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Kill Bill

 Je sifflote, joyeuse et terriblement excitée. J'imagine Beatrix sous mon joug et cela me rend joie. C'est une joie malsaine et c'est pour cela qu'elle me plaît cette joie. Bill m'a appelé, il m'a donné l'adresse, l'étage du service dans lequel Beatrix est immobilisée, hospitalisée, presque morte, mais pas suffisamment. La traînée, la traîtresse ! Ces mots-là me plaisent dans beaucoup de circonstances, lorsque je les formule à son encontre c'est pourtant un autre frisson qui parcourt mon échine, je sais que Bill lui a donné ses faveurs. Elle me l'a volé. Bill c'est mon maître, mon Dieu. Celui qui régit mon quotidien. Celui qui m'a fait femme. Celui pour qui je donne ma vie. Celui pour qui j'ôte la vie. Je sais que de toutes, je mérite bien plus son amour qu'aucune autre du détachement international des vipères assassines. Pourtant Beatrix me l'a volé, elle l'a manipulé, elle nous a toutes enfumées avec son air naïf de sainte nitouche. Alors ce soir je vais enfin pouvoir l'effacer de sa propre mémoire. Je projette de lui enfoncer une belle aiguille dans les veines, amorcer le piston, faire entrer son sang dans la seringue puis injecter le plus lentement qui puisse être le cocktail de ma préparation. Le liquide se propagera dans son sang, il chevauchera à travers ses veines. Combien de temps mettra-t-il entre son injection et le moment où son cerveau sera irréversiblement annihilé ? Beatrix à l'état ultime de légume. Beatrix au corps intact. Beatrix au regard vide. Je viendrai lui rendre visite. Je lui parlerai de Bill. Je lui dirai comme je suis sienne, comme il est mien. De temps en temps nous demanderons à un ambulancier à notre main de l'emmener passer un séjour à la maison. Évidemment, nous ne la nourrirons pas. Évidemment, nous ne la changerons pas. Elle sera assise sur une chaise, dans la cuisine, nous parlerons devant elle comme si de rien n'était, comme si elle n'était pas là. De fait, elle ne sera pas là, perdue on ne sait où. Puis je ferai le nécessaire pour que Bill me prenne devant elle. Elle me servira de chaise, de prie dieu, de commode, que sais-je encore ? Je trouverai. Elle sera un objet contre lequel je m'appuierai tandis que Bill me baisera copieusement. Et puis lorsque j'en aurai assez, je la poserai dans le placard, ou pourquoi pas dehors sous la pluie. Je suis curieuse de savoir si son corps pourrait réagir à la stimulation de ma main entre ses cuisses. Tiens, voilà une belle idée, peut-être que je pourrai la faire saillir par l'un de mes chiens ! Oh, oui, cela me ferait follement rire de la voir dans cet état de servitude sans qu'elle ne puisse penser ou ressentir quoi que ce soit. La vengeance. La vengeance. Est-ce que j'arriverai un jour à m'en lasser ? Est-ce que je passerai à quelque chose d'autre au bout de quelque temps ? Est-ce que cela pourra durer plus que quelques semaines ? Plus que quelques mois ? A vrai dire, je suis assez curieuse de savoir si un jour je me lasserai de l'objet que je me prépare à créer.


Je me suis fait belle. Parce que c'est un grand jour. Je me suis fait belle car cette nuit j'ai une victoire à célébrer. Beatrix, tu as perdu, je ne te laisserai pas ta mort comme repos. Tu vas rester en vie et moi je vais imaginer qu'au fond de toi il y a quelque chose d'infime qui perçoit, qui enregistre, qui subira chacune des humiliations que mon imaginaire malfaisant fomentera envers toi. Crois-moi, j'en ai imaginé des choses dans les plus extatiques de mes rêves de victoire à ton encontre. Tu me l'avais volé. Voilà que tu l'as perdu. Voilà que c'est lui, mon ange aimé qui enfin t'a répudiée. Il veut que je te tue, te tuer une fois pour toute. Mais moi, je trouve que ce serait trop simple. Moi, je te veux à moi. Alors dans ce couloir d'hôpital aseptisé, je défile tel un mannequin sur le podium qui la sacrera reine pour la vie. Je n'ai jamais cru aux contes de fée et au prince charmant. Cela m'a toujours fait ricaner, même enfant. Moi, le prince, j'aimais lui arracher une jambe, lui tordre un bras, lui arracher la tête ou encore lui percer les yeux. Combien de Ken ai-je ainsi amoché ? Ma pauvre mère refusait de m'en acheter tant cela lui déplaisait. Alors je menaçais mes camarades de classe et mettais mes menaces à exécution s'ils ne me donnaient pas ici le Ken, ici le big Jim où là l'action man que je convoitais, sans parler des barbies. Ce soir ma robe blanche, mon trench coat blanc, mes talons de nacre disent tout de la consécration que je vais m'octroyer. Ce soir, je vais m'auto proclamer Impératrice Beatrix devant toi. Je sifflote. Je me sens légère et heureuse. J'entre dans le vestiaire sur ma droite. Je me déshabille. Si Bill était là, je l'aimerais sauvagement, je consommerais dans l'instant mon désir d'être prise. Mais il n'est pas là. Il n'y a pas d'autres sexes de substitution. Pas même une petite bite à chevaucher. Alors je laisse couler mon sexe à l'idée du sacre tant désiré qui enfin s'offre à moi. Tu seras mienne pour l'éternité. J'ai déjà gâché ton petit mariage avec les copines, et maintenant, à l'approche des quelques minutes qui vont s'ouvrir, je sens mes lèvres frémir de plaisir. C'est absolument saisissant. Oh, je sens que je vais m'amuser à tes dépends et longtemps, qui sait peut être arriverai-je à entretenir la délectation si savoureuse plusieurs années où décennies ! Comme je serai heureuse de te voir vieillir sans que tu ne puisses prendre soin de tes cheveux, rehausser ton regard d'un trait de eye liner, tes lèvres d'une touche de couleur. Oh, oui, quelle belle idée. Chaque matin et chaque soir je demanderai à ce que l'on prenne une photo de toi dans une position toujours exactement similaire. Ainsi, je ferai défiler ton image au bout de quelques mois, quelques années, quelques décennies et je me délecterai du film statique de ta déchéance suprême. J'ote ma culotte de soie et les effluves de mon sexe innondent la petite pièce. Pas de doute, mon plaisir est tapi, prêt à bondir au couronnement de mon oeuvre, mon sacre, mon magnifique sacre et la vague d'orgasme qui va finir par me terrasser lorsque je t'aurai définitivement annihilée. Je remonte mes bas jusqu'au haut de mes cuisses si délicieusement nacrées, fermes et subtilement douces. Je pose sur ma coiffe un petit couvre-chef d'infirmière. Ma couronne du soir. Sur mon oeil droit un bandeau blanc orné d'une croix rouge. Je ferais ressusciter les morts et damnerais les vivants s'ils venaient à me croiser ce soir. Dehors l'orage gronde et m'offre un sublime son et lumière pour l'œuvre à accomplir. Je me dirige vers ta chambre putain de traîtresse. Est-ce que je t'appellerai encore Béatrix après ? Est-ce que je bannirai même ton nom ? Encore une belle idée, chaque jour un nouveau nom, celui d'un objet insignifiant. J'aurais sans aucun doute ma période pipi caca pour te nommer ou faire un peu plus. Peut-être même que je commencerai par cela ! Qu'est ce que ce sera exaltant ce retour en enfance sans innocence !


