Accéder au contenu principal

Quelques jours

Quelques jours, juste quelques jours, juste ces quelques heures et pourtant… A peine 17 ans, je rentrais en terminale, elle en seconde. Instant du passage d’un monde à l’autre. C’était un mois d’août loin de chez nous. J’ai toujours aimé être loin de mes rivages, je m’y sentais plus libre, je pouvais être moi, loin de l’image que les autres et moi-même m’infligeaient. J’étais libre. Ces situations qui nous font pousser des ailes. Passer de l’enfant à l’adulte. Décider de ce que l’on souhaite. Voilà une semaine que nous étions là, comme chaque année à cette même époque. Je l’ai vue, elle, à l’arrière de la voiture de ses parents. Un espace de couleur verte. Je les ai vus arriver au camping le coffre plein à craquer, passer devant moi pour s’enfoncer dans le labyrinthe des îles ponctuées de caravanes, tentes et bungalows plus spacieux. Plus de seize années ce sont passées et pourtant… on n’oublie pas nos premières jeunesses. C’est comme le rythme d’une vague que l’on connaissait avant même de la rencontrer. Je l’ai trouvée belle, l’écume blanche de cet été miraculeux, attiré vers elle par une tendresse immense. Combien ais-je vu en quatre été passés sur ce bord de mer de nouveaux arrivants ? Des centaines ? Pourtant, ce fut elle, une fois, juste une fois. Envide de l’aimer, de poser mon regard au fond du sien et de me laisser porter par les creux de son âme. Je ne l’aurais évidemment pas formulé comme cela à l’époque, pourtant je crois que c’était exactement ce que je ressentais.
1

J’ai oublié depuis comment je l’avais abordée, j’avais du trouver quelques malices pour la faire sourire, à bien me souvenir… je crois que le hasard avait fait qu’ils résidaient dans notre allée, à quelques parcelles de nos tentes adolescentes. Curieux hasard que de croiser quelqu’un, rêver d’une histoire improbable et finalement bien réelle. Elle était grande, châtain foncé aux yeux noisette, des lunettes qui lui donnaient le prétexte de quelques années supplémentaires. Le soir, parfois elle choisissait une longue robe d’un blanc de lin qui épousait son corps pour mettre parfaitement en valeur la femme qu’elle allait devenir. Moi j’étais un roi parmi les fous. Ivre d’une audace toute nouvelle, capable de renverser des montagnes juste pour poser ma main sur sa peau et partager la douceur de son Eden. Elle m’avait accordé ses baisers, nous laissant distancer par le groupe, nous retrouvant seul sous la peine ombre des mimosas, un soir d’août 1993. Elle ne voulait pas tromper celui qu’elle aimait là bas chez elle. Et pourtant ce baiser elle me l’a offert, je parlais, parlais, parlais (étrange paradoxe pour celui qui dit si peu), elle s’est arrêtée et a répondu à mes avances par la plus belle des façons, ses lèvres sur les miennes dans un silence d’éternité. Main dans la main,  nous avons poursuivi ces quelques jours, juste quelques jours, juste ces quelques heures… et pourtant…

2

Était-ce mon premier amour ? Je savais une chose, c’était avec elle que j’aurais aimé vivre ma première fois, j’aurais aimé prendre le temps de l’aimer. J’avais ce côté que l’on dit fleur bleu, moi féminin, impératif d’offrir ma virginité à celle que j’aimerai. Les quelques jours se sont passés et c’est dans un dernier regard où je n’ai su déchiffrer en elle un quelconque regret que moi je me suis envolé des rêves et des couleurs plein l’esprit sur un ciel coloré. Des soirées à débattre de conversations très sérieuses pour nos âges, totalement incomplètes avec le recul. Une après midi sur la plage, un baiser passionné sur le chemin des douaniers. Je me souviens parfaitement de ces soupirs lorsque mes lèvres glissaient de son oreille à son cou, goutant le cœur, goutant la peau, suggérant les chairs. Ais-je donné plus beau baiser insensé et sans calcul ? J’aimerais que tu lises ces mots aujourd’hui, que tu te dises « ces mots ne peuvent parler que de moi ». Je n’ai pas perdu cette âme rêveuse, ce serait beau n’est ce pas que tu sois là, de l’autre côté de l’écran ? Depuis je me suis rendu quelque fois là bas, chaque fois j’arpente ce chemin seul, je cherche le banc qui nous a accueilli, je m’installe face à l’écume des vagues et je laisse l’écume des jours faire surface. Ces souvenirs te sont-ils familiers ? Y penses-tu parfois juste quelques jours éparpillés dans une quinzaine d'année? Juste quelques heures fugaces ballotées au gré des vents ? Juste un peu ?

