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Les choses du sexe

 Texte écrit pour sous la contrainte d'écriture du mois de Décembre 2023 du groupe Passion Écrire 

La contrainte était d'écrire un texte inspiré d'une vidéo non choisie et attribuée aléatoirement sur proposition d'un membre du groupe.


Dès lors, si vous vous apprêtez à lire le texte qui suit, avant de le faire, je vous invite à regarder l'oeuvre visuelle dénommée "Tango" dans laquelle la plume a trouvé écho. Vidéo proposée par @Miss_Tine : https://www.youtube.com/watch?v=z27z7oLQb3o


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Les choses du sexe.


Enfant je ne savais rien de cela. Je ne savais rien des choses du sexe. Je ne savais rien, mais les germes étaient là, il est impossible qu’il en soit autrement. Quand est-ce que j’ai su ? Quand est-ce que le mal a fait son nid ? Quand est-ce que je lui ai laissé une grande place dans mon ventre, dans ce que je ne disais pas, dans ce que je ne faisais pas, dans ce que je voulais tout le temps et dans ce que je fuyais plus vite et plus fort encore parce que, justement, je le désirais ardemment et cela me terrorisait ? Est-ce que c’est moi qui lui ai fait cette place, ou est-ce que la place était déjà là, déjà faite, déjà prête ?


Est-ce que cela vient de la caresse que l’on reçoit enfant dans les cheveux, quand on se laisse porter par le frisson qui se répand de ton crâne jusqu’à l’échine ? L’été, le torse nu, enfant, la chaleur qui retombe enfin à la nuit tombée, la présence que l’on recherche. La caresse que l’on espère en se faufilant auprès de l’être aimé. L’espoir de la caresse, l’espoir d’un brin de vent qui irise la peau. L’attente de ce que l’on ne demande pas parce que ce n’est pas bien de demander. Si tu demandes, peut-être que tu n’auras pas. Si tu demandes, tu seras coupable d’avoir souhaité quelque chose pour toi. Si tu demandes, tu ne seras pas un enfant bien, pas un enfant gentil. Il y aura encore plus de raisons pour qu'on ne t'aime pas. Parce que tu penses que l'on ne t'aime pas et que, cela, c'est de ton fait. Si tu montres que tu désires, on te dira non. Mais cette caresse tu l’attends, tu l’attends sans cesse. Et tout de même souvent on te l’offre. La caresse de la mère. Ce qui n’est jamais assez pour combler le vide béant qui ne cesse de croître en toi. Est-ce que c’est ce côté très suave des choses qui te paralyse autant qu’il te transcende ? Ce truc qui te fait t’immobiliser et mettre tout en pause, si ce n’est le désir, au moins l’envie de l’encore que tu tais à toute force. Pour te conformer à ce que tu crois être ce qu’on attend de toi. Pas de bruit. Pas de vague. Soit sage. Efface-toi. Disparaît. La caresse, c'est ce qui te fait exister, un temps, juste un temps. Un temps qui nourrit l’infini, l’espace derrière les étoiles cachées par la lune. Ce frisson dont on ne voudrait jamais qu’il s’arrête parce que c’est bon, là, parce que dans l’instant, on se sent désiré, enfin aimé. Mais cela ne dure qu’un temps. Le temps de la caresse avant que tout ne s’efface, jusqu’à la prochaine caresse. Après la caresse, c’est comme si tu ne l’étais plus. Aimé.