Je continue à siffloter et cette fois me voici devant ta chambre. J'entre et avance jusqu'à ton côté en posant le plateau de ma seringue précisément disposée sur le triste chevet sur lequel ne repose aucune fleur, aucune photo, aucun réconfort. Déjà tu m'appartiens. Beatrix, objet de la redoutable et irrésistible Elle. Beatrix à main, moi, Elle, sa maîtresse et propriétaire. Objet à ma guise. Traîtresse mon objet. Chienne ma chose. Je dois me maîtriser parce que sinon je vais jouir sur place à en perdre les eaux avant même de t'avoir envoyée au fin fond du bout de ton monde dans un désert aride, prison sombre sans commencement ni fin.


La sonnerie de mon téléphone retentit. C'est la sonnerie que j'ai attribuée à Bill. Je suis un peu déçue d'être dérangée dans mon travail. Je n'aime pas du tout ce dérangement. Mais c'est Bill. C'est Bill et j'ai une sacrée envie de forniquer. Alors, qui sait, peut-être pourrait-il me raconter des cochoncetés tandis que j'injecterai ma petite drogue aux quatre coins de son corps immobilisé et comateux ?


Elle ?

Oui, Bill.

Elle ?

Je t'écoute mon sucre, lui dis-je en me dirigeant vers la fenêtre, me laissant distraire par la pluie qui coule sur le carreau et les éclairs qui zèbrent la nuit. Je frissonne de désir.

J'ai envie de toi, lui dis-je.

Elle, on arrête.

Quoi ?

On arrête la mission.

Mais ? Putain Bill ! Mais qu'est ce que tu fous Bill !! Elle est là devant moi. Je peux mettre fin à sa traîtrise, lui faire payer cent fois, mille fois, un million de fois ce qu'elle m'a fait.

S'installe un silence de mort 

Ce qu'elle M'a fait Elle, pas ce qu'elle t'a fait.

Pardoni, Bill, tu as raison… mais laisse moi faire. Mon ton se fait suppliant.

Non, lache-t-il froidement. Cela fait l'effet en moi d'une morsure terriblement douloureuse.

Bill ? Un sanglot dans ma voix qui soudain me fait petite fille.

On arrête. Tu reprends la seringue et tu repars. 

Mais Bill, personne ne m'a vu. La mission n'est pas compromise.

Elle, tu comprends ce que je te dis ma petite fille sanguinaire ? Tu  R E P A R S

C'est quoi alors cette merde que tu me demandes de faire Bill ?! Je crie dans la chambre.

Tu ne dois pas la toucher. Point final.

Mais pourquoi ? Pourquoi tu me fais ça ?

Elle porte mon enf…


J'ai raccroché. J'ai envie de saisir ce putain de scalpel qui est là à portée de ma main pour lui lacérer le visage et qu'elle soit définitivement méconnaissable. Je pourrais aller jusqu'à la rendre infirme. La rendre aveugle. Je me sens envahie de rage comme jamais je ne l'ai été. Mais c'est Bill. C'est Bill. C'est Bill. Je me répète cette phrase comme un mantra. Je n'ai pas d'autre choix que de lui obéir. Cette femme te tuera Bill ! Et moi avec ! Je hurle et frappe le carreau de la vitre détrempée de pluie. Mon sacre… si proche. Je me sens mortifiée. Je n'ai plus l'envie de siffler. Il va falloir que je me trouve quelques dizaines de Ken et de Big Jim ce soir, et encore cela ne suffira pas.


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