Texte écrit sur le thème de août 2024 "une porte s'ouvre" du groupe fetlife Passion Écrire
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Aujourd’hui nous sommes l’Assomption. Je devrais me réjouir de fêter notre Sainte Vierge. Mais aujourd’hui, j’ai peur. Ça fait 20 ans que je n’ai pas quitté ma piaule. Je l’appelle mon chez-moi depuis pas mal de temps maintenant. Parfois j’oublie pourquoi on m’a placé là. Parfois, je me dis juste, c’est chez moi. Ça n'a pas toujours été comme ça. Ma mémoire me rappelle encore des moments durs, des moments à me fracasser la tête contre les murs, à foutre en l’air le peu de chose que je pouvais balancer. Faire exploser l’horloge et ses aiguilles narquoises qui marquaient du bruit insoutenable des secondes tout le volume de la pièce. J’ai cru devenir fou. Je l’étais, sinon je ne serais pas là. La solitude a fini par étouffer toute once de rage en moi. Le temps, la solitude, le silence. Tout cela a fini par me laver, là où cela aurait pu me tuer. J’aurais voulu mourir, mais je n’avais pas même cette liberté. J’aurais voulu mourir, ce n’était pas du remord pour ce que j’avais fait. Je voulais juste qu’on en finisse, que tout puisse enfin s’arrêter. Ce que j’avais fait pouvait bien être horrible aux yeux de la morale, mais je l’avais fait, voilà. Et cela n’avait pas plus de sens que tout ce que j’avais pu vivre, subir ou faire avant. Cette prison n’avait pas de sens. Ma vie n’en avait pas et la rage qui me consumait avait tout dévoré en moi. Alors pourquoi vivre ? Aujourd’hui, alors que je m’apprête à quitter le monde carcéral dans quelques heures, je me questionne encore sur ce sens là. Ai-je vraiment changé, trouvé un sens à ma vie ? Je ne cesse de douter. L’administration croit en ma rédemption, 5 années de réduction de peine. L’église croit en ma rédemption. Elle est prête à m’accueillir dans un de ses ordres monastiques. Mes voisins de cellule me prennent pour un Saint, ils disent que je les rend meilleur, que je suis un guide pour eux. Soeur Henriette croit en moi, plus que toute autre personne. Je lis la bible chaque jour. L’ancien testament aussi. Je lis beaucoup d’ouvrages sur la philosophie. Je m’astreins à une hygiène de vie irréprochable. J’ai mis longtemps pour y parvenir. Mais il y a en moi une dissonance qui ne se résout pas. Parfois, je me demande encore s’il y a un sens. Est-ce que je crois vraiment en Dieu ? En Jésus Christ notre Sauveur ? Est-ce que la grâce a touché mon cœur et m’a lavé de tout péché ? C’est ce que tout le monde croit. Je suis devenu un homme dévoué, mais je n’ai pas renié l’homme que j’ai été. Je suis devenu un homme dévoué, mais au fond de moi, j’ai peur de n’être toujours que cet animal qui nulle part n’a de place, cet animal qui doit vivre entre le bien et le mal sans savoir vraiment la différence de l’un à l’autre. Je sais que c’est en moi. Les écritures m’aident et me guident. Mais cela reste en moi et aujourd’hui que les portes vont enfin s’ouvrir, j’ai peur, je suis tétanisé par la peur de ce qui s’y trouve derrière. J’ai peur de perdre le peu que j’ai réussi à sauver de bon en moi. J’ai peur de disparaître à nouveau aux yeux de ceux qui m’aime pour vivre ma vie de vice. J’ai ôté la vie il y fort longtemps en voulant éradiquer la mienne. Je n’ai jamais ressenti de regrets pour cela. J’ai beaucoup médité sur cette question, je ressens le pardon, je le reçois, et parce que je le reçois aujourd’hui, je n’ai pas de regret. Mais j’ai de la peur. Beaucoup de peur. La peur terrifiante de sombrer une fois libre de mes mouvements et de mes pensées. La peur terrifiante de fuir corps et âmes vers mes abysses dès que Soeur Henriette ne me regardera pas.
