Je me suis amusé à faire une petite nouvelle pour un concours organisé dans le cadre des 40 ans du RER. Je croyais que la limite fixée était de 20 000 signes, j'en avais donc fait allègrement 14 000 et des pelletées. Seul hic, au moment de poster la nouvelle, l'application refuse mon texte.... en fait c'était 6 000... Il a donc fallu que j'élague un peu, beaucoup, mais passionnément. Vous pouvez lire la version courte ici : http://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/le-robinson-express-roissy
Quant à la version originelle, la voici :
J’avais toujours
hâte de retrouver les cousins toutes les deux semaines, le dimanche,
mais cette fois, je devais bien l’avouer, un peu plus que les
autres. Il y aurait les habituels, Sandrine, ma sœur, et mes
cousins, David, Christelle et Lionel. Mais cette fois était un peu
particulière, à notre assemblée enfantine se joindrait aussi
Thierry, le fils des parisiens, ces gens qui séjournaient chaque été
au Serre, dans la maison à côté de celle des grands parents. Un
petit hameau isolé perché sur les hauteurs. C’est sûr qu’on
allait bien s’amuser, avec lui c’était toujours une sacrée
fête ! Il n’avait pas son pareil pour s’intégrer à notre
confrérie ardéchoise le p’tit Titi ! L’été précédent,
nous avions fait croire aux trois plus jeunes qu’à Paris, tout le
monde s’était mis à manger du Sander pour lapin. Temps de cuisson
réduit à la portion congrue, facile à conditionner, pas cher, le
nouvel aliment à la mode quoi ! Bon il avait fallu que Titi se
sacrifie. Si Lionel et moi nous avions fait semblant de déguster ces
horribles granules, lui en avait mangé une pleine poignée pour
prouver ses dires. Nous l’avions acclamé par une explosion de nos
rires benêts, impossible de résister aux grimaces du parigot. Et si
vous aviez vu les têtes incrédules des cousins ! Ces dimanche
à la campagne étaient toujours des moments de fête, les adultes se
retrouvaient à parler, à manger et à boire. A refaire la vie dans
les grandes largeurs, à revire leurs souvenirs, les exaltant tant et
plus. Nous, on vivait le présent comme le futur. Bermuda rouge
côtelé, chemise à carreau bleu marine, jupe orange, bob Ricard
chipé sur le passage du tour de France, tee-shirt Mammouth rouge et
blanc glorieusement taché. Nous finissions toujours recouverts par
la poussière accumulée à courir de raccourcis en raccourcis pour
gagner l’Ubac, passer par les Fouillouses sous couvert de quelques
aventures à glaner, faire aboyer les chiens du Gilbert, filer droit
devant le garage du Marcelou. A cet endroit nous marchions comme des
indiens, silencieux et aux aguets. Il faut dire que la porte du
garage, bâtisse isolée au bord de la route, était ornée d’un
autocollant, celui d’un rhinocéros prêt à charger. Dès lors, il
était simple d’imaginer qu’il en abritait bien un en chair et en
os. Une fois franchi ce avec ce succès ce dernier obstacle, il nous
fallait rentrer dare dare au Serre avant que les adultes ne
commencent à se demander où nous étions bien passés.
Ce jour là, nous
étions tous rassemblés sous le hangar. Ça sentait la paille et la
poussière, la toile de jute et l’odeur des fruits macérés. Les
pigeons roucoulaient tout à leur plaisir de décorer la charrette à
bœuf placée au centre du hangar. Elle nous servait de moulin à
parole et de terrain de jeu. Je vins à parler de ma sortie scolaire
au « Mastrou », un vieux train à vapeur reliant Tournon
à Lamastre. La sortie que, depuis des lustres, toutes les
générations d’écoliers ardéchois espéraient avoir la chance de
faire avant de basculer vers le collège, et souvent sa pension.
Lionel, déjà passé par là et jouant donc souvent au plus blasé
avec nous, me coupa sans façon.
– Laisse parler
Titi ! Dis nous !? C’est quoi ce RER ? Au journal
télévisé, cet hiver, z’on pas arrêté d’en causer. Lionel
avait la chance d’avoir la télévision, pour ça, il n’était
pas le dernier à jouer les crâneurs devant nous.