Parce qu’après tout, est-ce que cet enfant est aimé ? Est-ce que même si la mère te dit que tu l’es plus que tout, parce que tu es sa chair, son sang, parce que tu as été nourri à son sein. Cela ne peut suffire. Si tu es sa chair, ce n’est pas toi qu'elle aime, c'est elle. Et toi, qu’est ce que tu es petit enfant ? Tu es la blessure, sa déchirure, la cicatrice qui ne pourra jamais se refermer. Et si tu l’es, aimé, par qui l’es-tu ? Pour quelle bonne ou mauvaise raison l’es-tu ? Est-ce que cela se joue dans l’absence de caresse du père ? De caresse du père, il n’y a pas. Ou alors, tu ne la vois pas. Ou alors, on ne te laisse pas la voir, on ne laisse à cette caresse aucune chance de s’exprimer et de se réaliser. Il n'y en a pas. Alors, tu n’as pas d’autre existence que le moment où l’on t’offre cette caresse. Et toujours, tu attendras la caresse du père qui jamais ne viendra. Parce qu’elle ne viendra pas. C'est sûr. Il y a la sœur qui est là. La sœur à peine plus âgée mais qui déjà te dit que c’est elle d’abord pour le père, que c’est peut-être aussi elle d’abord pour la mère, pour les amis des parents, pour les grand-parents, pour tes amis même. Elle dont tout le monde te dit que c’est elle qui sera la première en tout. En tout cas, toi, tu vois les choses comme ça. Vrai ou faux, c’est la vérité que tu choisiras de te construire, et de laisser pousser dans ton jardin. Sale et fausse vérité. La sœur qui te fait poupée, sa poupée, son jouet. Un jour tu seras Ken. Le jour suivant, tu seras la copine de Barbie. Et puis pourquoi pas le fauteuil de Barbie, ou son lit, ou la table, le salon où elle s’installera de longues heures. Tu seras aussi une fille, parce que cela te semble te donner quelque chose. Tu accèdes à ce que les garçons ne peuvent accéder, la compréhension du caméléon, le travestissement et l’idée que tu n’es pas comme les autres, parce que toi, à de rares fois, à de bref moments, tu sais que tu fais partie de la communauté des femmes. Mais tu n’en fais pas partie, parce qu’entre tes jambes, il y a un sexe d’homme. Alors tu désires y être, en être, qu’on t’accorde cette attention, cette place un peu à part où l’on t’accepte dans le monde des confidences, dans le royaume de la douceur et des caresses. C’est peut-être ta planche de salut, puisque tu ne peux pas faire partie de la communauté des hommes et que ce ne sont pas les hommes qui te donneront les caresses que tu ne demandes pas. Mais, on te montre bien que, non, cet univers féminin, ce n’est pas ton monde. Et, si tu y es accepté, c’est seulement parce que l’on t’y invite. Alors, tu joues à la balle. Mais tu joues seul. La balle que tu fais rebondir contre le mur de la maison. La maison construite des mains du père. La maison habitée par ta mère et ta soeur, elles qui remplissent de vie la maison, et toi le passager clandestin. Le petit garçon qui a peur. Celui qui croit ne pas être aimé, celui qui va même croire qu’il ne peut être aimé. Le petit garçon qui envoie la balle vers les autres et qui dans sa tête finit toujours par aller chercher le ballon que personne ne prend le temps d’attraper. Lancer la balle. La regarder passer par la fenêtre, passer entre les jambes, traverser la pièce, entre les gens. La regarder rebondir. Aller la chercher. Se faufiler. Revenir. La lancer à nouveau. Se faufiler sans que personne ne te voit.


