Accéder au contenu principal

Territoires célestes #1

Je me suis fait silence et multitude. J’étais là partout, en tout point de cette ville, en tout lieu. Chaque homme pouvait être moi. Elle ne connaissait de moi que mes mots, je pouvais donc être tous les hommes qu’elle croiserait durant cette journée chaude. J’avais semé mes traces au fil des rues, des traces invisibles, comme autant de parfum encensant le corps et l’âme. Des traces que seul son compagnon connaissait, lui savait précisément l’enchaînement des lieux où il devait guider son âme sœur. Je voulais être présent sans être trop proche, je caressais le désir de palpiter en elle sans l’investir. Invisible.
Quelques jours auparavant, à ma demande, elle avait fait l’acquisition du parfum de l’invisible ainsi que d’une étole de soie, prémices nécessaires à ce que son esprit s’imprègne de mon parfum. Parfum de miel, de caramel, parfum discret, léger, présent. Parfum érotique, porteur de messages secrètement distillés. L’étole en était imprégnée et devant nos échanges habilement distillés au cours du temps, il l’avait invitée à caresser ses territoires célestes, première invitation à me faire découvrir les voies qui me seraient offertes. Nous formions un joli chiffre qu’aucun de nous n’avait pour l’heure exploré. Trois. La veille de notre rencontre elle s’était longuement caressée à l’idée de la journée qui allait suivre. Une journée dont seuls lui et moi connaissions l’exact contenu. Nous avions pris soin l’un et l’autre de semer seulement les graines qui amplifieraient son désir. Dans la solitude de son nid, elle m’offrit ce soir là une jouissance dans la vision de ma main et de mon regard posé sur elle. Puis vint son compagnon, alors qu’elle m’écrivait lui la caressait, puis inversement toujours en ma présence et cette fois sous les lettres frappées par lui à mon intention, ce fut elle qui se saisit de son sexe en y déposant ses lèvres pour le conduire au plaisir. Des mots écrits sous l’impulsion de leurs caresses tant de fois prodiguées mais cette fois vécue en ma présence invisible. Des premiers pas, discrets, subtils, aériens. Nous étions prêts. Nous avions préparés nos sens, le chiffre trois s’était imposé naturellement, ne restait plus qu’à explorer le chemin.

Enfin le jour arrivait, leur venue dans ma ville, des rues qu’ils ne connaissaient pas, des chemins que je leur ouvrais. Je fus leur guide, anecdotes, bonnes adresses, ruelles étroites et désertes à emprunter, lieux d’arts visuels. Elle était nue sous sa jupe, offrant à chaque instant l’occasion d’une caresse volée. Moi j’étais le vent, j’étais comme l’air. Elle ne savait qu’une chose, qu’elle pouvait me croiser à chaque instant sans connaître mon visage. Je serai ainsi tous les hommes qu’elle croiserait. Cet homme brun assis à une terrasse de café dévisageant la belle et grande femme qu’elle est. Cet autre homme blond au teint halé suivant leur visite au musée tout en paraissant relativement distrait. Cet inconnu au bras d’une jeune femme, le regard caché par ses lunettes de soleil. Ce père de famille dans le jardin de Ville. J’étais tous les hommes à la fois. Je pouvais la frôler innocemment, ce pouvait être un autre, elle en ressentirait le même frisson. Elle ne connaissait que deux choses de moi, la couleur de mes yeux, bleu comme le ciel de cette belle journée, et mon parfum invisible. Elle s’est sentie immensément femme-femelle durant cette longue journée touristique, me confiera-t-elle plus tard, faisant fonctionner son odorat pour trouver trace de mon parfum, cherchant des yeux les regards bleutés, espérant mon odeur caramel pour se faire davantage Miel. Dehors la canicule, dans les lieux artistiques, la fraicheur, et partout sur elle, les mains chaudes de son complice, des mains pleines de désir, la fouillant en tout lieu, sans cesse, à la moindre occasion, transformant sa peau en un champ fertile prêt à me recevoir, laissant à la foule des hommes l’opportunité de caresser du regard, de surprendre une caresse indécente.