Titi ne répondant
pas immédiatement, j’essayais en vain de reprendre mon plat récit
de pique-nique et de baignade dans les eaux fraîches du Doux. Peine
perdue, déjà les oreilles des cousins attendaient avec gourmandise
la réponse du petit parisien.
Titi, fantasque
conteur et margoulin de sa province se préparait à son spectacle.
De la cour nouvellement aménagée venait l’écho de la table des
grands, abreuvés par le mauvais vin, les chansons prenaient le pas
sur le repas, bras dessus, bras dessous, tous alignés sur les grands
bancs, les grands rires de la Cile et la chansonnette du grand et
massif Pépé Louis et de notre petite Mamie Thérèse. Pas loin les
grands cyprès du cimetière bruissaient du vent chaud caressant leur
cime, le meuglement des bœufs se faisait sourd sous la fenière
voisine.
Titi prit tout son
temps. Il monta sur la charrette pour poser son bermuda élimé sur
une des roues cerclée de fer. Nous le suivîmes en faisant tour à
tour l’équilibre sur le brancard pour nous installer face à lui.
Sandrine manqua tomber à terre. Lionel l’aîné été assis tout
comme Titi, face à lui, nous les aspirants, posions nos petites
fesses sur le reposoir de la charrette, bien calés contre les
planches du bord.
– Le RER ?
Vous ne savez pas ? Nouveau silence. Comment aurions-nous pu
savoir ? Au delà de la locomotive du Mastrou, point de salut
pour nous brave homme !
– Non, les filles
en coeur, amoureuses du beau Titi
– M’dame,
M’sieur, M’zelle, en voiture ! Sandrine et Christelle
pouffaient de rire, toute à leur admiration des pitreries du zozo.
Le RER, c’est le Robinson Express Roissy. Un voyage sous terrain
sous la plus grande ville du Monde ! Paris ! Celle dont
vous parlez tous, celle qu’aucun de vous ne connaît. Michel, tu
peux oublier ton Mastrou. Aux oubliettes je te dis ! Et pas dans
celles de la Bastille, non ! Un jour, je vous inviterai chez
moi, et vous verrez tout ça de vos propres yeux ébahis ! Des
immeubles grands comme des géants, et dessous leurs caves, sous une
longueur identiques à leur hauteur des tunnels qui traversent Paris
de part en part. Tu peux te balader des heures et des heures sans
jamais voir le ciel. Bon ça c’est pas nouveau, mais le RER !
C’est maintenant la possibilité de relier le tout nouvel aéroport,
directement en partant de chez moi ! Vous viendrez au Plessis
Robinson, c’est chez moi. Au début, elle ma ville s’appelait
Plessis, il y a longtemps les conseillers ont rajouté Robinson, en
l’honneur de Robinson Crusoé, l’habitant le plus connu de la
Ville.
– Et tu vas nous
dire que c’est lui et Vendredi qui ont commencé à creuser le
tunnel ? Lui dis-je sur un ton d’incrédulité, animé par une
saine jalousie devant sa capacité à inventer tant de choses
merveilleuses.
– Non, Michel,
non… Ce à quoi les cousines hochèrent la tête convaincue que
c’était l’évidence même. C’est bien mieux que ça !
D’abord, tu dois acheter ton ticket au poinçonneur du virage, pris
sous des bourrasques de vent, comme des tempêtes déchaînées par
le ciel s’engouffrant sous terre, tu dois lutter de toutes tes
forces pour donner tes pièces et franchir les murailles. Après, tu
es libre. Libre d’aller où tu veux ! Si tu veux aller prendre
le prochain avion pour Cayenne...
– C’est où
Cayenne, demanda à mi-voix David
– C’est à
Piment, mais chut, dirent-elles à voix basses pour toutes réponse.
– … et assister
à la construction de la première fusée française, libre à toi !
Cette fois c’est
sur, il venait de conquérir tous nos imaginaires, des fusées, des
murailles, des tempêtes, qu’allait-il bien encore pouvoir nous
vendre comme part de rêve ?
