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Nakamal

Tous les mardis après-midi, après l'école, j'ai l'habitude d'emmener les enfants à la bibliothèque de la ville. Cela vient marquer un peu le milieu de semaine, avant de débuter la journée du mercredi. J'ai l'impression de fêter un peu, ainsi, l'arrivée d'un weekend inespéré. Les enfants apprécient. Ce lieu est assez particulier, on s’y sent comme dans un cocon. C'est une grande maison de style colonial. Elle est bordée de grands banians. Les enfants aiment bien s'amuser à se cacher un peu entre les troncs et branches enchevêtrées lorsque nous en sortons. L'été est encore présent, la saison des pluies n'est pas encore arrivée. Une petite brise s'infiltre entre les fenêtres persiennes, le parquet grince beaucoup lorsqu’un lecteur ou une lectrice emprunte le grand escalier de bois ciré. L'étage est le repère des familles. Le rez-de-chaussée, celui des jeunes qui profitent de l'accès à internet ou d'une table pour travailler par petits groupes. Depuis cette rentrée des classes, j'ai remarqué qu'une nouvelle jeune femme avait intégré l'équipe. Pendant que les enfants lisent, je la regarde parfois. Je la trouve belle. Pas très grande, un peu polynésienne, un peu asiatique, un peu européenne. Son visage est fin et souriant. Souvent j'ai envie de lui parler. Mais je n'ose guère discuter avec des inconnus. Et quand il s'agit d'un ou d’une inconnu qui me plaît beaucoup, cela m'est encore plus difficile. Alors que dire d'une jeune femme inconnue qui me plaît beaucoup, fait battre mon coeur et s'invite à mes caresses rêveuses ? Je me garde bien de dire autre chose que bonjour, merci, au-revoir, ponctués de quelques remontrances aux enfants. "Mais non mon petit choux, ce n'est pas un manoir hanté ici". "Léna, arrête de manger tes cheveux". "Elliot, va reposer ce livre, il n'est pas de ton âge". "Non, ma puce, je ne sais pas ce que nous allons manger ce soir".


Mon mari travaille à l'usine de Nickel. Il n'est pas souvent à la maison. Il y a d'abord les trajets en bateau express pour rejoindre la baie de Prony et l'usine de Goro. Il part tôt le matin. Rentre tard le soir. Il voyage aussi souvent pour le travail, en Australie ou en Afrique du Sud pour je ne sais quel autre projet minier. J'ai parfois l'impression qu'on ne se connaît plus, même si nous nous entendons bien. Ou qu'on ne se reconnaît plus. J'essaye de ne pas trop penser à cela, parce qu'en fait ça va. On ne fait plus beaucoup l'amour, mais ça va. Profiter de ces petites choses, ces petits bonheurs, cela me semble essentiel. Regarder les enfants grandir, les accompagner, les aider à devenir. Les emmener à la bibliothèque. Organiser nos prochaines vacances. Préparer le prochain bivouac sur un îlot. Rêver éveillée de la nouvelle bibliothécaire, la saveur coco de sa peau, son petit cul moulé dans son short en jean. Aller nager baie des Citrons le matin après avoir déposé les enfants à l'école peu après 7h15. Rêver d’hommes directifs, décidés. Flotter au-dessus des récifs coralliens. Les goûters à la plage. Les barbecues chez les amis. Le nakamal tranquille du Faubourg Blanchot et les papottes entre copines. Cela remplit une vie des petits riens. Et c'est bien. Et puis, il y a les vacances en Tasmanie à préparer. Ce sera pour cette fin d'hiver, en septembre, ou octobre. Avant que l'été ne reparte de plus belle ici.


