Les heures sont douces et orangées en cette fin d’après-midi. La terrasse est baignée d’une lumière qui unit et qui bientôt finira par bercer le paysage. La chaleur desserre son étau peu à peu et la tonnelle n’est en cet instant plus que parure qui encadre la scène. Au pied du jardin en herbe un petit ruisseau chante sans couvrir la musique délicate des mésanges bleues, charbonnières et à longue queue. D’ici quelques heures quelques lampyres et lucioles offriront des étoiles sous la tonnelle. Le chat ira en jouer de sa chasse avant de se glisser dans les champs de luzerne à traquer mulots et campagnols qui, peut-être, finiront sur le pas de la porte. Autour de la table parme, deux chaises bistrot sont disposées, une femme et un homme y sont installés, proches l’un de l’autre. L'après-midi fut noyé de sommeil et de caresses, d’étreintes et d’étranges assauts, prolongeant la nuit, le matin et le déjeuner, plus en corps plus en âmes, et au dehors du cercle formé, plus en dedans encore. Il fait faim et bien que les corps soient repus, le ventre se rappelle à la vie. Face à la tonnelle, le verger est tout proche. Quelques pommiers, deux ou trois cerisiers, plus loin les noyers, et au centre le pêcher chargé de ses fruits mûrs et délicats. Au centre de la table, une assiette est disposée. Elle reprend un motif, légèrement émaillée, la dorure du pourtour s’en est en partie allée au fil des repas. Y figurent quelques motifs doux, naturalistes, qui ont accompagné repas de famille, grandes et petites occasions. Des gouttes colorées ornent déjà la surface de la faïence et troublent les motifs. Des tâches un peu orangées, encore un peu plus sous les beaux rayons de l’astre qui s’épanche, forment un nouveau dessin. Elles chutent du fruit. Du fruit qui se déshabille, de la pêche dont on ôte la peau peu à peu. Délicatement la lame argentée du couteau vient fendre le velouté duveteux du fruit estival. Les petites dents se fichent à la surface de la chair, avant de glisser sous l'étoffe calée entre le pouce et la lame. La main vient instiller un mouvement qui s’éloigne de la chair, qui détache la parure de son assise, tire doucement pour la déshabiller. Le jus délicat et frais vient épouser les courbes de la main, chutant tour à tour dans l’assiette et parfois se perdant au-delà du poignet. Elle le regarde faire. Elle ne dit rien car il n’y a pas beaucoup de mots pour dire l’instant suspendu. Lui, concentré sur le fruit, s’applique à ses gestes et parfois glisse son regard dans ses iris. Il la dénude. Il la fend. Il découpe en petites tranches qui à chaque incision viennent former des flaques dans le vaste creux de l’assiette ancestrale. Chaque quartier est déposé dans ce jus chaud et odorant. Chaque quartier recouvre l’autre et se mêle aux chairs suaves, douces et enivrantes. Les peaux nues s’épanchent, se gorge du jus de l’autre et dégorgent à leur tour. Viendra le noyau. Rugueux. Presque la mort où s’attachent encore quelques amas de chairs.
Il lui fait lécher ses doigts. Elle s’applique. Cela lui rappelle son sexe, la pointe des seins qu’elle suçotte, les doigts de ses amantes qu’elle nettoie après que celles ci se soient noyées en elles, en leurs ventres et parfois en leurs culs. Sous la lumière irisée, elle s’abreuve à l’avant goût de la nuit. Lui se saisit de quartiers de chair et vient les glisser sur ses lèvres, lèvres gorgées de sang, lèvres qui battent le tumulte, enflées d’avoir étaient tant baisées et si mordues. Ils sont nus. Lui bande. Ils sont nus. Lui, lui écarte les cuisses, déplie de son doigts le rideau charnu de son sexe papillon et fourre avec une lenteur calculée une tranche entre ses cuisses. Elle se pâme. Elle soupire. Elle s’ouvre au soir de la journée passée dans le lit. Il écarte sa chaise. S’agenouille sur l’herbe, dépose de part et d’autres ses mains sur les cuisses grasses de son intime débauchée, approche son visage, ses yeux, sa bouche, ses lèvres, son nez. Il hume. Il respire. Il savoure le mélange des sucres et des miels. Renifle les replis. Les replis sous le ventre. Les plis de l’aine. Les replis du sexe. Il voit le fruit s'égoutter dans le sillon et glisser vers son petit cercle frippé qui tout à l’heure était ouvert aux quatre vents. Il respire. Il sent. Son odeur à elle. La sienne aussi dans toutes les traces qui auront persisté des combats et des abandons des heures précédents. Le parfum estival de la pêche à chair jaune. Il lèche et mange. Il a faim. Une autre faim. La faim du petit ogre qui grandit et qui les dévore. Il se relève et elle prononce son prénom et lui dit simplement j’ai faim. Alors, il se saisit un à un des quartiers de chair et les présente à sa bouche sans jamais lâcher du regard celle qui le dévore et le consume. Ses yeux sont de vert vêtus, des traces noisettes en stries irrégulières. Ses yeux sont des gouffres. Sur son buste glisse le jus, entre le creux de ses seins si menus et disparaissent et deviennent sucre mêlé à la peau avant même d’atteindre le nombril. Il ne reste plus rien du repas frugal. Alors ses doigts de nouveau fourmillent auprès de ses lèvres pour pénétrer sa bouche et se faire lécher, suçoter, nettoyer. Lui se rassoit. Se saisit d’une cigarette, l’allume et la fume. Son sexe est lourd du sang accumulé. Son gland pulse et l’engourdit. Un insecte le frôle sans y séjourner.
Elle esquisse un mouvement vers lui. Il écarte les jambes, prêt à se laisser lécher et sucer, à se faire enfourner, à se laisser détourner. Elle se penche vers la table, ouvre la bouche, sort la langue et lèche. Lèche le jus de pêche recueilli au creux de l’assiette. Absorbe la sève. La langue revenant à sa tâche. Absorbée. La langue dégageant les motifs sous le jus. La langue effaçant à son tour un instant le motif. Cette langue qui plus que laper, caresse, enduit, s'épanche et glisse sur la faïence de Limoges. La faïence familiale héritée d'un jour avant eux.
Toujours si suave...
RépondreSupprimerIl est des plaisirs que parfois l'on arrive à mettre en mots. Et tu le fais si souvent par ton écriture que recevoir un joli mot de ta part est porte toujours une saveur particulière.
SupprimerMerci