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Je veillerai sur toi

 Dans mon village, on ne sort pas la nuit. Chacun reste chez soi. Cloîtré dans la nuit. Lumières éteintes. Seul avec le noir, caché dans la pénombre. Au début, certains osaient encore fumer une cigarette sur le seuil de leur porte, frapper à la porte du voisin pour demander une bougie, ouvrir ses volets pour profiter un peu du clair de lune. Aujourd'hui, plus personne n'oserait faire cela. On entendait il y a encore quelques mois un peu de vie, on distinguait un éclat de lumière au travers d'une fenêtre, un filet de fumée s'échapper des cheminées, on sentait l'odeur humide et fumée de l'automne. Il y avait encore des lampadaires en service pour éclairer les bordures de nos terrains. Il y avait des chuchotements de voix et de rires, des murmures de presque rien mais de quelque chose tout de même. Il n'y a plus rien aujourd'hui. C'est beaucoup trop dangereux. Plus de signe de vie. Certains sont partis. D'autres se terrent. Nombreux sont ceux qui ont disparu. Je crois qu'ils ont tous disparu. On ne sait pas pourquoi. Ou alors on n'ose pas savoir, se le dire, se le dire à soi même. Mathilde m'a chuchoté un jour avant que nous ne sombrions dans le sommeil que c'était à cause de la légende, qu'il ne fallait pas en parler, que sinon ils nous prendraient. Elle ne m'en a pas dit plus. Le lendemain, elle n'était plus là. Je n'ai pas osé l'appeler, pas fort en tout cas. J'ai chuchoté, j'ai murmuré. Elle n'était plus là. S'appelait-elle d'ailleurs Mathilde ? Était-ce Clotilde ? Ou peut-être Claudine ? Je ne sais plus. Dans la pièce où je m'étais endormi avec elle, le jour où je me suis réveillé sans elle, sur le sol, gisait une photo. Il y avait une photo d'un visage, un visage féminin, serein et effacé. Est-ce que c'était elle ? Derrière cette photo il y avait une légende dont je ne me souviens plus. Je me souviens ne pas l'avoir comprise. Et au fond de moi, mon intuition me dit que c'est tout aussi bien. Est-ce qu'elle cherche à me tromper ? Toutes les nuits, j'ai l'impression que je suis le seul à vivre dans ce village désert, mité par les maisons bordées de petits jardins, et au-delà la lande grise et sombre, impénétrable. J'entends tomber la pluie. À part ça. Rien.


J'ai peur des loups. J'ai peur des monstres. Au début, lorsque nous nous sommes installés ici, lorsqu'on pouvait encore le faire, nous dormions la porte entrouverte sur le couloir. J'avais une femme. Ma mission c'était de la protéger. Alors je refusais de toutes mes forces le sommeil, je regardais la porte, je dressais autour de notre lit une bulle de protection, elle briserait les assauts des ombres. Sur le mur qui fait face au seuil de notre porte, le papier blanchâtre qui recouvre la cloison de placoplâtre est en partie arraché. Je suppose qu'il devait être écorné, que quelqu'un a était gêné par cette aspérité et a décidé un jour dans un accès de rage de tirer dessus pour lui faire la peau. Un coup sec sans doute. La zone de papier arrachée dessine maintenant une forme de couleur plus sombre que le blanc lavasse de la cloison sans peinture. Je fixais la tâche lorsqu'elle dormait ici. C'était une gueule de loup. C'était la bouche d'un titan. C'était l'armée des ombres, la lame de la faucheuse et les crocs de la mort. Je la regardais et je la tenais en garde. Même quand les candélabres se répandaient en écho des fenêtres de la pièce de vie au long couloir sombre qui dessert la chambre, même quand tout était plongé dans la nuit, même quand l'horloge sonnait trois coup et que le vent du nord hurlait à la fenêtre, même quand tout cela arrivait je regardais la gueule du monstre, comme une empreinte imprimée dans ma mémoire, un photophore qui ne s'éteignait pas. Je la protégeais, elle dont je ne sais plus le nom. La nuit, maintenant quand je finis par m'endormir glacé par le silence pesant, il me vient de plus en plus fréquemment des images d'une femme. Est-ce que c'est elle? Je pose ma main sur la gorge sa gorge, je serre, je l'étreins progressivement et son visage devient rouge, ses lèvres se gonflent, je vois la blancheur de ses dents et sa bouche désirable, je vois son regard se draper de blanc et son souffle exhaler, ses cuisses s'écarter et sa main fouiller son sexe. Avant, je ne rêvais pas comme cela. Avant je regardais le dessin de la menace et je la tenais en joue d'un regard que je voulais perçant.