La recherche de la caresse. Et la croyance que la caresse n’est pas méritée. La caresse que tu voles. Celle que tu vas prendre en t’introduisant dans la chambre sacrée. La chambre où dorment les parents. La pièce froide, exposée au Nord Est, l’odeur qui n’est pas celle des pièces communes. Celle où tu te diras pendant longtemps qu’elle ne sert forcément qu’à dormir, mais aussi celle où il te semble que les secrets sont entreposés. Alors, tu aimerais tant regarder dans les tiroirs, ouvrir les boîtes, voir ce que l’on ne te montre pas. Mais ce que tu aimerais tant savoir, tu fais tout pour ne pas chercher à le savoir. Alors, la nuit, parfois tu rentres dans la chambre, toutes lumières éteintes. Tu les entends respirer. Tu y rentres pour une raison simple, parce que ton nez coule et que tu as besoin d’un mouchoir, les mouchoirs étant entreposés dans l’armoire de bois, l’armoire dans la chambre des parents, l’armoire ornée de barreaux de bois entre lesquels il te suffit de passer ta fine main pour te saisir de la pièce de tissu sans bruit. Est-ce que vraiment, jamais ils ne t’ont entendu ni vu ? Est-ce que vraiment, jamais tu ne les as dérangé en train de faire ce dont tu n’avais strictement aucune idée, mais que tu dois pressentir d’une façon ou d’une autre ? Est-ce que, vraiment, ce frisson, cette tension que tu ressens, le silence de tes pas sur la moquette lavande, la maîtrise de ton souffle, l’effacement que tu te donnes pour aller chercher les mouchoirs de tissus, faire le voleur, est ce que, vraiment, ce n’est pas autre chose que tu recherchais ? Le voyeurisme derrière le vol. On te dira un jour alors que pour la première fois tu te retrouves à dormir avec d’autres enfants à l’occasion d’une classe de neige, seul, loin de ta mère, coupé de ta soeur qui, d’ailleurs, débute une nouvelle et triste vie d’attraction sexuelle de ceux qui portent une bite au collège, dans l’absence du regard du père, livré à toi même, on te demandera si tu sais comment on fait les bébés. Et tu n’en sais rien. Je crois que tu ne t’es même jamais posé la question. Et l’absence de réponse laisse en toi un vide insondable. Est-ce que je suis né de quelque chose ? Est-ce que je suis né de quelque chose que l’on ne dit pas ? Est-ce que je suis né d’un plaisir qui ne devait pas avoir lieu ? Est-ce que le plaisir seul devait avoir lieu et moi je n’aurais pas dû naître ? Il est clair dès lors que le père n’est pas le père. S’il l'est, il a souillé. Tu comprendras plus âgé en observant ton visage fatigué, tes sourcils fous, tes yeux qui s’avachissent et tes joues lâches, qu’indéniablement il est ton père, et tu es son fils. Est-ce que tu deviendras lui ? Mais avant cela, voilà, c’était établi, tu ne pouvais pas avoir de père.


C’est impossible que ta mère puisse aimer un autre homme que toi, elle te le dit, tu crois qu'elle te le dit, tu sens qu’elle te joue toi contre lui. Alors, tu seras l’homme irréprochable. Celui qui se construira aussi dans l’idée de ne pas être un homme. Un homme qui aimerait être une femme. Mais tu n’es même pas un homme. Tu es un enfant. Tu veux en être un, sans pouvoir en être un, sans vouloir, et tu refuses. Un homme, ça désire des choses sales. Un homme, ça n’aime pas, ça boit, c’est vile, c'est violent. Ça disparaît un jour plusieurs jours. Plusieurs semaines peut-être, et ça réapparaît un jour sans explication, sans mot posé sur ce qui pour toi est devenu un peu plus abandon. Un homme, ça ne pense qu’à construire les murs, poser un toit, réparer une panne électrique, ça ne pense qu’à faire sa maison sans chercher à remplir la maison d’amour, sans se soucier de ceux qui y vivent, sans aider, sans prendre soin. Un homme, ça met les pieds sous la table, ça boit son pastis devant le JT de 13h de TF1, ça rentre, ça sort, ça prend l’air sérieux du médecin de famille qui te visite et qui ne pense qu’à sauter ta mère. Ta mère qui dit grand bien du Docteur, autant parce qu’il est beau, qu’il a de belles manières, qu’il est instruit en comparaison de tout ce qui entoure le monde de tes parents, de ton monde. Le docteur qui est riche aussi, et peut-être aussi qu’il est bon en des choses que tu ne sais pas. Toutes ces pensées sales que tu retiens. Parce que, en fait, tu désires. Tu désires avoir ta dose, ton petit coin de paradis. Toujours la caresse. Le moment de grâce au milieu de cette merde. La caresse qui sublime, qui t’éloigne du vil, le vil qui grandit en toi, le vicieux qui n’est pas conforme avec l’exigence que tu forges envers ta propre personne. Et tu enfouis, tu creuses une tombe profonde pour y jeter tout ce qui est mal. Le désir avec. Parce que c’est peut-être d’un mauvais désir que tu es là. Tu te demandes pourquoi la mère refuse le père. Tu commences à te faire le film que derrière l’impossibilité du rapport au père, il y a quelque chose de malsain, dont en fait tu es responsable, parce que c’est forcément toi qui est en cause si tu n’es pas aimé, mais plus loin encore il y a la petite musique. Tu rêves un jour que tu suces ton père. Tu rêves un jour que tu pisses sur une femme plus âgée. Tu ne comprends pas, tu es trop jeune. Mais les rêves sont là. Et les rêves, c'est des écumes de vagues qui viennent des profondeurs. Ça reste. 


