Il y a des films qui touchent, des êtres qui vous touchent. Je ne sais pas si ce sont des fictions, je sais qu'il y a de l'universel à être touché et parfois à se laisser toucher, et je sais qu'il y a une fiction dans tout cela. Des moments de vie qui deviennent des films. Des films qu'on se raconte, peut-être de façon différente dans le temps, en fonction des moments, de ce qui nous entoure et nous influence. Il y a dans ces récits sa part de magie, d'émotion, de solitude, d'impossible et de réel. Le réel qui touche et que l'on touche. Il y a dans ces récits sa part d'arrangement, de travestissement, de dramaturgie et de réel, encore. Vivre c'est faire de son rêve un souvenir, et peut être aussi de ses souvenirs des rêves. Des rêves qui nous nourrissent. Une légende que l'on se crée. Ce soir, je songe à Sally. Je songe à elle parce que j'ai choisi de regarder un film qui, dans mon film à moi, me rattache à elle. Lost in translation. La dernière scène, c'est notre film à nous, c'est le mien et le sien, deux films différents qui se sont un jour rejoints et qui restent joints, bien que disjoints pour toujours. On s'est écrit de belles choses parfois, jamais nous ne les avons vraiment prononcées à voix haute. Dans mes monologues intérieurs, je parle à son sujet de printemps fragiles. Un rayon de soleil inattendu qui transperce l'émotion avant d'être emmené ailleurs par la brise fraîche d'un matin. Parce que nous sommes pudiques et que le silence forge aussi ce qui nous lie. Je ne parlerai pas de relation, je ne parlerai plus aujourd'hui de désir de relation. C'est un lien établi qui ne vivra plus que dans nos souvenirs, dans nos soupirs parfois, dans nos sourires aussi, nos esquisses de présence et la distance qui est presque toujours. Peut-être même que ce lien vit en moi parce qu'il n'a pas de chance de se produire. Aussi discret que cela puisse être, c'est. C'est ce que j'appelle une profondeur d'âme, c'est ce dont je parle, je n'ai pas d'autres mots. Et cela me nourrit, et, je veux le croire, nourrit mon monde. Son absence est-elle absence si au détour d'une pensée, d'une place traversée, d'une musique, d'une marche vers les sommets, il y a des pensées ? Même si ce ne sont que mes pensées ? Le film n'est jamais tout à fait le même, parce qu'avec les années l'appréhension de l'émotion et sa vérité même évoluent. Que lui ai je dit de beau ? D'aussi beau que ce qu'elle a pu me dire ? Elle a écrit il y a quelques années que parfois elle avait pu se demander ce que cela ferait de vivre avec moi, de vivre à son rythme sans que je ne vienne imposer le mien. Ma place est aisée. Je ne suis même plus l'amant, même pas le confident. Nous ne nous définissons pas l'un et l'autre. Ma place est aisée car je ne suis pas le compagnon celui qui avec l'autre est emporté par le quotidien. Nous sommes une légende, une histoire, une histoire qui ne peut s'écrire au réel, peut-être pas même en mots. Oui, pas même, le film idéal qui ne peut être réalisé. Je ne cours pas après ce film. Mais j'aime marcher derrière elle et la regarder marcher. J'ai pu le faire sans qu'elle le sache, et je sais qu'elle apprécie que je le fasse. Ce soir, j'aurais envie de la prendre dans mes bras et rien de plus. Pour lui témoigner de mon film et m'imprégner d'elle, pour dire en silence des jolies choses qui n'ont pas de mots. Oui, ce soir c'est la fin du film que je me fais. À l'image de Bob et Charlotte dans les rues de Tokyo.
Est ce que, si j'étais un autre, je ferai tout pour le mettre en bobine ? le diffuser sur grand écran ? provoquer le réel ? Avec le temps, je commence à comprendre ce qui existe en moi. Prendre le temps, la respiration. Ne pas provoquer ce qui est essentiel, laisser l'autre à son rythme, ériger cela parfois en point cardinal, ce n'est pas toujours au cœur de ma façon d'être, mais c'est là dans le cœur. C'est un joli film, peut être un peu triste, un film muet mais sans le cirque, tout en finesse et en délicatesse. J'ai parfois l'impression que l'absence crée l'émotion plus que la présence. C'est possible. C'est dur pour ceux qui partagent le réel. Mais le réel cet autre film, c'est donner de sa vie aux siens, de l'énergie, de la présence, du soutien, main dans la main. Dépasser les difficultés, creuser dans les profondeurs, remuer la terre pour rebâtir des fondations plus solides à la mesure du temps. C'est un film qui fait moins rêver. Un film ingrat. Parce qu'il est âpre, parce que les moments de répit sont parfois brefs, parce que tout passe plus vite et que le temps de se rendre compte des choses est un temps long qui parfois n'arrive pas. J'aurais aimé regardé Lost in translation avec Sally comme elle me l'avait dit. Mais c'est un moment qui n'arrivera sans doute jamais, alors le regarder seul ce soir, c'était aussi le regarder avec elle. Mais le regarder seul ce soir c'était aussi revoir Tokyo, Kyoto et plonger dans des souvenirs réels, avec ma femme, avec mes enfants. La finesse des cuivres sur les portes des temples. Les piliers de bois massifs. L'encens dans les temples. Les tombes de pierre et les noeuds de papier qui forment comme neige sur des branches sèches. Le bar d'un hôtel dominant la ville. Les lumières des enseignes et les restaurants sans chichi. La propreté des rues et l'étonnante disponibilité des habitants de la ville. Des films qu'on se raconte, qu'on se rejoue, toujours plus profondément ancrés, pour peu que l'on parvienne à prendre le temps de s'installer et de les regarder. Des films qui touchent.
https://youtu.be/sCnBt9qCB8c?si=2M3k_RXOYQ8GfOkc
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