– Lorsque tu
entres dans la gare souterraine de Robinson, tu découvres… grand
silence dans l’assemblée… la Jungle ! cria-t-il en fichant
dans nos coeurs un mouvement de surprise et de peur. Une jungle
reconstituée sous terre, d’abord de lourds feuillages, un air
humide, difficile à respirer et des kaoris centenaires de hauteur et
d’âge qu’ils ont fait venir spécialement de l’ancienne île
de Robinson pour les cacher sous l’île de France ! Quand je
monte dans le wagon, moi je n’ai qu’une envie, rester là
longtemps et espérer voir apparaître une nuée de singes chassée
par des tigres féroces. Au lieu de cela, le train démarre comme
tous les trains, mais se met à filer à une allure dingue ! Tu
t’accroches comme tu peux à ton siège, le vent provoqué par la
vitesse te fait faire des grimaces comme des chimpanzés. Imaginez
votre tata Maricou les joues gonflées par le vent, les cheveux
blancs dressés sur la tête et le poil au menton virevoltant, Baba
Yaga à coup sur ! Ben c’est comme ça à chaque fois !
Pris par une crainte
passagère, je me pris à regarder par delà le auvent pour vérifier
qu’elle ne pouvait pas entendre notre irrévérencieux conteur.
C’est que Maricou, la rebouteuse la plus renommée des vallées
alentour, malgré sa bienveillance légendaire, aurait bien pu nous
jeter un sort juste pour nous donner une bonne leçon. Mais non,
aucun signe d’adulte.
– Moi je n’arrête
pas de rire, mais les petites vieilles elles font les gros yeux en
essayant de maintenir leur coiffure comme elles peuvent. Quant à
eux, les hommes en costume font semblant que tout est normal, le
genre j’ai l’habitude et les pensées tout à leur travail à
venir, aucun sourire, les pieds chaussés de bottes de pluie qu’ils
enlèveront tout de suite après la station Sceaux.
– Pff, même pas
vrai, les hommes en costume ne mettent pas de bottes de pluie, c’est
comme aller à la messe du dimanche avec les pieds tout crottés.
Cette fois, c’était Lionel le grand blasé qui venait à mon
secours, mais les filles étaient déjà conquises, et nous… au
fond de nous, nous ne désirions qu’une chose, embarquer à la
prochaine station. Titi, poursuivait, imperturbable.
– J’adore
m’arrêter à Sceaux, c’est une station sous-marine. Chacun prend
un seau placé sous son fauteuil, et là, tous égaux, libres et
fraternels, que tu sois jeune ou vieux, riche ou pauvre, blanc ou
caramel ou noir, ou les trois à la fois, que tu commences ta journée
ou que tu la termines, faut écoper, et vite si tu veux pas que le
train s’échoue définitivement sur le quai. En fait, c’est
l’endroit le plus profond du RER, plus profond que la Seine, toutes
les eaux de pluie de Paris s’y rejoignent, c’est pour cela que le
train est toujours inondé à cet endroit là. Les ingénieurs n’ont
rien pu faire pour éviter ça. Ils n’ont pas eu d’autres choix
que d’installer dans chaque rame autant de seau que de passager,
d’où le nom de la station.
– Je suis pas
certain que ce serait mon arrêt préféré… j’ajoutais, je
m’imaginais à cet instant là traverser le Rhône en train
sous-marin tout en devant écoper vaille que vaille.
– Mais imagine
tout le monde s’y coller ! Franchement, je vous le dis à
tous, ça vaut le détour ! Et pas qu’un peu ! Mon truc,
c’est de faire semblant, comme ça je les regarde et je reste
pépère. Y a un mois, y avait une bande de loubard, blouson noir,
mèche banane, l’air mauvais comme des teignes, ben ils ont été
cruches quand leurs jolies santiags pointues ont pris l’eau, ils se
sont mis à pousser des cris comme des petites filles et ils ont vite
fait de faire comme tout le monde. Alors que deux secondes avant, ils
embêtaient une pauvre jeune femme avec leurs blagues à un sou, ben
ils se sont trouvés bien bêtas les gros bœufs !