Le fond documentaire de la bibliothèque Bernheim mériterait d'être renouvelé. Pour les enfants il y a tout ce qu'il faut. D'ailleurs Léna et Elliot sont absorbés dans leur lecture. Il n'y a que Martin, encore trop petit, qui vole de livre en livre, faisant mine de lire ici un livre à l'envers, là de palabrer avec un papa, ou ici de sourire à une petite fille. Mais pour ce qui me concerne, pas si évident de trouver des guides récents pour préparer des voyages. Des amis m'ont parlé d'un Lonely Planet très bien fait sur la Nouvelle Galles du Sud, l'État de Victoria et la Tasmanie, pourtant je ne le trouve pas. Les enfants m'agacent un peu ce soir, et puis il y a ce fichu moustique qui ne cesse de jouer avec mes nerfs depuis que nous sommes arrivés à l'étage. Je crois que je ferais mieux d'aller voir la petite Miss bibliothèque plutôt que de chercher en vain. Si le guide a été emprunté, je pourrais le réserver pour son retour. Et puis… cela me donnera l'occasion de lui parler, regarder ces jolis yeux noisettes très sombres, épier ses lèvres quand elle me répondra. Je me sens déjà mal assurée, gauche et empotée à l’idée d’établir pour une fois une phrase tout construire. Sujet, verbe, adjectif. Je suis toute proche d'elle, je sens son parfum à la noix de coco. Elle me tourne le dos. Peut-être, une fois ma question posée, me touchera-t-elle le bras ? Là, à l'arrière du coude pour m'inviter à la suivre vers le rayon où se cache ce fameux guide. Peut-être que je pourrais lui toucher le bras pour obtenir son atten…


Il y a un petit papier qui vient de tomber. De tomber de sa poche. Un petit papier en parti déplié, avec une image très… pornographique. Je suis troublée. Est-ce que je rêve ? Mon coeur déjà chahuté à l’idée de parler, cette fois me joue l’arythmie la plus totale. Martin approche. Vite. Je me baisse, ses petits yeux innocents ne peuvent pas voir l'image d'un sexe tendu fourré dans la bouche d'une femme portant pour seul vêtement un collier de chien… et une cagoule de latex. Je prends le papier et le glisse dans ma poche.Je regarde Martin. Toujours tout sourire. Je regarde la bibliothécaire. Toujours de dos. Je regarde autour de moi. Personne n'a rien vu. La jeune bibliothécaire poursuit son inspection du rayon ado Romance. Mon coeur bat toujours la chamade et, sans aucune once de douye, je sens mon sexe vibrer entre les plis de mon jean. Le désir. Le trouble.


_ Maman, je m'ennuie. Est ce qu'on peut y aller ?

_ Oui, oui, mon chou, on va y aller.

_ Dis, maman ?

_ Oui, Martin ?

_ Léna, elle a dit qu'elle voulait manger des Nems ce soir. Moi aussi.

_ Allez, va vite chercher ton frère et ta soeur, comme ça on s'arrêtera à la Balinaise.


Le voilà qui part tout guilleret. Quant à moi, je me sens émue. Je regarde la jeune bibliothécaire. Elle se retourne, avance dans ma direction, m'adresse un petit bonjour avec un joli sourire. Je sens ma culotte mouillée, mes joues empourprées, je finis par balbutier un inaudible bonjour tandis qu'elle me dépasse déjà. Mes vacances en Tasmanie ? Oubliées !