Tu regardes le monde autour de toi, les gens qui entrent, qui sortent. Tu regardes ce que font les gens. Tu rêves. Tu t’imagines leur vie. Tu en es le spectateur. Et tu prends plaisir à regarder la vie se jouer sans en faire partie. Tu développes cet art de comprendre les solitudes parce que tous ceux que tu vois sont seuls. La femme âgée qui traverse la route. La jolie jeune femme qui se déshabille sur la plage en se montrant ostensiblement à tous. Le couple qui dîne au restaurant à la table d’à côté. L’homme qui montre ses jambes et qui ressemble à une femme. Toi. Toi aussi tu es seul. Tu peux être entouré, cela ne changera pas cela. Tu es seul. Tu écoutes. Tu observes. Tu imprimes les sons, les musiques, les silences, les non-dits, les expressions du visage, elles s’impriment même sur ton propre visage. Tu croises quelqu’un, et ce visage se modèle sur le tien. Est-ce que cela se voit ? Toi, tu le sens. Tu les emmagasines quelque part en toi.


Toi, tu veux faire le bien. Toi, tu veux fonder ta famille. Toi, tu veux donner de l’amour, loin des tumultes et des turpitudes de tes désirs vicieux que tu crois avoir abandonné une fois pour toute derrière toi. Tout ce qui te sauteras à la gueule un jour à te donner envie de sauter dans le vide, avec violence s’il vous plaît ! Mais avant d’enfouir, tu te branles le 1er samedi de chaque soir. Tu te branles sur les films de seconde partie de soirée du dimanche soir sur M6. Tu te branles toutes les nuits. Tous les matins. Tout est bon. T'as pas quinze ans. Les pages de la redoute, les appels aux numéros surtaxés où tu entends la voix de femmes racontant des histoires de sexe, les pages du minitel, les petites annonces que tu lis, que tu publies plus tard, les images chastes du grand écran. Tout est bon. Tu te branles dans ton pyjama d’enfant, toi l’adolescent. Tu te branles dans la douche. Tu frottes ton sexe contre le matelas. La nuit tu t’abandonnes à tes caresses. Tu te caresses seul, pas forcément le sexe, le ventre, les bras, comme une petite brise qui te fait frissonner. Tu te souviens t'être caressé dans la caravane, l’été, avec un copain à 12 ans, vous vous montriez vos sexes en érection, chacun s’offrant seul la caresse. 

