Accéder au contenu principal

Les larmes

Je n'ai pas dormi cette nuit. Nous nous étions donné tacitement quelques jours de répit, une trêve des confiseurs, où sans doute s'est elle raccroché à un espoir, l'idée que onze années de vie commune ne pouvaient être détruites en  quatre jours. Ce matin les mots échangés m'ont donné la sensation que ma tête gonflait comme un ballon, mon corps suivait, je devenais une masse,  un bloc de granit, une tombe. J'entendais les paroles, elle était à quelques centimètres de moi dans la nuit, nous nous parlions et j'avais l'impression que mon corps s'installait dans une autre pièce, que son corps à elle n'était pas dans cette même pièce, que seuls nos mots parvenaient à nous. Ce matin je me suis enfermé aux toilettes et je me suis mis à pleurer à gros sanglot. Ma fille est venue réclamer son papa. J'ai séché mes larmes et je lui ai donné un peu d'attention. Mon baiser paternel du matin m'a arraché des larmes que j'ai repoussé de toute ma force, j'avais envie de la prendre dans mes bras, de m'excuser de tout ce que j'étais en train de faire, de lui dire qu'il fallait que je le fasse, que je l'aimais. Elle n'aurait pas compris. Dans le bureau du psy, j'ai longtemps gardé le silence, le temps de parvenir à trouver le ton monocorde, grave et bas qui me permettrait de ne pas amplifier mes larmes. Il a conclu en me disant "très bien", je n'ai pas eu la force de lui rire au nez devant l'absurde vérité de sa sentence. Vint le temps de la route. Ce matin je ne fus qu'un cri. Mon premier cri. Celui que je me suis toujours interdit par crainte de me jouer mon cinéma. Les deux mains serrées sur le volant, quelques pleurs ruisselaient sur mes joues, ma vitesse était modérée, j'ai coupé la musique d'un geste brusque, j'ai adressé un "ferme ta gueule !" moitié muet moitié inaudible, une insulte adressée à cette chanteuse qui n'y était pour rien, et je l'ai lâché. J'ai accouché d'un cri de douleur que je n'imaginais pas. Un cri sincère. Une bête blessée se ruant de toute sa vie en un souffle court et puissant. J'ai eu la sensation d'être là et ailleurs, presque surpris par toute cette douleur qui perlait sur mes joues, qui s'évadait de mes lèvres. Je me suis surpris moi même et l'instant d'une fraction de seconde je me suis observé comme un animal étranger. Mon visage s'est effondré en sanglots compulsifs et d'autres cris plus courts et aussi rauques ce sont échappés à nouveau. Puis lentement les pleurs se sont calmés, le rouge du blanc de mes yeux s'est dissous, la tension s'est évadée pour un temps. Ce soir ma voix en restera encore éreintée. Dans cinq jours c'est l'anniversaire de ma fille, elle fêtera ses deux ans. Dans cinq jours je n'ai aucune idée de ce qu'il en sera exactement... ou j'ai trop peur de le savoir déjà.

Posts les plus consultés de ce blog

La Malemort

Dans la clarté de la nuit des songes en nuées là la Malemort où je ne sais quoi sort s'étire et s'enchâsse s'enlace jusque sous ta gorge griffant mordant soufflant le chaud et le froid sur la peau fine écarlate prête à geindre en mille éclats de lunes en ta face putasse ta queue branlée tes bourses lourdes mises à mal pour le long voyage la malle poste et ta tête branlante riposte étouffe entre les cuisses la douceur de la peau le tendre abrasé par ta barbe impropre parsemée de l'odeur forte de son con tant de fois baisé sous le lit des pinèdes qui là te font suffoquer ahaner en grande goulée giboulée et bâillon de bave embrassées nage nage petit poisson poisseux visqueuse bite guerre de tranchée perdue avant que la messe ne soit dite car l'avant fut fessé pris engouffré pénétré fouetté mâle mené foutraqué fourré comme jamais quatorze queues putargues avalées pour te voir plus tard t'affaler offert lustré ta sueur suie blanche crasseuse épaisseur criante et ton

Un répit

 L'un contre l'autre, assis dans le salon. Lumières éteintes. Quelque chose comme trois heures passées minuit. Les lueurs de la vie. Les solitudes choisies, subies. Tes mains qui me massent, nous apaisent. Le dos se dénoue. La colonne s'abandonne. Je sens ton envie. La mienne naît ainsi de la tienne. Je ne dis rien. Je ne suis pas même certain de le vouloir. Pourtant je le veux. Mais je crains l'après. Est ce que cela effacera l'avant ? Est ce que cela effacera le dernier mois ? Ce serait plus simple, mais je ne veux pas que cela efface. L'amnésie et l'oubli pour ceux qui craignent. Je suis capable de cela. Mais je ne veux pas. Alors tu demandes. Je dis oui, j'ai envie. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, je ne sais pas si cela compliquera plus encore. Je dis cela, et je dis j'ai envie. Et tes mains continuent à glisser sur ma peau. Et tes seins, et ton ventre, et ton bassin, collés contre mon dos. Je bande. Depuis longtemps déjà. Depuis que

La chambre des rêves (communion d'un Ange ou d'un Fou)

  Bande son : Handel - Giulio Cesare in Egitto, HWV 17, Act II, scène XIII : Aria-largo "si pieta di me". Interprète : Sandrine Piau https://www.deezer.com/track/92369954 —-----------   Bilbao. Au coeur del Cerco Viejo, tout proche de la Plaza Nueva, non loin del Nervion, il y a une petite rue, des odeurs légères et trainantes de tortillas, de chipirones frios, des éclats de voix, ceux des enfants qui jouent, ceux des adultes qui s'apostrophent dans le brouhaha tout proche, des bruits de vaisselles, celles que les serveurs lavent à la va vite avant de les remplir de pintxos gourmands et généreux. Franchir le passage, c'est se noyer dans le coeur battant de la ville, dans la foule et la vie sociale, l'alcool et les rires, le plaisir de l'instant et les amitiés braillardes. Restons en bordure. Au numéro uno de cette petite kalea servant de desserte à la dizaine de bar à pintxos de la Plaza, avant le chao des hommes, il y a une porte dont seul les rêveurs ont l&#