste, figure toi...

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