L’hiver, tu aimes laisser la fenêtre de ta chambre grande ouverte jusqu’à ce que tu viennes te coucher aux alentours de minuit, que la température y soit glaciale, pour que tu puisses sentir la chaleur de ton corps peu à peu t’envelopper et irradier le tissu qui t’enveloppe. Cette chaleur que plus tard, alors que le froid se dissipe dans la nuit, tu laisseras le chaud et la sensation cotonneuse croître en te mettant le ventre contre le matelas, le visage enfoui dans le traversin, les couvertures et le lourd et volumineux édredon de plume engloutissant ton corps, et ton bassin que tu frottes contre les draps, donnant de petits et grand coups contre le matelas, t’imaginant dans les bras d’une femme aimée et baisée tandis que tu t’abandonnes en elle. Et toujours, trop tard tu cesseras ton mouvement. Trop tard tu ne sauras pas t'arrêter et tu souilleras de ta trace le drap que ta mère changera. Mais tu n'y peux rien, tu l’enfouis, tu le fais, tu le rejettes, tu l'étouffes, cela te dégoûte. Tu te dégoûtes. Sale. Voilà ce que tu es. Et tu baises ainsi, oui tu baises, et tu proscris ce mot. Ce mot qui contient trop de vices, qui est la tâche indélébile de tes désirs et qu’il faut absolument cacher.


La caresse de la mère. La preuve que tu ne vaut pas mieux qu’un homme, ce truc qui t’arrache à l’innocence de ton enfance et qui t'enivre lorsque tu t’y abandonnes. Quand est-ce que c'est arrivé ? Quand est-ce que cela a basculé ? Que tout s’est mis à s’enclencher dans la grande mécanique ? Tu ne rêves que d’une chose, c'est de voir toutes les femmes nues. Grosses, grandes, fines, laides, belles, jeunes, vieilles, toutes sans exception tu te mets à les désirer. Tu préfèreras celles qui te seront inaccessibles. Tu préfèreras fantasmer sur celles qui te donnent des miettes. Évidemment, elles n’en sauront rien, mais ce sera ton carburant. Quant à celles qui te plaisent, qui t’émeuvent vraiment, qui te touchent par leur humanité, qui te laissent  étourdi et sans voix, et bien c'est simple, tu commenceras à assembler en toi un système que te dira que si tu la désires, alors tu ne l’aimes pas d’un véritable amour. Alors, elles te toucheront, et tu les désireras elles au centuple, mais tu ne sauras pas le dire, tu le fuiras parfois, tu te sentiras gêné par ton désir, totalement empêtré, paralysé. La jeune fille aux yeux bleus dans lesquels tu te noies, la volupté de ses baisers, et tandis que ta main glisse sur son bras dans son dos, tandis que tu l’embrasses, que tu l’allonges sur le lit, tandis qu’en bas des gens parlent, vaquent à leurs occupations, alors que tu la désires, que tu as envie de glisser ta main sous son tee shirt en étouffant la plus petite tentation d’aller plus loin, elle te parlera de ce qu’un adulte lui aura fait. Et toi tu es là, tu la tiens dans tes bras, elle réclame tes chastes baisers, et elle te parle de viol. Le preux chevalier, le jeune homme bien sous tout rapport, voilà dans quoi tu t’ancres un peu plus. Que voulait-elle te dire avant de s’enfuir, avant que tu ne la laisses partir dans les bras de ton meilleur ami, puis dans les bras du meilleur ami de ton meilleur ami, lui qui sans doute lui donnera bien plus que de chastes baisers. Lui qui donnera sa grosse queue sous toutes les coutures, des cigarettes écrasées sur la moquette, des verres d’alcool et des boulettes de shit brûlées entre le pouce et l’index, tandis qu’il la prend dans sa chambre d’adolescent sur les Pixies, Sonic youth et le plus sombre de Depeche Mode. Que cherchait-elle en te disant cela à ce moment là ? Est-ce qu'elle appelait la rédemption ou la damnation ? Tu auras choisi le premier, et tu le choisirais encore aujourd'hui. Parce que, non, cela t'est juste inadmissible de jouer sur cet horrible terreau, profiter des autres, que ce soit souhaité ou désiré par l'autre. Non !