La soirée est passée vite. Dès que nous sommes arrivés à l’appartement, je me suis enfermée aux toilettes pour déplier le petit papier. Le sexe en feu. Je me suis branlée dans un état d'urgence que j'ai rarement ressenti jusqu'à aujourd'hui. Quelque chose d’irrationnel, une vague scélérate. Ce n'était pas doux et plein de caresses comme j'ai l'habitude de le faire quand je suis seule. Ce n'était pas lent et plein de rêveries comme à chaque fois. C'était brut, brutal, animal, irrésistible, implacable. La femme ne suçait pas l'homme. Elle recevait le sexe de l’homme dans toute sa longueur. L'homme la prenait comme son esclave, sa chose. Son visage masqué par le latex la rendait poupée irréelle. Seules ses lèvres étaient exposées à la vue. Des lèvres qui engloutissaient le sexe tendu d'un homme dont on ne voyait que le bassin massif. Un sexe sortant d'un costume. Sous la lisière de la cagoule apparaissait, ornée d'un collier de chien, sa peau dorée. Au-dessus du collier, la peau semblait légèrement déformée. Illusion d'optique ? Projection fantasmée ? Ou  l'empreinte du sexe qui la baisait ? Et moi, là, depuis que j'avais vu cette image dans la bibliothèque, c'était la bibliothécaire, ou moi, qui dans une ronde effrénée se mettaient à engloutir cette queue épaisse. Mon jean baissé jusqu'à mes chevilles, les cuisses écartées de part et d'autre de la cuvette, ma main poisseuse fourrée dans ma chatte, la peau transpirante, mon orgasme tel un tsunami m'a littéralement arraché du siège des toilettes pour me laisser pantelante au sol, sur le carrelage de marbre froid. J'ai eu bien du mal à contenir les cris qui voulaient exploser sur les quatre murs de cet enclos exigu. Une fois mes esprits à peu près en ordre, le souffle court, j'avisais enfin qu'au dos de l'image figurait un message sans équivoque en lettre blanches sur fonds noir. Une invitation.


"Soirée privée. Anonymat garanti. Entrée autorisée aux seuls détenteurs de ce flyer. PAF : 5000 F CFP - Nakamal de la Baie de Maa - samedi 10 mars - 21h."


Battements de cœur. Vertige. Je serai seule ce soir là. Y aller ? Y aller ? Y aller ? Comme une immense tension dans ma cage thoracique, et ce sexe qui se met à couler encore.


_ Papa, papa ! Maman elle a acheté des Nems et du poulet citron à la Balinaise.

_ Bonjour Martin ! Mais dis moi ?! On va se régaler !! Alors, comment c'était cette journée à l'école ?

_ Bof. J'ai préféré la bibliothèque.

_ et tu as pu trouver un petit livre à la bibliothèque Bernheim pour que je te le lise ce soir ?

_ oui, maman m'a dit qu'il s'appelait "La tortue rouge"

_ tu crois que c'est l'histoire du petit chaperon rouge mais avec une tortue ?

Bonsoir Chérie ? Ça va ? Tu as l'air essoufflée ?

_ oui, oui, ça va. C'est cette chaleur ! Vivement que la saison des pluies arrive enfin.


Il était temps de revenir à la vraie vie. 



Quinze jours que l'invitation est cachée dans un de mes livres. Cela n’a plus cessé de résonner “Y aller ? Y aller ! Y aller ?...”. Pas une journée sans que je n'aille ouvrir le livre lorsque je suis seule à la maison. Consulter le flyer. Rêves enfiévrés. Pas une journée où je ne me branle pas, parfois plusieurs fois dans une journée. J'ai du mal à me reconnaître. Je me suis mise à regarder les hommes sur la plage. Avec insistance. Leur entrejambe notamment. Le weekend dernier, nous avons rejoint des amis dans l'un des bars musicaux de la jetée. L'ambiance était belle. Ça dansait. Ça chantait. Ça buvait.  En arrivant, j'ai voulu leur dire que c'était la grosse teuf ici, ma langue a fourché, pour crier à haute voix afin de bien me faire entendre dans ce beau vacarme "Mais dites donc !!! C'est la grosse TEUB ici !". Ils étaient tous écroulés de rire. Mon mari aussi. Moi aussi, je dois bien le dire.


