Accéder au contenu principal

La silencieuse Aubrac

 Tandis que je marchais sur le chemin de Compostelle, j'ai croisé lors de la première étape après le Puy une jeune femme. Cette jeune femme me rappelait une autre jeune femme que j'avais aimé. Une histoire sans doute impossible. Une histoire peut être à la Kundera. Plus simplement cette femme que j'avais aimé s'appelait Sarah.

Malgré son âge plus jeune que le mien, six ans. Ce qui est peu. Cette jeune femme m'impressionnait par son approche du monde. Elle aimait beaucoup, semblait libre, avait vécu en Amérique latine en travaillant dans un orphelinat.

Très libre dans ses moeurs, elle était pourtant profondément croyante, protestante. Ses relations étaient sans doute assez instables et le regard qu'elle portait sur elle lui disait que jamais elle n'aurait d'enfant. Moi, cette jeune femme que j'avais peu vue, alors que je vivais avec mon épouse, alors que j'étais père, et bien, spontanément, j'avais envie de lui faire un enfant.

Je ne sais pas ce qui lui a plu en moi. Jamais je n'aurais cru pouvoir passer une nuit avec elle. Mais j'étais simplement heureux d'être son ami. A l'époque, j'avais perdu la boussole de mon couple. J'étais écartelé entre une vie virtuelle riche, où je jouais inconsciemment un rôle, et un quotidien où j'étais tout aux autres. Je me refusais à l'idée de mettre fin à mon couple pour lui proposer une relation, mais je sentais que l'idée était là. Mes principes montaient la garde.

J'étais perdu. Mais sans qu'elle ne cherche à me guider. Son approche des choses m'aidait à trouver le courage. À cesser de me plaindre. À prendre les choses en main.

J'ai donc parlé à mon épouse. Je lui ai dit que je ne l'aimais plus. Que trop de chose dans notre vie ne fonctionnait pas et que je n'étais plus capable d'accepter cela, de me résigner. Je n'ai rien dit à Sarah. Du reste, libre comme l'air, Sarah s'était envolée.

L'une des décisions majeure que j'ai prise fut de partir seul sur le chemin. Mais ce n'était pas simple. J'avais peur de cet inconnu. Marcher seul, moi qui avait tout fait pour répondre à l'immense besoin de présence et d'amour de mon épouse. Au point que j'avais toujours tu mon envie de partir marcher sur le chemin auprès de mon épouse.

Alors, poussais par mon épouse pour que je tienne l'idée de marcher seul, sans ami, j'ai marché, et j'ai vu cette jeune femme. Il était 18h. Elle était devant l'église avec d'autres jeunes. J'ai pensé qu'elle habitait le village. Elle était rousse comme Sarah. Une beauté un peu masculine, un peu rigolote, une beauté pleine de finesse.

Et puis le lendemain, ou le surlendemain je l'ai croisée à nouveau. Elle faisait le chemin de St Jacques elle aussi. La solitude me pesait et j'espérais pouvoir marcher un peu avec elle. Profiter d'une pause pique nique pour rompre cette solitude inhabituelle.

Mais nous ne marchions pas d'un pas suffisamment synchrone. Et souvent elle était accompagnée d'autre jeunes hommes.

Lors de l'étape qui marqua mon entrée en Aubrac. Je suis allé profiter du rayon de soleil devant l'église. J'occupais une chambre d'hôtel un peu éloignée du centre du village. Une chambre avec deux lits simples.

En regardant l'entrée de l'église, j'ai découvert un texte qui m'a marqué. Ce texte parlait vrai. Ce texte me parlait profondément. Je n'avais rien pour écrire, je n'avais pas pris mon téléphone durant ces premiers 10 jours de marche. Impossible donc d'en prendre note.

Le soleil était chaud, éblouissant. C'était bienfaiteur. Et cette jeune femme est arrivée sur la place. Nous avons parlé un peu. Je lui ai demandé son prénom.

Elle se prénommait Sarah.

Elle allait au bout du chemin, si dieu le veut me dit elle. Mon coeur a fait boum, c'est mis à battre follement quand elle m'a dit son prénom. J'étais extrêmement troublé. Je lui ai dit qu'elle ressemblait beaucoup à une amie chère qui portait le même prénom.

Elle a du percevoir mon trouble. Elle n'avait trouvé aucun logement. Alors je lui ai proposé simplement de partager ma chambre si elle n'avait nulle part où dormir. Elle m'a fait la politesse de noter mon téléphone, mais je savais qu'elle sentait mon trouble et qu'elle ne viendrait pas.

Le lendemain, toujours troublé par ce texte et cette rencontre, j'avais envie de revenir devant l'église pour notre sur mon carnet le texte affiché. Mais j'hésitais. Cela me faisait revenir sur mes pas, marcher un ou deux kilomyde plus sur une journée qui serait longue. Alors j'ai repris le chemin.

Puis, j'ai fini par faire demi tour pour relire et noter ces mots qui me parlaient tant. C'était compliqué pour moi de revenir sur mes pas. Comme si je devais faire là un apprentissage du désengagement.

Mais je l'ai fait et j'ai étais heureux de le faire. Plus tard j'ai recroisé une fois Sarah, deux ou trois étapes plus loin. Elle avait fini ce soir là par frapper à une porte dans le village pour demander le gîte. Elle fut orientée chez une vielle dame et a passé une très belle soirée à discuter avec cette femme d'un âge avancé. Elle avait bien fait de refuser ma proposition. Son chemin était vrai.

Aujourd'hui, le texte que j'ai noté, celui qui était affiché sur la porte de l'église, je le relis souvent. C'est une prière. La prière du père Athenagoras.

