Accéder au contenu principal

Un coeur au creux des hanches #1

Elle avait choisi un petit tatouage, minuscule petit tatouage, un petit cœur qui venait se perdre à l’orée de ses hanches. Elle était la seule à connaître ce petit secret, préservé pour elle seule. C’était son intimité propre, une intimité à laquelle elle tenait de plus en plus. Comme si la partager lui aurait fait perdre une jolie partie d’elle-même. Cette intimité, elle avait fait le choix de ne jamais la partager, pas plus avec un homme, qu’avec une femme. Non pas que les uns ou les unes la laissent insensible, bien au contraire, mais elle n’avait jamais su comment franchir ce premier pas. Et puis… les quelques fois où quelques jeunes hommes avaient déclenchés leur clignotant pour lui proposer une petite balade sur les collines de la vie, ces derniers n’avaient pas semblés beaucoup plus à leur aise, alors elle avait toujours préféré faire la route en solitaire. Avec les années cette particularité était devenue ce qui la constituait, ce qui faisait d’elle cette personne unique qu’aucun n’imaginait vraiment. Ce petit cœur rose vif tatoué sur l’horizon de sa chaire immaculée, en était la plus parfaite expression, généreuse pour les autres, secrète pour elle-même, un petit signe invisible qui ne la reliait qu’à elle, une petite excentricité dans sa vie bien rangée. 
Cela faisait maintenant quelques semaines que ce cœur tout mignon ornait sa peau délicatement. Chaque soir elle observait ce signe tangible de sa différence. Elle portait désormais son cœur au creux des hanches. Lorsqu’elle avait formulé pour la première fois cette curieuse phrase, elle en avait souri de malice. Oui, étrangement son cœur se rapprochait de plus en plus de cet intime que personne d’autre qu’elle n’avait eu le privilège de visiter. S’ils savaient ! Si ses amis savaient ! Elle en avait rougi instantanément, sur son visage s’émancipait une très légère teinte rosée qui faisait ressortir encore davantage sa myriade de tache de rousseur. Ses yeux verts comme de l’herbe fraiche n’en ressortaient que d’autant plus comme embrasés par on ne sait quel incendie. Elle, elle savait… elle se trouvait belle, tout simplement, pour la première fois. En cet instant si rare, elle aimait son corps, cette nudité qui lui était si chère, cette nudité qu’elle ne partageait jamais, cette nudité qu’elle avait toujours cachée de peur d’être rejetée. « Ouh la grosse ! » disait ces camarades de jeu lorsqu’elle était à l’école, le Lycée fut l’époque encore moins subtile « du gros tas par ci, gros tas par là ». Elle avait encaissée, toujours, oui, toujours. Elle s’était détestée. Elle s’était recroquevillée, le mal au corps, le cœur en larme. 

Aujourd’hui elle savait que ce n’était pas elle qu’elle aurait du détester mais ces gamins et gamines puérils et limités. La blessure n’avait jamais disparue, une cicatrice qu’elle n’arrivait pas à refermer, grosse et moche, point barre. Mais depuis ces trois dernières semaines, elle s’était surprise à apprécier de plus en plus celle qu’elle voyait devant la glace. Elle avait d’abord regardé longuement le petit cœur, il était apaisant. Il était magique, il lui rendait une petite part d’enfance trop vite volée. Découverte de sa peau, découverte de ses courbes, généreuses, voluptueuses. De l’épicentre, de belles vagues s’étaient propagées par battement autour du discret tatouage. Et ces vagues lui faisaient redécouvrir la géographie de son corps. Un corps de femme, une femme ample, ronde et malicieuse. Plus les jours avaient passés et plus ses matins étaient ponctués de jolis sourires. Elle portait son cœur au bord des hanches et sa vie s’en trouvé éclairée. C’était bon, nouveau et exaltant. 

Les jours passaient et Noël approchait à grand pas. Au fil des jours, une étrange sensation s’était imposée à elle. Elle avait d’abord cru rêver et s’était inquiétée d’un souci médical. Après consultation d’un médecin, rien d’anormal. Mais la sensation ne cessait pas, elle s’amplifiait. Cet étrange sensation se produisait exclusivement la nuit, impression curieuse de sentir distinctement battre ce petit cœur de couleur gravée en elle. Aucun doute, il s’était mis à battre, doucement d’abord, puis de plus en plus fort. Il raisonnait en elle, palpitait, s’affirmait… La sensation bien qu’étrange fut le premier soir agréable, les nuits s’enchainèrent ainsi doucement, et son cœur délicat avait diffusait en elle une sensation de chaleur, de douceur qui avait inondé progressivement son intimité. Provoquant de petites palpitations internes sans qu’aucun jouet ne soit là pour expliquer le plaisir qu’elle vivait durant ces nuits câlines. La sensation ne lui faisait plus peur, elle l’attendait chaque nuit avec impatience comme une drogue sans risque. Chaque nuit lui offrait ainsi des délices qu’elle ne s’était jamais accordée. Ses cœurs battaient à l’unisson et raisonnaient dans cet antre dont le secret était si bien gardé. Elle ne se seraient jamais cru capable d’une telle effronterie, ses mains parcouraient ses seins, cajolaient, câlinaient, elle se surprenait même à en pincer les bouts de caramel avec une étonnante assurance. Plus les nuits passaient, plus son petit tatouage répandaient en elle un rythme effréné, plus ses mains se faisaient expertes. Dans ces instants là, ces lèvres formaient de petits o, ses lèvres formaient quelques petits sons… que c’était bon. Chaque nuit était l’occasion d’un transport vaporeux, elle flottait dans un monde de coton, l’esprit libre et le corps libéré.