Je suis retournée deux fois à la bibliothèque avec les enfants. La bibliothécaire était toujours là. La semaine dernière, elle animait un atelier lecture. Nous nous sommes assis, les enfants devant, les adultes derrière, captivés par son récit. Sur le retour, les enfants dissertaient sur la chèvre de Monsieur Seguin. Cette pauvre biquette éprise de liberté, aurait-elle dû rester au clos ? Ou a-t-elle eu raison de partager la lambrusque avec une troupe de chamois avant de se faire dévorer par le loup ? Je ne m'étais pas même rendue compte que Miss Bibliothécaire avait choisi cette histoire. Moi je l'avais regardée, et je l'avais imaginée dans d'étranges positions. Baisée par la bouche par toutes sortes de queues immenses et immondes. Oui, j'avais vu cela. Je l’avais vue elle, et moi, le 10 mars. Et j'avais dû aller m'isoler aux toilettes pour me délivrer un peu de ces désirs inavouables. Un homme m'a regardé sortir des toilettes, la démarche chancelante, il m'a suivi dans l'escalier. Je sentais son regard sur mon cul. Je balançais mon cul. J'aurais voulu qu'il me prenne par les cheveux et me baise sur place sans se soucier de mon plaisir. J'ai l'impression de devenir totalement obsédée. Mon mari en profite un peu. Mais cela ne me rassasie pas. Je voudrais qu'il me prenne comme un objet, qu'il me baise en profondeur. Mais ça, il ne le fait pas. Nous n'avons jamais su faire cela, jamais vraiment osé nous montrer sans pudeur dans nos désirs.





Le 10 mars est pour dans trois jours. Je brûle d'y aller. J'essaye de chasser cette pensée. Je la combat frénétiquement. Mais plus je la combat, plus je lui cède du terrain inexorablement. Antoine sera en déplacement pro à Koné. Il part après-demain et ne rentrera que lundi soir. Je m'imagine à la place de cette femme. Cagoulée. Prise d'assaut par des inconnus. Non, non, non, c'est impossible me dis-je. Ce n'est pas toi ça !! Les enfants seront chez mon frère, à Naïa, pour l’anniversaire de leur cousin. Mais non, je ne peux pas y aller. D'une, même si je n'y vais que pour regarder, comment vais je faire pour regarder Antoine dans les yeux. Et puis, que diraient ma famille, mes amis, mes collègues s'ils apprenaient ça ! Je ne suis pas une salope… pourtant ce mot me fait vibrer à chaque fois que je le prononce mentalement lorsque je me branle la chatte ces derniers jours. Ce n'est pas moi !!!





Hier, nous sommes retournés à la bibliothèque. Miss Bibliothécaire était là. Terriblement sexy. J'ai remarqué à son cou un collier de cuir qu'elle n'avait, selon ma mémoire aléatoire, jamais porté. Une petite bague argentée aussi, avec un anneau. Je ne peux m'empêcher de songer que cela n'a rien d'innocent. Je crois qu’il est temps de lire ce que je n’ai jamais osé lire. Me voilà à farfouiller au rez-de-chaussée pour voir si jamais… et à la lettre S., j'ai trouvé un ouvrage qui il y a deux semaines je n’aurais pas osé touché, il m'aurait même, je crois, absolument repoussé. Philosophie dans le boudoir, Donatien Alphonse François de Sade. Je voulais jouer. Lui montrer. Avant que les enfants n'aient fini leur séance de lecture, je me suis présentée à elle avec le livre et je l'ai emprunté. Elle a souri en voyant le livre, pas sourit à moi, sourit à elle. Je me sentais très excitée, mes lèvres perlaient, je sentais ma culotte très humide.


_ c'est pour un enterrement de vie de jeune fille, ce week-end, ai je cru bon de préciser. Je sentais mon visage s'empourprer totalement, mes oreilles devenir brûlantes. Mais quelle cruche je faisais ! Cette fois son sourire était pour moi, et je me suis sentie fondre.

_ voilà qui promet une soirée haute en couleur chez vous aussi, m'a-t-elle répondu 

Je me suis mise à bredouiller je ne sais quelle réponse avant de tourner les talons et de filer rejoindre les enfants.

En partant, elle m'a adressé un joli sourire. Et moi, j'étais aux anges. Y aller !


Ne pas y aller. Ne pas y aller. Ne pas y aller. Ou si… Aujourd'hui, j'ai lu cette drôle de philosophie. Je me suis branlée encore et encore devant ces foutrages, ces troussages, ces viols et ces libations plus vicieuses les unes que les autres. Je ne pensais pas que j'aimerais autant ce que je lirais là. J'ai l'impression que je ne suis plus moi-même. Antoine en rentrant tard aujourd'hui, avant de se coucher, a vu ce livre sur notre commode. Il était très étonné.