3

J’ai croisé depuis une seule femme qui a fait revivre ses échos, elle n’a pas ton accent alsacien que je trouvais si exotique lorsque je t’ai rencontré. Je ne connais d’ailleurs rien de sa voix. Juste quelques mots éparses, juste une tendresse infinie que je crois nous partageons d’une façon ou d’une autre. Elle est ce qu’est pour moi un amour de vacances, un îlot perdu au milieu des eaux brumeuses, un port calme, comme une petite baie des anges au cœur de la grande jetée des géants. Discret et insondable. Je sais si peu de choses d’elle. Cela me suffit, je sais qu’elle est une anse où me sera toujours offert un rivage de quiétude, je sais que nos eaux troubles s’éclaircissent un peu lorsque nos flots convergent. Rêve d’amour, douces pensées, tendresses, mots attendris. Je ressens une caresse dans ces mots, une fêlure fragile, une blessure profonde. Nous ne nous connaissons pas et pourtant j’ai revécu avec elle un amour de vacances. Retournant tous deux à nos quotidiens, nous avons eu le même sentiment, une étrange nostalgie à l’idée que ce que nous avions partagé par l’échange de nos quelques mots d’émois durant ces quelques jours du mois d’août resterait un beau souvenir entre un homme et une femme qui se sont d’une façon ou d’une autre aimés, juste quelques jours, juste quelques heures, si peu et pourtant… beaucoup.

Commentaires

  1. En ce moment, j'ai, en partie, le coeur d'une adolescente de 16 ans. Ce texte m'a profondément émue.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

La Malemort

Dans la clarté de la nuit des songes en nuées là la Malemort où je ne sais quoi sort s'étire et s'enchâsse s'enlace jusque sous ta gorge griffant mordant soufflant le chaud et le froid sur la peau fine écarlate prête à geindre en mille éclats de lunes en ta face putasse ta queue branlée tes bourses lourdes mises à mal pour le long voyage la malle poste et ta tête branlante riposte étouffe entre les cuisses la douceur de la peau le tendre abrasé par ta barbe impropre parsemée de l'odeur forte de son con tant de fois baisé sous le lit des pinèdes qui là te font suffoquer ahaner en grande goulée giboulée et bâillon de bave embrassées nage nage petit poisson poisseux visqueuse bite guerre de tranchée perdue avant que la messe ne soit dite car l'avant fut fessé pris engouffré pénétré fouetté mâle mené foutraqué fourré comme jamais quatorze queues putargues avalées pour te voir plus tard t'affaler offert lustré ta sueur suie blanche crasseuse épaisseur criante et ton

Un répit

 L'un contre l'autre, assis dans le salon. Lumières éteintes. Quelque chose comme trois heures passées minuit. Les lueurs de la vie. Les solitudes choisies, subies. Tes mains qui me massent, nous apaisent. Le dos se dénoue. La colonne s'abandonne. Je sens ton envie. La mienne naît ainsi de la tienne. Je ne dis rien. Je ne suis pas même certain de le vouloir. Pourtant je le veux. Mais je crains l'après. Est ce que cela effacera l'avant ? Est ce que cela effacera le dernier mois ? Ce serait plus simple, mais je ne veux pas que cela efface. L'amnésie et l'oubli pour ceux qui craignent. Je suis capable de cela. Mais je ne veux pas. Alors tu demandes. Je dis oui, j'ai envie. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, je ne sais pas si cela compliquera plus encore. Je dis cela, et je dis j'ai envie. Et tes mains continuent à glisser sur ma peau. Et tes seins, et ton ventre, et ton bassin, collés contre mon dos. Je bande. Depuis longtemps déjà. Depuis que

La chambre des rêves (communion d'un Ange ou d'un Fou)

  Bande son : Handel - Giulio Cesare in Egitto, HWV 17, Act II, scène XIII : Aria-largo "si pieta di me". Interprète : Sandrine Piau https://www.deezer.com/track/92369954 —-----------   Bilbao. Au coeur del Cerco Viejo, tout proche de la Plaza Nueva, non loin del Nervion, il y a une petite rue, des odeurs légères et trainantes de tortillas, de chipirones frios, des éclats de voix, ceux des enfants qui jouent, ceux des adultes qui s'apostrophent dans le brouhaha tout proche, des bruits de vaisselles, celles que les serveurs lavent à la va vite avant de les remplir de pintxos gourmands et généreux. Franchir le passage, c'est se noyer dans le coeur battant de la ville, dans la foule et la vie sociale, l'alcool et les rires, le plaisir de l'instant et les amitiés braillardes. Restons en bordure. Au numéro uno de cette petite kalea servant de desserte à la dizaine de bar à pintxos de la Plaza, avant le chao des hommes, il y a une porte dont seul les rêveurs ont l&#