La journée passa ainsi sans qu’elle ne puisse savoir lequel de tout ces hommes j’étais. En étais-je seulement un, ou étais-je tous à la fois ? Je leur laissais la nuit pour les retrouver au petit matin. Un nouveau jour, le jour où cette fois nous savions tous trois que nous vivrions au présent. Nous avions convenu du silence, comme de lectures. Chambre 300. Je suis entré dans la pièce alors que le soleil brillait déjà au dehors. Je distinguais les lignes de deux corps enchevêtrés. Il me fallut un peu de temps pour démêler les écheveaux des corps allongés. La pièce était sombre. Les rideaux tirés, quelques bougies éclairaient partiellement la scène d’une lueur inconstante. Elle était de dos allongée sur le lit. Lui, allongé lui aussi, sa langue léchant son sexe. Elle, faisant de même avec son compagnon. Depuis combien de temps étaient-ils dans cette position ? Etait-ce la mise en scène qu’ils avaient décidé de m’offrir comme première vision ? Où seulement l’aléa des corps qui s’impatientent ? Je suis entré doucement, je me suis adossé contre le mur, les regardant en silence. Je voulais prendre mon temps, leur laisser l’espace propre à leur intimité, appréhender ce qui se passait sous mes yeux comme au-dedans. Cela a duré quelques minutes. Aucun de nous ne prononça de mot. Je devinais leurs soupirs. De l’autre côté du lit, une chaise m’attendait. Je contournais leur kamasutra pour m’y installer, sans bruit, sans un mot, dans le silence le plus complet, à peine mouvementé par leur soupir comme des gouttes éparses chutant à la surface de l’eau. Sur la table jouxtant la chaise, des livres avec des passages de lecture, une bougie blanche à moitié consumée, un ensemble de sous vêtement noir dont l'étoffe légère était agréable au toucher. Avait-elle porté ses sous-vêtements ? M’étaient-ils offerts, j’eu envie de les voler, de les garder en trophée, je ne fis rien finalement que poser ma main et apprécier la douceur du tissu. Soucieux de discrétion.

Je les regardais toujours, ils s’afféraient. Avaient-ils du plaisir ? Étaient-ils gênés de ma présence ? Mon sexe commençait lentement à s’engourdir au fur et à mesure que j’appréhendais ce qui m’était ainsi dévoilé. Ils m’offraient leur intimité, celle-ci je ne la leur volerai pas, et pour la partager le chemin qui se dessinait en moi me soufflait de leur laisser toute place, de garder cette distance silencieuse, comme si je cherchais à m’effacer. Une fois de plus devenir invisible mais rester présent par ma voix. Lui avait disposé pour moi quelques livres, marqués quelques passages. J’en pris un au hasard et le lu, m’appliquant à lui donner la force, la sensibilité et l’émotion qui revenait à ses mots. J’imaginais ma voix comme une âme les pénétrant, les enveloppant, une vague les caressant et leur permettant d’apprivoiser ma présence. Les corps s’étaient démêlés. Son corps se trouvait dans la diagonale du lit, sa tête, son visage, si proche de moi. Je me suis légèrement penché pour me rendre cette fois plus présent, sans la toucher. Son amant parcourait ses lèvres ourlées de sa langue dévorante. Le plaisir était là, en elle, je le percevais, je l’entendais. Ses yeux étaient fermés. J’avais froid. J’ai contemplait ce spectacle, puis sans vouloir rompre le charme, j’ai déposé mon index doucement sur sa joue. Je l’ai sentie sursauter. Était-ce ce contact qui n’était pas prévu lors de nos premiers échanges ? Était-ce le rappel de ma présence alors qu’elle était toute à lui? Était-ce simplement le froid qui m’avait envahi ? Elle s’est tendue légèrement, alors ma main s'est transformée en brise légère parcourant à peine ses cheveux courts pour me poser ensuite sur l'une de ses mains. Sa peau découvrait la peau d’un homme pour la première fois autre que celle de son amant, toujours fidèle. Je lui avais confié l'avoir imaginée jouir alors que je lui donnerai la main, lui disant que ce serait le seul contact que nous échangerions, les yeux dans les yeux. Son plaisir a augmenté, lui l'encourageait. J'ai saisi son autre main. Mon parfum l’enveloppait, la pénétrer encore un peu plus. Ses bras étaient ramenés en arrière, nos mains se sont accrochées, nos doigts se sont croisés. Elle eut le désir de me sentir, de nous sentir tous deux fortement, un lien électrique, comme un arc, un courant la traversait alimenté par l’énergie offerte par l’amour de son amant. Les pressions ont augmentées, le plaisir montait, affluait en elle, envahie, elle a commencé à se démener, je lui ai maintenu fermement les mains et les bras pour que nous ne lâchions pas prise, une tension forte qui l'a emmené à la jouissance.

