_ Parle-moi de ton désir de l'instant. Parle-moi de l'insomnie qui ne veut pas te lâcher et des leurres que tu lui tends.
_ C'est vrai que je ne dors pas et j'imagine que l'on me suce comme si j'étais une femme à qui l'on prodiguait un long et délicieux cunnilingus, quelque chose qui n'a de fin que l'avènement de la bienheureuse. Me lécher, me sucer, m'humidifier, me baver de l'épicentre de mon cul à la pointe arrondie de ma verge. Mieux ! Du creux de ma nuque, à l'orée des cheveux, en glissant sur les vertèbres, s'étouffant dans le sillon de mes reins pour aspirer, gober, jouer de mes bourses à l'abri de ma peau tant le gland serait tendu et prêt à faillir à la moindre petite brise déposée sur le frein, devenir un homme à l'envers.
_ Qui pourrait ainsi nous sucer ?
_ Une femme.
_ Quelle femme ?
_ Toute femme prête à cela.
_ Et nous en connaissons beaucoup ?
_ J'en connais beaucoup et je n'en connais pas. J'en connais quelques unes parfois. Mais finalement j'en connais peu, peut-être parce que je préfère dans ces moments-là plonger mes mains en elles, retourner leurs peaux pour voir au delà de leurs yeux, tenter vainement de me glisser dans leurs entrailles pour sonder par la pulpe de mes doigts, la sueur de mon corps, les muscles inconnus cachés ça et là, le verbe haut et la verge sensible, l'horizon de leurs rêves comme les racines de leurs fleurs, les rendre femmes à l'envers.
_ Un homme ? Cela pourrait être un homme qui nous suce ?
_ Un homme, mais alors une femme aussi.
_ Un homme femme ?
_ Qu'importe pourvu qu'il y ait de femme. Tu te souviens de A. qui à genoux s'est approché de mon bas ventre ? Il n'a pas mis longtemps à prendre mon sexe dans sa bouche. Cet homme m'a sucé tandis que E., sa femme, était à mon côté. Mon bras était à sa taille, je veux inventer ce soir que sa main reposait sur mon épaule. Elle me susurrait quelque chose et moi je lui disais, regarde, je crois que ton mari a envie de me sucer. Regarde comme il me suce. Regarde comme il aime ça. Je l'embrassais, nous roulions nos langues comme des satyres, je les baisais en cet instant, une main sur sa hanche à elle, l'autre sur le crâne aux cheveux presque rasés, qu'il était doux son crâne, qu'elle était fraîche sa langue. J'avais entre mes mains ce pouvoir de les dévergonder, de leur offrir ce qu'ils n'avaient jamais vraiment su se dire, j'étais l'entremetteur, le révélateur de leurs vices, je me sentais vicieux et j'aurais aimé le dominer lui autant qu'elle, l'humilier lui pour la retourner encore plus profondément, lui labourer le lobe frontal pour disséquer les tremblements et les tressautements de ses désirs les plus corrompus. Le jeu de dupes car nous étions tous trois à égalité à ce jeu-là. Elle me retournait tout autant que je le faisais. Plus tard, peut-être une autre nuit, elle me baisait le cul avec un gode, suçant diablement ma queue tandis qu'il l'enculait avec son sexe démesuré, elle me portait ainsi jusqu'à l'orgasme, jusqu'aux sanglots et jusqu'aux larmes qui glissent sur les joues, jusqu'au besoin de ses bras qu'elle ne put cette nuit là m'offrir faute de ne pouvoir s'abandonner à cette tendresse et cette douceur-là, ce besoin d'amour qui malheureusement, par sa présence à lui n'était pas rendu possible, acceptable. Mais nous l'avons vécu tout de même. En silence. Par nos regards. Nous savions.