Est-ce que les bœufs
de Pépé étaient eux aussi captivés par le récit, toujours est-il
que c’est cet instant que choisirent Marquise et La Bouille pour
apostropher notre groupe en lançant par delà le mur de pierre sèche
un meuglement bruyant.
– Bon, je dois
vous avouer, il y a une station que je n’aime pas beaucoup… c’est
la station Denfert-Rocheteau, moi et mes copains, on supporte le
Paris Saint Germain FC, alors voir des affiches de Dominique
Rocheteau partout dans la station… très peu pour nous, c’est pas
le paradis. Mais bon, y a toujours des Stéphanois...
– Allez les
Verts !! Allez les Verts !! Allez les Verts !! nous
sommes mis à scander Lionel, David et moi, convertis que nous étions
par les parents.
– C’est bien ce
que je disais, rajouta Titi, jouant cette fois le parisien
flegmatique, y a malheureusement toujours des Stéphanois dans cette
station pour hurler victoire à mes oreilles, et je crains qu’un
jour je n’y perde deux ou trois tympans. D’ailleurs, Michel n’est
jamais loin après cette difficile expérience car toujours St Michel
arrive, c’est la station de la Cathédrale Notre Dame. Je peux vous
dire, que là, des enfants de cœur, des curetons austères et des
bonnes sœurs sans sourire, on en voit un paquet, et pas qu’une
demie-douzaine. Ils s’installent tradition oblige sur l’aile
droite du wagon en priant en latin. L’aile gauche est quant à elle
réservée à la moitié restante des enfants de coeurs, mais cette
fois accompagnés de curés joyeux et de bonnes sœurs béâtes
préférant le françois. Quant à nous, prière de nous grouper au
fond de la rame, et en cœur s’il vous plaît ! Sacré
spectacle, j’vous dis !
– Je vous salue
Marie, firent les filles toutes guillerettes et petit air espiègle.
– Les enfants !
les enfants ! Venez-vite ! La Nanie arrivait accompagnée
de tonton Claude, son amoureux du moment, bien joyeux, une gauloise
bleue au bec, le sourire aux lèvres, le regard doux contrastant avec
la tension dont le visage de la Nanie, la maman de Lionel, se
départissait rarement. C’était l’heure du dessert, flan à la
vanille, gâteau au chocolat et cerises à l’eau de vie.
– Prochain arrêt
Châtelet - la dalle ! cria Titi en s’élançant dans la cour
neuve que la fête du jour inaugurait après quelques semaines de
labeur de mon père et de ses beaux-frères. Tous, nous filâmes
comme des petits diables dans son sillage, oubliant déjà le conte
fantastique que Titi venait d’inventer pour nous, spectateurs bons
enfants.
« Prochain
arrêt, Châtelet – Les Halles »
Une voix féminine
infaillible venait de me soustraire de ma rêverie. Tout le monde
s’agite dans la rame, prêts à descendre, à se jeter dans la
cohue. Il fait chaud, je transpire à travers mon lourd costume, la
cravate nouée au cou. J’ai encore le temps, mon train pour Valence
est dans un peu plus d’une heure. Je les regarde, le sourire
rêveur, le regard bienveillant. Les grands-parents nous ont quitté
il y a longtemps, certains de nos oncles aussi. La maison du Serre a
été vendue à des belges qui n’y viennent que peu. Elle reste
dans nos cœurs c’est là l’essentiel. Quant à Titi… peut-être
est-il l’homme assis à mes côtés , ou bien, qui sait, le
chauffeur de ce RER… Je crois qu’aujourd’hui je serais bien
incapable de le reconnaître. C’est cet été 1978 que nous l’avons
vu pour la dernière fois. Depuis, sans que nous ne sachions
pourquoi, il n’est plus jamais revenu à Saint Fortunat. Récemment,
j’ai appris par ma mère qu’il était devenu conducteur sur le
RER. Il faudrait que je le retrouve, il doit en avoir des histoires
ferroviaires à nous raconter sur le Robinson Express Roissy.
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