7 nuits à parader en rêves éveillés, 7 journées à rêver à la prochaine nuit. Son petit cœur délicat était devenu son fétiche, la certitude que la nuit lui offrirait de vivre à nouveau pleinement la femme qu’elle était devenue grâce à cette excentricité magique. La veille de Noël était arrivée rapidement finalement, aucun repas de prévu, juste un tête à tête avec son petit dessin de cœur et les promesses d’une nuit d’ivresse. Un noël assez magique au regard de celui des années précédentes. Et pourtant, rien ne se passa tout à fait comme elle l’avait imaginé… Ce soir là, elle se sentait merveilleusement belle, oui, elle était forte, mais elle était belle et que c’était bon de le dire ! Malgré le froid, elle avait trouvé au fond de ces tiroirs un petit pull de cachemire noir qui faisait ressortir à merveille sa chevelure rousse tout comme sa poitrine généreuse. Quelques taches de rousseur constellaient sa peau dénudée sertie de cachemire. Pour la première fois depuis des années, elle ressentait sur elle le poids des regards des hommes qu’elle croisait, quelques femmes avait même louchées copieusement… Cela la faisait sourire. Sur le retour du travail, elle était perdue dans ses pensées, faisant face à la glace de plein pied de l’ascenseur de son immeuble. Elle n’avait pas pris soin d’observer l’homme qui était à ses côtés, un voisin qu’elle croisait de temps à autres, tout juste un petit bonjour forcé, puis les regards qui prennent soin de ne pas se croiser. Mais ce soir là, les regards ne se perdraient pas…


a_sea_of_honey
Photo : my dear Mags

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le chemin et la terra incognita

  Hier, je suis rentré du chemin retrouver les miens. Douze jours loin d'eux. Douze jours sur mon chemin. Cette année, j’ai passé sur le chemin dix jours seul, et j'étais merveilleusement bien. Cette année, j'y ai passé aussi pour la première fois deux belles journées et deux nuits fauves toutes particulières, et c'était naturellement et vicieusement merveilleusement bien, j'étais bien avec elle. J'étais bien avec toi. C’était bien d’Être avec toi. J’ai débuté ce chemin, il y a treize ans après une crise profonde au sein de mon couple. Pendant ces treize ans, je crois pouvoir dire être devenu l’homme que je voulais être. Nous avions à cette époque, douze années de vie commune derrière nous et une petite fille de deux ans. J'avais tellement vécu pour toi et pour les autres que je ne savais pas qui j'étais. Depuis, si ce n’est l'année de naissance de mon fils il y a dix ans, deux années calédoniennes, et deux années sous cloche sanitaire, j’ai arpenté ...

Linoléum

Dans l'ambiance masculine du restaurant, je regarde ses yeux. Ils sont chocolats et me disent ce qui est écrit sur ses boucles d'oreille. A côté de nous, deux hommes et une vieille dame. Je partage avec elle une cervelle de canut et une salade de lentille. Port de moustache autorisé, je me mets à regretter l'ambiance enfumée qui a du accompagner ce lieu si souvent. Pourtant je ne fume pas, je n'ai jamais fumé. Elle parle, bien plus que moi et bien mieux que moi. Je souris. Ces cheveux roux me rappellent sa nuque, l'implantation de ces cheveux dans sa nuque que j'ai trouvée si belle quelques semaines avant. Je ne lui connais pas de collier mais suis certain qu'elle les porterait parfaitement. Soudain, elle m'interrompt, se lève. J'ai l'impression que tout ce que je peux dire de sérieux est terriblement ennuyeux et quelconque. Ça n'est qu'une gêne passagère, je suis bien. Mes yeux se portent sur ses jambes. Je ne distingue pas ses bottes...

Un monde en soi

Chaque chose était vivante. Chaque chose était mémoire. Chaque objet était une part d'elle. Chaque objet était elle. Elle était ces objets. Ils étaient elle, sa propriété, son domaine, son monde à elle. Disposer des choses était une nécessité absolue de sa vie. Les faire siens c'était maîtriser un monde, un univers qui lui était propre, univers secret, inconnu, inabordable pour quiconque n'aurait pas été dans sa peau ou dans sa tête. Qui saurait déchiffrer le sens que prenait pour elle cette large tête sculptée qui trônait fièrement à proximité de son lit ? Travaillée dans un bois de noyer aux teintes ambrées, cette crinière sauvage prenait à ses yeux l'écho d'une chevelure de femme s'ouvrant partiellement sur le front équidé d'un animal aux naseaux puissants et au regard fier, un regard porteur de mythes aux chevauchées et aux combats fantastiques. Qui pouvait comprendre que l'anthracite et le gris de lave des tapis épais qui gisaient en rectangles séq...