_ tu lis ça ?

Je me suis sentie très gênée. Comment lui expliquer ?

_ je suis tombé dessus à la bibliothèque en cherchant de quoi lire.

_ je n’aurais pas imaginé qu’une bibliothèque publique puisse avoir ce genre de livre. Il va falloir que je m’abonne ! ajouta-t-il taquin !

_ Je me suis dit que lire un auteur dont tout le monde parle sans même l'avoir lu était une chose à faire.

_ tu as raison, ça doit être bien mieux que les 50 nuances et tout le toutim. Enfin, je dis ça, mais je n'ai ou ni l'un ni l'autre…

_ c'est quand même particulier lui dis-je, ce qu'il écrit me mets mal à l'aise, j'eu l'aplomb de lui dire

_ ah… me répondit-il d'un air étrangement déçu avant d'éteindre la lumière. Bonne nuit chéri.

_ Bonne nuit

_ Fais de beaux rêves

Et me voilà à nouveau partie pour une nuit d'insomnie. Je n'arrive pas à lui parler de moi. Et tout ce désir en moi. J'ai l'impression que je vais exploser, que l'on va m'écarteler et que je vais finir par mourir de contenir tout cela en moi. S’il en est encore, les Haruspices liront dans mes viscères “Morte de n’avoir pas baisé”.


La nuit fut difficile, je me suis caressée en silence. J'ai léché mes doigts à chacun de mes menus orgasmes, trois doigts dans la chatte, et deux doigts pinçant mes tétons, les tirant haut et les serrant fort. Plus tard, je me suis collé contre Antoine mais il n'a pas bougé. Il dormait. Il faut dire que ces journées de travail sont longues. Je me sens seule. Je me lève. Dehors c’est le clair de lune sur la baie de l’Orphelinat. Je me sens immensément seule. Je vais y aller. Le sommeil a mis du temps. Au matin, Antoine était déjà parti pour prendre son avion pour Koné, je ne le reverrai pas avant lundi. Je l’ai à peine entendu.





Je tourne les clefs du contact. Le moteur est coupé. C’est la première fois que j’accède à la baie en voiture. Un homme patibulaire muni d’un gilet orange fluo et d’un treillis de chasse gardait le portail. Je n’étais pas à l’aise. J’ai baissé ma vitre, la main sur la bombe lacrymo toujours présente dans mon sac. La voix de l’homme était étonnamment douce, son sourire sous la lumière du lampadaire finalement rassurant.

_ Bonsoir Madame

_ Je viens pour… comment pouvais-je donc bien dire cela ? Je viens pour me faire baiser ? Je viens parce que je suis obsédée ? Je viens parce que je ne sais pas pourquoi ?

_ Avez-vous pensé à amener le flyer ? Me suggéra-t-il d’une voix très rassurante.

_ Oui, oui, pardon, bien sûr, bien sûr. Et je le lui montrais.

_ Bien, je vous remercie pour la confiance que vous nous accordez et pour l’honneur que vous nous faites. Une si jolie femme… me dit-il gentleman. Tenez, pour garantir votre anonymat, nous vous offrons cet objet. Evidemment, vous pouvez tout à fait ne pas vous en servir. Personne ne vous tiendra rigueur, ni de l’un, ni de l’autre. Ce choix vous appartient.

_ Euh… merci. Je paraissais hésiter devant la marche à suivre.

_ Je vous invite à traverser le hameau, vous verrez au fond la lumière rouge du Nakamal. Il vous faudra payer votre droit d’entrée. Quelqu’un vous accueillera pour vous mettre pleinement à l’aise et vous guider. Je crois que vous êtes notre dernière invitée.