Il te faudra du temps pour cesser de renvoyer la balle dans la pièce pleine de monde. Il te faudra devenir un autre tout en restant le même. Il te faudra préserver l’enfant, le prendre dans tes bras et dire à la foule qui passe, à ceux que tu connais, à celles et ceux que tu aimes, n'ayez pas peur de l’ombre. N’ayez pas peur de la nuit noire qui forme un trou dans votre ventre. N'ayez pas peur du voleur qui surgit dans la nuit, du loup qui se cache derrière la porte de la chambre, du papier arraché du placoplâtre qui forme le dessin de dents acérées qui n’attendent que la nuit pour te dévorer. N’ayez pas peur de cette part vile parce qu’elle ne l’est pas. Ne craint pas de monter sur la chaise, de poser les deux pieds au bord du vide et de tomber. Tu te relèveras. Tu auras mal. Mais elle te relèvera cette douleur. Tu verras des femmes belles se dénuder devant toi et parfois tu les aimeras juste pour cela, pour la beauté qui s’échappe d’elles, de leurs mains, de leurs regards, de la lisière des cheveux, de la nuque, de son sourire lumineux, de leurs courbes enveloppantes, de la brisure de son pied, de ses mains épaisses de paysannes, de ses framboises de sein, de ses cicatrices proéminentes, de leurs vérités, de leurs peurs parce que tu décèles toujours en toi cet amour qui vit, qui vit en elles aussi. Tu aimeras leur douceur, leur rudesse, leur force, leur fragilité, leur folie, leur pragmatisme. Parfois tu les dévoreras de tes vices et elles feront de même, mais cela ne t’empêchera pas de les chérir, de prendre soin d’elles et de prendre soin de toi. Ce jour-là, tu ne seras plus l'enfant et sa balle. Tu ne seras plus le voleur dans la pièce. Tu ne seras plus l’être invisible que personne ne voit. Tu ne seras pas celui de ta mère. Tu ne seras pas celui gommé par le père. Tu seras plus vieux de mille tango dansés seul ou accompagné. Tu seras plus vieux et plus riche de tout ce que tu auras vécu et compris. Et un jour, le vieil homme que tu seras s'allongera sur le lit des ébats passés. Il regardera le plafond et se perdra dans les nuances de la peinture. Il oubliera peut-être que le lit fut celui de la noce, du sale, des pleurs, de la castration, de la puissance, du repos et de la renaissance aussi. Le jour se lèvera et il quittera la pièce lorsqu’on viendra le chercher. Il fermera la porte en se souvenant d’un enfant seul, qui jouait seul à la balle, qui ne demandait rien mais attendait tout. Il se souviendra du rebond de la balle, de la joie à parcourir les bois, du voyage à écouter les conversations, des rires, de la lumière, des paysages et des falaises, du ruisseau et de la rivière, des dunes à perte de vue, du pain de campagne, du vieux cabanon et des cerisiers garnis. Les moments tristes deviendront doux. Les moments de silence et de souffrance deviendront force et bienveillance. Il aura parcouru du chemin, de tangos en tangos. Oui, il en aura parcouru. La maison se sera vidée, mais comme il l’a appris un jour sous les pins colonnaires, tes pas s’enchâssent dans ceux qui t'ont précédé, ils valent autant, ni plus, ni moins, la terre retient la mémoire de ton passage. Les pas d'autres avant sont toujours là, les tiens seront toujours là. Tu fais partie du monde, pas meilleur qu’un autre, mais pas pire non plus. Tu as en toi suffisamment de beau pour transmettre, alors l'enfant n’est plus seul.


Et le désir dans tout cela ? Tu apprendras qu'il peut aussi être sain de désirer qu’il soit beau, ou laid. Tu apprendras peut-être un jour à ne plus en avoir peur. Et parfois, tu te demanderas s’il reviendra un jour. L'idée te fait peur, mais peut-être être qu'il faut accepter qu’ils reviennent moins parce que tu auras appris, ou plutôt tu auras cru apprendre, que le désir n’existe pas que dans les choses du sexe.


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