Cette prière est celle ci :

La guerre la plus dure, c’est la guerre contre soi-même.

Il faut arriver à se désarmer.

J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.

Mais je suis désarmé.

Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur.

Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison,

de me justifier en qualifiant les autres.

Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.

J’accepte et je partage.

Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets.

Si l’on m’en présente des meilleurs,

ou plutôt non, pas meilleurs, mais bons,

j’accepte sans regrets.

J’ai renoncé au comparatif.

Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.

C’est pourquoi je n’ai plus peur.

Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.

Si l’on se désarme, si l’on se dépossède,

si l’on s’ouvre à l’Amour qui fait toutes choses nouvelles,

alors, l’Amour efface le mauvais passé

et nous rend un temps neuf où tout est possible.

Elle me guide et m'a permis peu à peu d'accepter ma solitude, de rebrousser chemin parfois pour profiter de l'instant, d'accepter ce qui est bon sans chercher le meilleur. D'accepter que des histoires puissent naître et disparaître, d'accepter issu que des histoires puisse parfois renaître.

En vrai je philosophe, les choses ne sont pas si simples. Et c'est parfois un combat.

J'ai revu Sarah, mon amante papillon, celle qui me voyait comète. Je l'ai revu il y a un an dans un café proche de la gare de Lyon. Nous avons déjeuner ensemble. Nous avons sauté de joie dans nos bras. Quel plaisir c'était de la retrouver ! Nous avons beaucoup parlé. Lorsque je lui ai dit que j'étais incapable de baiser sans aimer, j'ai vu qu'elle acquiessait. C'était silencieux, mais j'ai vu qu'elle était convaincue de cela. Ce fut la sans doute ma façon de lui dire je t'aime et sa façon de recevoir ce présent là. Mais je brode sans doute aussi un peu trop en affirmant cela.

Sarah s'est mariée, a failli divorcer, divorcera peut être ou sans doute. Elle est mère d'une petite fille. C'est une position étrange pour elle, je crois que cela la surprend beaucoup encore. Depuis ce mois de janvier 2020, et notre dernière rencontre, elle ne m'a plus donné de nouvelles. Nous avions attendu 10 ans pour nous revoir au hasard d'un commentaire laissé sur mon blog. Nous attendrons peut être encore dix ans de plus. Et c'est bien ainsi.

Voilà ce qu'est aussi l'Aubrac pour moi. Voilà ce qu'est aussi la solitude et la plénitude de la présence des autres, même dans les silences.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La Malemort

Dans la clarté de la nuit des songes en nuées là la Malemort où je ne sais quoi sort s'étire et s'enchâsse s'enlace jusque sous ta gorge griffant mordant soufflant le chaud et le froid sur la peau fine écarlate prête à geindre en mille éclats de lunes en ta face putasse ta queue branlée tes bourses lourdes mises à mal pour le long voyage la malle poste et ta tête branlante riposte étouffe entre les cuisses la douceur de la peau le tendre abrasé par ta barbe impropre parsemée de l'odeur forte de son con tant de fois baisé sous le lit des pinèdes qui là te font suffoquer ahaner en grande goulée giboulée et bâillon de bave embrassées nage nage petit poisson poisseux visqueuse bite guerre de tranchée perdue avant que la messe ne soit dite car l'avant fut fessé pris engouffré pénétré fouetté mâle mené foutraqué fourré comme jamais quatorze queues putargues avalées pour te voir plus tard t'affaler offert lustré ta sueur suie blanche crasseuse épaisseur criante et ton

Un répit

 L'un contre l'autre, assis dans le salon. Lumières éteintes. Quelque chose comme trois heures passées minuit. Les lueurs de la vie. Les solitudes choisies, subies. Tes mains qui me massent, nous apaisent. Le dos se dénoue. La colonne s'abandonne. Je sens ton envie. La mienne naît ainsi de la tienne. Je ne dis rien. Je ne suis pas même certain de le vouloir. Pourtant je le veux. Mais je crains l'après. Est ce que cela effacera l'avant ? Est ce que cela effacera le dernier mois ? Ce serait plus simple, mais je ne veux pas que cela efface. L'amnésie et l'oubli pour ceux qui craignent. Je suis capable de cela. Mais je ne veux pas. Alors tu demandes. Je dis oui, j'ai envie. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, je ne sais pas si cela compliquera plus encore. Je dis cela, et je dis j'ai envie. Et tes mains continuent à glisser sur ma peau. Et tes seins, et ton ventre, et ton bassin, collés contre mon dos. Je bande. Depuis longtemps déjà. Depuis que

La chambre des rêves (communion d'un Ange ou d'un Fou)

  Bande son : Handel - Giulio Cesare in Egitto, HWV 17, Act II, scène XIII : Aria-largo "si pieta di me". Interprète : Sandrine Piau https://www.deezer.com/track/92369954 —-----------   Bilbao. Au coeur del Cerco Viejo, tout proche de la Plaza Nueva, non loin del Nervion, il y a une petite rue, des odeurs légères et trainantes de tortillas, de chipirones frios, des éclats de voix, ceux des enfants qui jouent, ceux des adultes qui s'apostrophent dans le brouhaha tout proche, des bruits de vaisselles, celles que les serveurs lavent à la va vite avant de les remplir de pintxos gourmands et généreux. Franchir le passage, c'est se noyer dans le coeur battant de la ville, dans la foule et la vie sociale, l'alcool et les rires, le plaisir de l'instant et les amitiés braillardes. Restons en bordure. Au numéro uno de cette petite kalea servant de desserte à la dizaine de bar à pintxos de la Plaza, avant le chao des hommes, il y a une porte dont seul les rêveurs ont l&#