_ Merci


Les mains sur le volant, j’ai la gorge sèche. La poitrine comprimée. Je ne peux pas, ce n’est pas moi. C’est sur cette dernière pensée que l’impulsion est venue. Allez, arrête d’avoir peur. Tu le désires. Vas-y ! Prise par mon élan, je m’apprêtais à ouvrir ma portière sans même avoir jeté un œil à la poche noire que m’avait donnée le vigile. Après l’avoir ouvert, éclairée par la lumière du plafonnier, je trouve une cagoule de tissu noir, en synthétique, l’emplacement des yeux et de la bouche doublé d’un pourtour de faux cuir rouge. C’était donc ça… et je revoyais le visage masqué de la bibliothécaire pris par une bite invasive. Et je me revoyais de même. Alors, sans hésiter, j’enfilais cet attribut qui depuis deux semaines était devenu pour moi sexuel, vicieusement sexuel. Je m’y sentis bien, tout de suite. Apaisée. Ainsi objectifiable, quelques secondes après j’avais franchi le seuil de la cahute qui servait de Nakamal. Je n’étais jamais venue dans ce Nakamal ci, je n’en avais jamais entendu parler. Plus jeune, avec mes copines de lycée nous en avions fait pas mal dans ce style, bien roots, en bordure de la voie express, à Nouville, à Ducos, toujours proche des baraques de tôles. C’était un moyen de côtoyer un peu plus l’autre monde, sans les tensions du quotidien, nous mettions de côté nos différences. Ces lieux perdus et sombres ne m’avaient jamais effrayés. Antoine, quand nous nous sommes rencontrés, y voyait des coupes gorge. Moi, je crois que finalement, cela me rassurait ce dénuement. Je connaissais la façon de m’y mouvoir, même si cela faisait longtemps. Et j’entendais déjà les bienfaits du Kava, les paroles douces, fluides, les discussions apaisées. La jeune femme à l’accueil fut très discrète, dans une voix très basse et dans un phrasé très lent, elle me complimenta pour ma robe noire, me proposa de m’offrir un kava.


_ Voulez-vous un 100 ? un 200 ? ou peut-être un 300 ? me proposa-t-elle en me montrant les demies noix de coco sur le plan de travail. Je retrouvais mes vieux réflexes, et je savais qu’un 200 allait être parfait pour moi.