C’est Soeur Henriette qui m’a montré le chemin. Elle n’a cessé de m’écrire depuis bientôt neuf années. J’avais déjà pas mal d’années d’incarcération derrière moi. Cela ne m’avait pas beaucoup dégrossi, encore moins repenti. J’avais toujours cette rage en moi et c’est elle qui a su l’effacer. Mot après mot, lettre après lettre, mois après mois, année après année. J’ai fini par lui écrire, lui dire avec mes mots approximatifs que ses mots me faisaient du bien, qu’ils me soignaient. C’était le premier être vivant qui prenait soin de moi, si ce n’est le chat que j’ai eu quand j’étais gosse. Elle me disait qu’elle savait que j’étais une belle personne, que Dieu lui l’avait confié, qu’au fond de moi je cachais le beau, la lumière. Que Dieu est en toute chose et que donc il y a du beau en toute chose. “Cette femme est tarée”, voilà ce que je me suis dit les premiers mois alors qu’elle m’écrivait. Cette inconnue ne cessait de m’écrire. Et, j’avais beau m’en défendre, cela me touchait, et de plus en plus profondément. J’ai fini par lui répondre, cela faisait deux ans qu’elle m’écrivait. Des lettres courtes ou longues, des choses banales ou fortes, mais toujours ce soleil, ces rayons que je ressentais, là, dans mon ventre et ma certitude que quelqu’un en fin de compte était là pour moi. Je l’ai d’abord traitée de tous les noms, je voulais qu’elle me fiche la paix, qu’elle aille sucer son Dieu et se faire prendre par les apôtres réunis. Voilà ce que je lui ai écrit mot pour mot lors de la première lettre que j’ai daigné lui adressé. Mes suivantes ont été longtemps du même acabit. Des choses sales, je faisais exprès de la provoquer avec des choses sales, vécues ou imaginées. J’en faisais mon propre récit, mon autofiction, je voulais lui faire mal. Mais avec le temps, j’ai fini par simplement déposer les armes et accepter qu’elle soit là pour moi, accepter cette chaleur bienfaitrice que je sentais au fond de moi en la lisant, en l’imaginant, en la rêvant. Je réfléchissais souvent à ces mots, elle me parlait de choses si évidentes pour elle, si impénétrables pour moi. Elle me parle encore parfois de l’être en apparence vile que j’étais. Elle le fait pour me rappeler le chemin parcouru. Je n’ai jamais vu Soeur Henriette. Elle non plus. Nous nous écrivons. Et de porte dans cette cellule, il n’y a plus. L’écriture, la lecture, je me suis reconstruit ainsi. Elle m’a montré le chemin. Je lui suis dévoué. Il lui arrive parfois de me tancer pour des mauvaises pensées. Elle a raison. Ces mots m’apaisent, toujours. J’ai appris à l’aimer, à dessiner les contours de son être, à ressentir son âme, à être en connexion avec elle. Par delà les barreaux, par delà la souffrance, par delà le monde qui s’effrite. Elle me rend beau. Je lui dis qu’elle me rend bon. Et c’est vrai qu’elle me rend bon. J’illumine aujourd’hui, grâce à elle. Sa grâce me touche, elle ne me rend pas meilleur, elle me rend bon. J’ai fini par faire mienne la prière du patriarche Athénagoras, j’ai mené cette guerre sainte contre moi-même. Et je sais qu’elle ne sera jamais tout à fait gagnée. Mes rêves me le disent. Si Dieu guide mes pas, si la main de Soeur Henriette me permet d’avancer sur le chemin, si Jésus Christ a enduré les souffrances des hommes pour montrer la voie à ceux qui se sont perdus. Je reste cette âme perdue qui sans eux ne saurait avancer et s’enfoncerait dans ses propres ténèbres. Je cache ma peur, mais je suis terrifié de ce que je vais trouver derrière la dernière porte qui va s’ouvrir quand je tournerai le dos définitivement à la prison.
Je me suis confié à Soeur Henriette. J’ai mis du temps à lui confier les turpitudes qui sont miennes. J’avais peur de perdre sa main tendue et de replonger plus bas que terre, alors qu’avec elle je m’élève. Elle a su trouver les mots et la patience pour me permettre de déposer mes pensées sombres à ses pieds. Je ne me confie pas à l’aumonier. Ce n’est pas un homme de confiance. Il est jaloux de la sage influence que j’ai acquise au sein de ce petit monde. Lorsque je viens me confesser à lui, je ne lui parle que de pécadilles. Il dit n’être pas dupe et voir en moi le diable. Parfois, je crains qu’il n’aie raison. Par contre, avec Soeur Henriette, je ne me cache plus des rêves que je fais car les lui dire est ma seule porte de salut. Elle a su trouver les mots juste pour accueillir mes turpitudes. Ancrée dans sa certitude à elle, Dieu m’aime, Dieu lui a dit de m’aimer du plus profond de son âme. Elle m’aime de sentiments purs qui sauront m’aider un jour à aller au-delà de mes peurs. Parfois, elle ose me parler de la chaleur de son ventre, celui qui nait de certains des rêves que je lui confie. J’ai peur de lui faire du mal. Elle sera là, sans doute est elle déjà là, à m’attendre sur le parking, devant la hauts murs de l’établissement carcéral. Nous devons faire la route ensemble jusqu’au monastère qui va m’accueillir. La route sera longue, et nous aurons plusieurs nuits à passer avant d’arriver à ma destination finale, celle que je ne devrais plus quitter jusqu’à ce que mon corps cesse de fonctionner. Elle a fait voeu de pauvreté, et je n’ai guère d’économie. Nous allons donc partager la même chambre dans des petits établissements des bords de nationale. Je n’ose penser aux désirs enchevêtrés que ces situations vont faire renaître. Est-ce que je suis toujours le même homme ? Mes rêves me disent que oui.