nausika2

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le chemin et la terra incognita

  Hier, je suis rentré du chemin retrouver les miens. Douze jours loin d'eux. Douze jours sur mon chemin. Cette année, j’ai passé sur le chemin dix jours seul, et j'étais merveilleusement bien. Cette année, j'y ai passé aussi pour la première fois deux belles journées et deux nuits fauves toutes particulières, et c'était naturellement et vicieusement merveilleusement bien, j'étais bien avec elle. J'étais bien avec toi. C’était bien d’Être avec toi. J’ai débuté ce chemin, il y a treize ans après une crise profonde au sein de mon couple. Pendant ces treize ans, je crois pouvoir dire être devenu l’homme que je voulais être. Nous avions à cette époque, douze années de vie commune derrière nous et une petite fille de deux ans. J'avais tellement vécu pour toi et pour les autres que je ne savais pas qui j'étais. Depuis, si ce n’est l'année de naissance de mon fils il y a dix ans, deux années calédoniennes, et deux années sous cloche sanitaire, j’ai arpenté ...

Linoléum

Dans l'ambiance masculine du restaurant, je regarde ses yeux. Ils sont chocolats et me disent ce qui est écrit sur ses boucles d'oreille. A côté de nous, deux hommes et une vieille dame. Je partage avec elle une cervelle de canut et une salade de lentille. Port de moustache autorisé, je me mets à regretter l'ambiance enfumée qui a du accompagner ce lieu si souvent. Pourtant je ne fume pas, je n'ai jamais fumé. Elle parle, bien plus que moi et bien mieux que moi. Je souris. Ces cheveux roux me rappellent sa nuque, l'implantation de ces cheveux dans sa nuque que j'ai trouvée si belle quelques semaines avant. Je ne lui connais pas de collier mais suis certain qu'elle les porterait parfaitement. Soudain, elle m'interrompt, se lève. J'ai l'impression que tout ce que je peux dire de sérieux est terriblement ennuyeux et quelconque. Ça n'est qu'une gêne passagère, je suis bien. Mes yeux se portent sur ses jambes. Je ne distingue pas ses bottes...

Un monde en soi

Chaque chose était vivante. Chaque chose était mémoire. Chaque objet était une part d'elle. Chaque objet était elle. Elle était ces objets. Ils étaient elle, sa propriété, son domaine, son monde à elle. Disposer des choses était une nécessité absolue de sa vie. Les faire siens c'était maîtriser un monde, un univers qui lui était propre, univers secret, inconnu, inabordable pour quiconque n'aurait pas été dans sa peau ou dans sa tête. Qui saurait déchiffrer le sens que prenait pour elle cette large tête sculptée qui trônait fièrement à proximité de son lit ? Travaillée dans un bois de noyer aux teintes ambrées, cette crinière sauvage prenait à ses yeux l'écho d'une chevelure de femme s'ouvrant partiellement sur le front équidé d'un animal aux naseaux puissants et au regard fier, un regard porteur de mythes aux chevauchées et aux combats fantastiques. Qui pouvait comprendre que l'anthracite et le gris de lave des tapis épais qui gisaient en rectangles séq...