Ce matin, j'ai constaté qu'elle n'était plus là la déchirure. Ce matin, j'ai constaté que mon bas ventre était nappé de foutre. Je suppose que c'est le mien puisqu'il n'y a plus personne ici. J'étais surpris. Je ne me souvenais de rien. Enfin je me souviens d'autres images encore. Mais je ne me suis pas touché. Je ne me suis pas caressé, pas branlé, pas frotté contre le matelas nu. Cette fois, j'étais allongé au milieu d'une route, le corps cachant la bande blanche, la bande blanche qui devenait courbe avant de disparaître entre des nuées d'arbres. Elle était au-dessus de moi, moi j'étais nu. Elle ne l'était pas. Elle portait un legging d'un gris chiné. Et il devenait plus sombre au niveau de son sexe, cela se répandait sur ses cuisses et moi, mon corps, mon corps accueillait une pluie chaude, sa pisse. Et je bandais comme jamais. Puis, elle finissait par enlever son pantalon, et venait s'installer sur moi, enfilant son sexe sur le mien, alors pris de frisson je me mettais à aller et venir frénétiquement et j'entendais le son de mon sexe comme le bruit d'une main qui s'abat furieusement en rythme démenbré à la surface de l'eau et je finissais pas hurler toute la douleur de mon plaisir tandis que les phares d'une voiture roulant à tombeaux ouverts surgissait des bois et venait nous heurtait de plein feu au milieux de la nuit alors que nous baisions comme des déments allongés sur l'asphalte.


A midi, j'ai décidé de sortir dans la rue. Cela faisait des mois que je ne l'avais pas fait. Je n'y avais jamais pensé. À midi il n'y a pas d'ombre, ou du moins on peu l'éviter l'ombre. Je suis allé au bout de mon allée. La route avait disparu. C'était de l'herbe. Des herbes hautes. J'ai fait le tour de ma maison. Toutes les maisons sont là. Elles sont vides. Elles n'aboutissent à rien. Elles non plus n'ont plus de routes. Dans la maison la plus proche de la mienne, j'ai osé regarder au travers de la fenêtre. Pas un seul meuble. En rentrant, j'ai constaté qu'il en était de même pour la mienne. Mon matelas avait disparu. Il n'y avait rien d'autre à prendre. J'étais las. Très las. Je me suis allongé à même le sol. À l'emplacement même où se situait avant mon lit. J'ai sombré comme une masse. Et j'ai revu son visage. J'ai revu le visage de Mathilde. Massif et serein. Souriant. Je lui ai tenu la main, j'ai léché la pulpe de ses doigts, je les ai sucé et son regard plongeait en moi. Elle m'a dit cette fois que c'était bien la légende qui nous emportait avec elle, que je n'avais plus à en douter. Elle a pris ma main, l'a glissée entre les siennes, et l'a portée à ses lèvres. Lorsqu'elle a relâché son étreinte, il y avait au creux de ma main la photo, son visage et le mien. Tous deux tout sourire. Et cette légende : "Je veillerai sur toi".

Commentaires

  1. C'est par votre commentaire du jour que je m'aperçois que je n'ai pas été très poli depuis 8 mois ! Merci

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