Mes rêves m’amènent à me branler la nuit. Toutes les nuits. Et chaque matin, j’en pleure de dépit avant de poser le pied au sol et de retrouver mes ancres, mes livres, de relire les lettres de Soeur Henriette. Cette nuit encore, j’ai rêvé. La dernière nuit avant que je ne sorte d’ici. J’ai rêvé. J’ai rêvé que je baillonnais Soeur Henriette, que je l’attachais et la séquestrais. Je regardais sa bave s’écouler sur son menton et je léchais sa bave avant qu’elle ne vienne souiller la lettre qu’elle était en train de m’écrire. Elle écrivait à l’encre de son sang. Par ce que son sang coulait entre ses cuisses, ses cuisses que j’avais parcouru d’une lame, fasciné par son souffle, par le plaisir qu’elle prenait, fasciné de la voir couler de mouille et de sang. Elle me regardait d’un regard qui disait son trouble et son désir, son abandon total. Je tournais autour d’elle, une bougie à la main. La cire coulait sur mes mains, me brûlait et attisait plus fortement encore mon désir d’outrage. Je lui faisais tirer la langue en disposant une pince serrée sur sa pointe et j’y déversais des gouttes de cire brûlante. Je frissonnais de plaisir, avec en tête l’envie animale de me branler et de fourrer ma queue à grands coups de reins enchiennés, par tous les trous de son corps. Ses cuisses étaient écartées et son sexe coulait sur l'assise en bois de la chaise, faisant des traces mélangées à la cire. Elle se trémoussait, se branlait le cul de la bite de chien factice que j’avais enfouie dans son tréfonds. Et là, pris de folie, je balancçais la bougie contre le mur, déchirais sa lettre et m’agenouillais devant elle pour finir par plonger mon visage entre ses cuisses, jusqu’à lui dévorer le sexe, lui manger le sexe. Et je jouissais à l’unisson de Soeur Henriette qui, ayant perdu son bâillon, s’égosillait de jouissances en prononçant des louanges à Dieu. La pièce se mettait à être inondée de nos fluides, le niveau de l’eau montait dangereusement, mais nous n’en avions cure, le liquide était visqueux comme une masse vivante et trouble qui recouvrait toute chose dans cette pièce. Il atteignait une ampleur telle qu’il n’y avait plus une once d’air entre la surface du liquide et le plafond de la pièce, nous emportant dans son flot, jusqu’à ce que nous cessions de respirer, main dans la main, un sourire au bord des lèvres et le regard confiant.
Ce matin, je me suis réveillé, le sexe bandé et le slip souillé. J’ai eu mal de me sentir ainsi le jour de l’Assomption. Le jour de ma libération. Je me sens terriblement mal, comme si ma cage thoracique allait finir par exploser. Je ressens une souffrance que je n’ai pas ressenti depuis des années. Dans dix minutes la porte s’ouvrira. Hier, j’ai demandé à prendre mon dernier repas dans ma cellule, pour être au calme, pour me préparer à ma sortie. Le directeur a accepté ma requête, ils m’ont laissé mon plateau repas et les couverts. Le couteau et la fourchette sont devant moi, sur ma petite table. Je regarde le couteau, le regard vide. Je sens le sang qui bat sur ma tempe. Je sens la peur s’effacer doucement. La lame brille d’un bel éclat sous le reflet de la lumière du jour. La bible est disposée juste à côté. Je ferme les yeux. Je respire. Je revois mes outrages à Soeur Henriette. Je me mets à bander. J’entends le bruit des secondes marqué par les aiguilles de l'horloge. Voici donc venu le terme de ma guerre sainte. J’écoute les dernières secondes. Finalement, je partirai de ce monde sans rage. Soeur Henriette comprendra, j’en suis sur.
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