_ C'est cela être un homme à l'envers ? Être retourné ? Emporté ? Ou est ce que l'homme à l'envers c'était lui, lui qui ne pouvait pas accepter l'offrande et l'appel de la tendresse de celle qu'il considérait sienne à celui qu'il considérait autre et rival convoité ?
_ Il n'y a d'envers que s'il y a un repère et le repère diffère d'une personne à l'autre. J'étais le prédateur et je ne l'étais pas. Je l'étais dans mon désir de possession, je ne l'étais pas dans le plaisir de ma dépossession. Il était le monstre et il est le monstre. Je posais sur sa gorge à elle ma main et je serrai comme jamais je n'avais serré le cou d'aucune femme. Lui la baisait encore et encore, tant et bien, de sa queue monstrueuse il la possédait tout entière mais tout lui échappait par cette tendre étreinte que je déposais sur son cou, l'empêchant de respirer, je plongeais dans son regard qui n'était plus là, ces paupières mi closes et son visage rougi par l'effort de jouissance, la vague qui peu à peu l'englouttissait, anéantissant la rage de son homme, laissant place à l'extase de mon étreinte, accueillant ma présence insondable, ma respiration faite sienne, mon pouls calé sur le sien, regardant et espérant sa petite mort, le dernier souffle de son âme toute offerte à l'ondée fine et enveloppante qui allait l'engloutir et la noyer, offrant à son tour ses larmes salées que je léchais, que j'aimais, que j'adorais. Elle m'était inconnue mais elle était mienne, nous ne connaissions rien de nous, mais nous connaissions tout. Est-ce que j'aurais pu la tuer à jouer avec son souffle. Non, oui, peut-être. Parce que j'étais à ce moment-là un monstre captivé par sa proie, un animal fasciné par l'instant, un homme à l'envers de tout, absorbé par la magie d'un moment, d'une vie débauchée et râvie.
_ Mais alors, qui pourrait nous sucer ?
_ Faut-il que l'on me suce ?
_ N'en n'avait-on pas envie ?
_ C'était peut être juste pour le plaisir des souvenirs, tu ne crois pas ? Et pour dissiper un peu l'insomnie, la tromper.
_ Moi, je crois que nous oublions vite parce que tu mens. Tu avais envie. Nous avions envie. Nous avons envie de nous abandonner.
_ Moi, je crois que je n'oublie rien, qu'il me suffit de plonger dans mes mots pour laisser la marrée haute de ces instants sans honte lécher tout mon corps au bord du rivage. D'ailleurs je revois J. me demander au petit matin la permission de me sucer, diablerie de l'abandon. C'était doux, c'était tendre. Et cette autre fois où justement elle m'a léché et sucé comme si elle savourait l'entrejambe d'une femme, longuement, si superbement absorbée par le plaisir qu'elle m'offrait, par le plaisir enfin libéré qu'elle s'offrait. Je posais ma main dans sa chevelure, je repoussais comme je le pouvais sa tête pour reprendre pied, éviter d'être tout de suite emporté, je devais me saisir de ses cheveux pour tirer fort et sans ménagement sa tête en arrière et l'éloigner du centre de mes frissons, je voulais jouir et je ne voulais pas jouir, je ne cessais de dire des putains et des mon Dieu, la fenêtre était ouverte sur la rue, l'été était là, le jour commençait lentement à cesser et elle me prodiguait mille plaisirs qui finissaient par me souffler comme la brindille dans un ouragan, perdant la tête, perdant pieds, j'exultais mon plaisir en des cris aigus et grave, je criais mon plaisir comme une femme, j'étais pris d'un fou rire et je finissais par pleurer à gros sanglot, le corps parcouru de tressautements incapables de la moindre caresse reçue, le moindre contact me faisant bondir, les sens étalés sur le lit, la mémoire se chargeait de l'instant, de la reconnaissance des âmes, oui j'étais un homme à l'envers. Un satyre vaincu, un homme aimant.
_ Des humains à l'envers.
_ A l'endroit, en fait.
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