C’est une fois la boisson bue, le peu de reste vidé dans le long lavabo d’école, et la bouche rincée à l’eau que j’entrais cette fois sur la plage. La lune n’était pas visible ce soir. Je distinguais vaguement des formes humaines assises sur des chaises en plastique, d’autres allongées sur des transats, des bouts de peau rouges, ou verts selon la lumière des différents espaces, d’autres parfaitement dans l’obscurité. Des palmiers délimitaient des zones. De nombreux corps étaient nus ou dénudés. Je m’approchais d’un espace, des gens parlaient à mi-voix. J’entendais les sourires dans leurs voix. Je me sentais bien. Et devant moi s’offrait une scène d’orgie lente. Deux femmes étaient allongées sur un péwé de plastique, toutes deux cagoulées, des hommes musculeux, fluets et d’autres ventripotents les besognaient presque silencieusement. Elles gémissaient dans une plainte susurrée et extatique. Et moi, moi, j’étais déjà à glisser ma main sous le rebord de ma robe. D’instinct, librement. Je regardais les sexes d’homme, je détaillais leur forme, certains hommes étaient debout, regardaient, la queue tendue entre leurs mains. Quelques couples étaient là. Parfois une main venait branler un sexe. Une main d’homme ? une main de femme ? Ma main ? Peut-être bien aussi. Je me suis éloignée. En marchant au hasard des allées, protégée par mon anonymat et de plus en plus flottante grâce au second kava que je venais de prendre, je voyais des scènes d’ébat douces, parfois seulement des gens qui parlaient, d’autres des couples qui s’embrassaient, se blottissaient l’un contre l’autre. Et moi, je regardais la mer. Le noir de la mer. Le néant qui parle en bruit de vague. Ma robe remontée, ma main entre mes cuisses. Ma main branlant mon sexe. Un homme s’est installé debout à côté de moi. Une femme l’accompagnait. Son visage à lui était caché. Son visage à elle, ne l’était pas. C’était ma Bibliothécaire, je crois. C’était difficile à dire. La lumière était faible ici. Alors, peut-être que je voulais croire que c’était ma Bibliothécaire. Elle s’est assise à côté de moi sur l’herbe rase, à me toucher de ses hanches, m’apportant un surcroît de chaleur dans la tiédeur de la nuit. Son amant lui a fait face, elle a sorti son sexe déjà tendu, baissant sa braguette et se mettant à le sucer avec délicatesse d’abord, avec une passion non feinte ensuite, ponctuant de sa bouche des bruits équivoques, des sons de plaisir que son partenaire partagé lui aussi. Ma main gauche toujours entre mes cuisses, ma main droite s’est occupé de son sexe à elle. Et d’une bouche, de la sienne à la mienne, la queue de l’autre s’est mise à nous baiser la bouche, sa main à rejoindre mes chevelure, son autre la sienne à elle. Sa main à elle s’enchevêtrant dans mon sexe bouillonnant. Il nous baisait. Fourrant sa queue tour à tour dans nos bouches grandes ouvertes, nos lèvres se refermant sur le membre, nos langues l’enroulant savoureusement. Ses mouvements de hanche s’amplifiant, la voix de l’homme était chaude, salace, suave aussi, elle coulait en moi comme j’aurais voulu que sa queue vienne glisser dans mes entrailles. Sa voix était rauque, sa voix était animale et moi j’ouvrais la bouche, ne faisait plus rien d’autre que prendre son sexe, son membre, sa queue chaude et brulant en moi. Ma bibliothécaire prenant le relai de mes mouvements, se plaçant derrière moi, mettant ses deux mains de part et d’autre de mon crâne, elle imprimait à ma tête des mouvements d’avant en arrière, me laissant peu de temps pour respirer, m’obligeant parfois à enfouir ma bouche dans le public frisé de l’homme, jusqu’à en perdre totalement le souffle. J’étais ailleurs, dans un autre monde, on usait de moi et mon plaisir était quelque chose de dingue, de totalement sidérant. L’homme a fini par jouir dans ma bouche.


_ Embrassez-vous, embrassez-vous ! dit il dans une forme d’urgence tandis qu’il se retirait de ma bouche tanguant légèrement dans la profondeur des ombres.

Et ce fut ce baiser que j’offris enfin à ma Bibliothécaire, dans le plus parfait des secrets. Ils se sont éclipsés rapidement. Je me sentais heureuse, vibrante, reconnaissante à je ne sais quel dieu de débauche. J’ai enlevé ma cagoule pour retrouver un peu de fraîcheur. Je me suis allongé sur une natte. Un homme est venu s’allonger contre moi, se lover doucement et lentement, prodiguant sur mon corps des caresses délicates et tendres, des massages qui ont fini par me porter très loin. Il est venu en moi. Je ne sais pas s’il était protégé. Je crois. Mais j’avais tellement envie de lui, de sentir le corps de cet inconnu m’investir. Et il s’est mis à me baiser entre douceur et ferveur, presque de l’amour, qu’il s’agisse de mon sexe ou de mon cul. Presque en dévotion, jusqu’à extraire de moi tous les bruits de gorge dont je n’avais pas imaginé être capable avant de m’effondrer, inerte, le corps convulsé de secousses qui ont fini par anéantir toute conscience en moi, l’esprit, cette fois parti loin, très loin au fond de la mer de Corail.





Je ne sais comment je suis rentrée chez moi. Antoine est déjà là. Comment est-ce possible ? Sa main est posée sur mes hanches, son ventre contre mon dos. Nous sommes nus. Je sens sa respiration dans le creux de ma nuque. Voilà des mois, peut-être plus, que nous n’avons pas été ainsi, l’un contre l’autre. Sur mon chevet, il y a une cagoule noire et les clefs de la voiture d’Antoine. Par terre, une autre cagoule et un flyer du Nakamal.

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