La nuit tombe. Les ombres loin d’être oppressantes se font apaisantes. La lune m’éclaire de toute sa magnificience. Astre éloquant et troublant, prompt à illuminer mes nuits pour libérer mon autre. Son aura scintille sur les flots tortueux de ce fleuve capricieux. Ses méandres m’accaparent et m’enveloppent, je me perds dans ses eaux. Aucune angoisse, je sais où cela me mènera, je me laisse faire, confiant. Elle me transporte, me caresse, m’effleure, détend mes chaires, me délivre de toute contrainte. Je suis offert à mes songes, enfin. Je chemine en terrain connu, mon territoire, prêt pour la chasse aux rêves. Mes pas se font félins, mes sensations s’aiguisent, impression étrange de faire corps avec chacun des éléments qui m’entourent, sensation curieuse de connaître les désirs enfouis de ces femmes lunes. Mes pensées se détachent, leurs volutes me happent, ensorcellement, elles et moi réunis.
Il n’y aura pas d’incantation, aucun djinn à corrompre car chacun connaît son rôle. Des notes subtiles nous envahissent, une mélodie envoûtante, entêtante. Les corps bougent à l’unisson d’un rythme sourd. Doucement, lentement, la brume nous entoure. Des ondes nous encerclent, réconfortantes et chaleureuses. La femme lune devient flamme. Le félin, loup. Deux pièces indépendantes d’un échiquier identique. Chacun joue sa pièce maîtresse, elle la reine, moi tour à tour. Mais ce n’est pas un combat, seulement un jeu qui nous conduira où nous devons nous rendre. A chacun sa stratégie pourvu que l’autre cède à ses propres rêves. Une manipulation délicate et délicieuse. Un duel de si nombreuses fois joué et pourtant toujours aussi fou. J’avance mon fou, elle sa reine. Le piège est dressé, inversé. Elle croit me deviner, je semble si tendre, quel bel agneau, elle tend sa main, conquête docile, fauve apprivoisé. Ma présence la conforte, reflets d’une femme désirable pour un homme loup. Ses lèvres se déposent sur ma peau nue. Je maîtrise quantité de frissons venus des nimbes de mes songes.
Mais je ne désarme pas, je connais le pouvoir de mes mains, délicates, agiles et fermes. C’est l’instant unique où tout bascule, où les ruisseaux deviennent fleuves, où celle qui chasse devient la proie. La déesse chasseresse, impératrice de nos rêves, devient alors conquise. La citadelle s’ouvre, se laisse envahir, se laisse écrire. Chaque once parcourue sur son corps lui fait rendre les armes. J’écris en elle des mots qu’elle ne connaît pas mais qui lui deviennent dans l’instant si familier. Une face cachée, une femme lune, grisée par un soleil incandescent. Combat millénaire. Son corps se dénoue et déroule le parchemin que je n’ai plus qu’à remonter. Elle devient mon palimpseste, j’y laisse ma morsure, brûlante, lancinante. Cette reine m’offre son royaume, cette fois c’est à moi d’y écrire. Le fou est devenu roi, la reine redevenue femme. Un souffle enivrant nous emporte vers d’autres mondes où nul mot ne suffit à décrire le présent. Je rends les armes, tous deux nus à même le sol, dur et chaud. Un océan nous entoure, prisonniers l’un de l’autre. Le commencement de toute chose ardemment souhaité. Ce songe d’hiver chuchote en nous que veux tu ? Ma réponse, instinctive, animale : Quiero comerte.
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