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La lame de la nuit

 "Laisse agir". Le parfum de l'air devient lourd. Mon corps s'éprouve. Il bouge seul. C'est la montée en pression. La marée haute. Il y a autour de moi des corps par centaines. Tous pris dans la nasse, le cœur vrillé, pupilles dilatées. L'humanité enfin une sous les relents synthétiques. Je suis dans la foule. Je suis la foule. Pour un temps et sa boucle. Et ça tourne. Ça tourne. Ça tourne en boucle. La chaleur de l'été, étouffante, le voile de la nuit, sans aucun répit, les lumières qui prennent forme, stries rouges, pies voleuses, nécrophages à l'envie déchirant nos cadavres de jour. Les costumes délaissés, les obligations achevées, les dossiers clos. Abandonner le navire, écoper, écoper. Ferme les yeux. Et danse ferme. Sens. Sens le rythme qui afflue, le désir carnassier. Regarde les corps. Les corps qui s'évaporent, laissent place à la vague. Les corps à l'unisson sous la pulsation des amplis. Le corps qui t'attire. La pulsion. La mécanique qui s'ébranle. L'aimant magnétique, les épaules dénudées, le tatouage encré, la nuque forte, la naissance de la chevelure, le frisson sur le derme. Sens. Sens. Sens son odeur, son parfum. Entre le sucré et l'épice, l'odeur de la sueur et de son sexe. L'ogre est là. En elle et en moi. Là. Ma main sur ses hanches. Ses courbes se déhanchent, ondes sinusoïdales. Le rythme épousé, ma main dans sa poche, la sienne posée derrière, entre le tissu des jeans, et mon sexe. Pulse, bouge, écrase, serre. L'éveil, le monstrueux réveil, l'animal sauvage et la bride sur le cou. C'est tout le temps. J'ai tout le temps. Le temps d'une morsure aux abords de mes lèvres, à l'orée de son lobe. Il n'y a pas de mots. Aux abois. Elle n'a pas besoin de mots. Branle. Bois à grande gorgée, ennivrées. Nos visages ? Des miroirs, des inconnus, des figures que l'on ne voit pas. Elle devant. Moi derrière. Le rythme encore. Le rythme plus fort. Dans sa main. Dans ma main. Le rythme qui pénètre nos chairs comme la terre grasse sous les ongles. Cette petite gêne qui démange, nous agace, nous rend fou, mirage fascinant, là, à portée de main. Là. La sueur goutte. Goûte sur sa peau, le sel, la débauche, le goût de l'instant. Dans sa poche mes doigts flirtant avec les formes de son sexe. Son cul bouge, bouge mon bassin, s'élance de haut en bas. J'enserre, je prends, je griffe, je mords, je lèche. Ce n'est plus moi. Il n'y a plus de question d'elle ou de moi. Le rythme nous souffle, nous commande, sème le désordre, défait sa coiffure, me pique les yeux. Les regards déments, noirs. Je ne vois plus rien, pas au-delà de l'instant, du moment, des paroles qui guident et de l'instant qui grise. "*Rien d'autres que des promesses entre le cou et la tête*", "*à me sentir plus vif à vif*", l'assaut final, les mains qui branlent ostensiblement à l'abri de la foule, quelque part au milieu, en son centre ou peut-être à mille pieds sous terre, le liquide qui se répand et l'âme qui s'affole, s'affaisse, les visages qui se crispent, grimacent, soufflent, éructent, en une vague, une mer et la houle, le fer brûlant et maintenant la foule, le fourmillement du vertige, la flaque trouble et le rêve troublé. Je tiens à peine debout. Un mouvement de foule. Une chanson qui prend fin et me voilà rejeté sur la grève en bordure de la fosse, la nuque humide et poisseuse, le pantalon à moitié défait et ma pudeur envolée. Le pubis crasseux, la bouche ouverte, le désir qui dégueule, qui déborde, l'animal devenu sauvage, le regard ailleurs. Je veux mordre, dévorer, arracher et trancher. Je suis de rage, de désir cru. Seul à l'orée de la marée. Sans visage connu. "*La lame de la nuit, c'est un plaisir plus puissant que le battement de ton sang*".


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Musiques : Olivier Depardon

Albums : Noir ; Avec du noir avec du blanc ; Les saisons du silence 


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