Lorsque je l’ai rencontrée ce sont ses propres mots qui ont formé en moi la grammaire d’une langue lointaine, profondément mienne et pourtant jamais verbalisée. Pour la première fois je savais esquisser les contours d’un monde étranger jusqu’alors. Un monde où la majuscule habille le D, et la minuscule dévoile le s. Tous ces codes je les découvrais en lisant les récits qu’elle savait si bien conter. Elle couchait sur l’écran qui nous séparait ses plus profonds désirs, celle d’une femme en quête d’absolu, celle d’une femme qui devenait femme aux yeux du Maître. C’était un texte écrit à deux, elle, la fascinante soumise, lui, le Maître éblouis, fasciné. A chaque suite donnée à l’histoire, cette femme s’engageait vers un chemin sans retour. J’ai marché avec elle, j’aurais pu lui tenir la main. Parfois j’imaginais être son tourmenteur, d’autres j’étais son jumeau, une plaie qui ne tient pas à cicatriser. Ce n’étaient que des prémices, mais déjà je savais que les eaux qui sommeillaient là au plus profond deviendraient un jour tumultes et fracas. Le cours de ma vie s’accélérait en un flot continu de fantasmes alors refoulés.
Ses récits devenaient une évidence, faire offrande de mes pensées, de mes gestes, de mon corps, de mon essence, devenir quintessence. Ne plus être que pour l’autre, et paradoxalement être soi plus que tout par le choix d’un sacrifice consenti, réfléchi, abouti. Fusionner à jamais par le sceau d’un rituel magnétique. Se donner l’un pour l’autre, l’un à l’autre, l’un par l’autre. Etre son objet, son seul et unique jouet et ainsi posséder sur elle le pouvoir d’une attraction fascinante et troublante, lumineusement sombre. Sacrifice et profits, n’être plus que pour l’autre suggérant que l’autre ne soit que par moi… addicted to… Je devais être sa drogue, être certain d’une union à jamais, lui donner ce pouvoir de me dominer. Cheval de Troie d’un pouvoir dévastateur. Par ce don elle acceptait d’être l’unique maîtresse de mes plus profondes pensées, c’était pour moi ouvrir en elle une porte dont je serai la clef, elle serait ma maîtresse je serais son unique sujet... addicted to… elle serait le verbe et pour se conjuguer à jamais d’elle je serais le sujet absolu.
Voilà ce que Christine a fait naître en moi, un trouble irréversible, un véritable cataclysme. Ensuite elle nous a offert sa vie, fini le rêve fantasmagorique, bienvenue les actes, aux pleurs, aux joies, aux peurs, toujours intense, sensualité dépravée, superbe chienne guidée par un Maître pilleur. Elle a trouvé celui qui devait être son Maître, imposture ou pas, elle s'est littéralement donnée corps et âmes, pulvérisant un à un des barrages toujours plus difficiles à franchir. Nous, nous l'avons accompagnée, épaulée tant que possible, mis en garde à mots couverts. Une véritable passion, une impasse, trop forte, impossible à dépasser si ce n'est peut être dans une ailleurs inexistant.
Les mots de Christine devenaient alors simplement Christine. Pour moi elle incarne ce rêve d'absolu qu'elle a su vivre. Une sorte d'icône silencieuse... le temps a rendu cette icône humaine, accessible. Nous échangeons peu, mais je crois que nous nous comprenons sans mot dire. En tout cas, j'ai l'impression de la comprendre, de la connaître. Lorsqu'elle l'a rencontré lui, elle semblait si surprise qu'il la connaisse si bien. Moi j'avais envie de lui crier : "mais nous te connaissons tous, toutes ces fictions, elles ne font que parler de toi, de nous, de tes craintes, de tes puissants désirs, de nos rêves". Seul toi ne le comprenait pas, il était si simple de relier les points entre eux pour dessiner la vraie Christine, fragile, aimante, celle qui voulait courir plutôt que marcher, vivre plutôt que sommeiller. Tu attendais ce révélateur, j'ai rêvé être ce révélateur. Mais pour moi tu étais une icône... la source... jamais je n'aurais osé... j'en ai seulement rêvé.
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