Il était l'homme fait nuit, s'invitant dans mes songes et glissant au creux des ondes. Il était l'homme recouvert de pluie, flottant où l'on ne sait, quelque part dans la profondeur de mes cieux. Il était celui que je n'ai jamais vu mais qui pourtant à mes côtés se baignait dans le lit des rivières calmes et cristallines. Il était celui qui n'a pas de visage et qui pour moi en a un, le reflet de la lune dans le lagon, la blancheur des cierges, et le calme toujours dans la tempête, au long des étreintes solitaires et cotonneuses. Il était avec moi, me donnant la main lorsque plus rien ne devait me porter, m'enveloppant de son voile, et m'offrant ses baisers d'étoile dans la langueur estivale. Il suffisait de prêter attention à mes soupirs pour que l'homme nuit dise tout de ce qu'il était, il me confiait alors tout de ce qu'il devinait, et je laissais voler au delà de mes rêves le langage que me soufflait sa présence, râles, soupirs ou mots malles. Il était mon souffle, le plus profond, mes rêveries les plus douces, l'abandon qui m'efface, la jouissance qui m'emporte, le sommeil qui me dérobe, l'inconscience faite loi, donation à sa foi. Il était avec moi. L'homme nuit. Il était en moi. Où que je sois, il était là à chacune de mes respirations, soutenant ma poitrine, insufflant le désir, brise marine, mon assise et son vertige.
Il l'était.
L'homme nuit ne m'a jamais dit d'où il venait, qui il était, ce qu'il souhaitait. Et ce soir, je sais qu'il ne sera plus caché dans mes interstices, pas plus que dans l'échancrure de mes racines ou la naissance de mes baisers. J'ai sondé les méandres de mes lacs, ceux d'eau douce et de sel, j'ai plongé sous les torrents, dragué le limon, soulevé les galets, arraché les fausses fougères, fouillé les vallisneria et cherché au creux des nymphéas. Je ne l'ai pas trouvé et je n'ai pas osé crier son nom car il ne saurait, quoi qu'il en soit, répondre à ces voix-là. Je n'ai trouvé de mot, je n'ai trouvé de trace, je n'ai trouvé son parfum, aucun reflet, aucune vibration, pas plus que de raison, aucun chant sous les vents, aucune empreinte sur les chemins de traverse, aucune mélodie qui me disait qu'il était. Un jour il fut là, toujours désormais, je le sais, le voici retourné à sa nuit, me laissant seul affronter la lumière et le quotidien des vivants.
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