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Un monde en soi

Chaque chose était vivante. Chaque chose était mémoire. Chaque objet était une part d'elle. Chaque objet était elle. Elle était ces objets. Ils étaient elle, sa propriété, son domaine, son monde à elle. Disposer des choses était une nécessité absolue de sa vie. Les faire siens c'était maîtriser un monde, un univers qui lui était propre, univers secret, inconnu, inabordable pour quiconque n'aurait pas été dans sa peau ou dans sa tête. Qui saurait déchiffrer le sens que prenait pour elle cette large tête sculptée qui trônait fièrement à proximité de son lit ? Travaillée dans un bois de noyer aux teintes ambrées, cette crinière sauvage prenait à ses yeux l'écho d'une chevelure de femme s'ouvrant partiellement sur le front équidé d'un animal aux naseaux puissants et au regard fier, un regard porteur de mythes aux chevauchées et aux combats fantastiques. Qui pouvait comprendre que l'anthracite et le gris de lave des tapis épais qui gisaient en rectangles séquencés aux côtés de la méridienne décorée de blanc et de gris, évoquait pour elle la caresse d'un sable volcanique chauffé par un soleil de printemps, une caresse rugueuse mais tendre qu’elle recevait sous la plante de ses pieds nus alors qu’elle s’abandonnait à ses échappées belles ?

L'équilibre se créait ainsi, son monde était un rêve, une réalité palpable, le reste n'avait pas de substance, presque aucune consistance. Chez elle, au delà il n'y avait de monde réel, il n'y avait pas de matière. Au delà des murs qui l'entouraient, flottait toujours un parfum d'irréalité, un parfum d'extérieur qu'elle ne savait s'approprier. Il y avait son monde, un continent dont les murs d'ocre brique ou de blanc soyeux étaient la limite du ressac et dont les ouvertures formaient une vue sur la mer à perte de vue. Deux velux pour donner la couleur du ciel, un hublot et quatre fenêtres pour distinguer les vieilles toitures comme des vagues successives à perte de vue. C'était son monde. Au gré des humeurs elle ouvrait ses fenêtres pour y faire rentrer le vent du large, ou les fermait totalement à la lumière du jour pour s'isoler et se protéger des vents menaçants. Son monde, son refuge, son foyer sacré que nul ne pouvait pénétrer sans y avoir était invité, autorisé, accepté.

Hina vivait dans une vaste mansarde constituée de deux espaces séparés par une marche en forme d'obstacle léger, une marche que l'on enjambait le plus souvent pour passer d'un côté ou de l'autre, comme une porte invisible altérée seulement par une poutre cylindrique qui reliait le sol, dressé de vastes plaques de bois lustré d'une couleur cuir lumineuse, à l'une des trois longues poutres de bois sombre qui avait toujours strié de parallèle ce lieu qui avait été le sien depuis son origine. Deux espaces pour le tour d'une vie héritée de ses parents décédés à la lisière de ses 17 ans, une grande pièce sous les toits de la vieille ville qui avait été aménagée pour elle à son adolescence et qui lors de son enfance lui servait de cachette secrète, seul lieu où son imaginaire pouvait voguer où bon lui semblait sans la contrainte de quiconque. Personne n'y était accepté, ses parents n'y avaient eus aucun droit de cité.

Dès l'âge de 5 ans, elle fut autorisée par ses parents à y venir seule, autant qu'elle le souhaitait. Elle y venait alors souvent avec ses deux chats, seuls êtres vivants à ses yeux à pouvoir montrer patte blanche, seuls êtres vivants capable de mutiner parmi le vaste débarras sans en altérer la magie originelle. Avant même que Hina ne soit enfantée, sa mère, cet être évanescent, fragile et incertain, avait pris soin de conserver tous les vêtements de la famille jusqu'à ceux des grands parents. Lorsque sa mère était encore fille, elle les avait fréquemment sauvés en cachette des fourches destructrices des bûchers animés pour faire place nette à l'occasion. Ainsi disposés dans de vastes malles, armoires ou sacs de voyages éparpillés, Hina avait longtemps joué avec ces artifices, habillant des poupées et des peluches, créant ces personnages, se créant ses amis, ses veilleurs et ses gardiens du secret, construisant son langage dans les légendes de ses aventures solitaires où les objets deviennent des compagnons fidèles, dévoués et aimants.

Ses parents ne l'avaient pas accompagnée longtemps dans cette vie aux replis enchantés. Elle ne croyait pas en garder de blessure précise, et seule l'idée d'une vague en ayant recouverte une autre lui venait à l'esprit lorsqu'elle se plongeait dans les images du passé. Ses souvenirs avaient été rapidement estompés et de leurs visages ne restaient plus guère que les images colorées des albums photo qui étaient toujours disposés sur l'étagère cachée par de larges rideaux épais au rappel de toile de jute. Des images qui n'avaient plus de vie propre mais qui s'étaient diffusées en filigrane dans chacun des objets qu'elle même avait su sauver de la vente qui avait suivi la disparition de ces êtres chéris. D'autres objets recueillaient depuis ces vies antérieures, des objets dont elle avait principalement fait l'acquisition dans les différentes braderies qui égrainaient la clameur des rues pentues au rythme d'une journée par saison. Ces images aux contours flous et incertains devenaient ainsi des vies remaniées, réécrites, réinventées pour devenir son île, des histoires changeantes au fil des humeurs qui l'envahissaient selon la lumière du ciel et le reflet des toitures grises et rouges qui échouaient au cœur de son île intime.

Ainsi cette vieille carafe de verre mal façonnée qui ponctuait une table ovale de marbre blanc légèrement veinée par des lignes du gris au noir rappelant en négatif les trois pieds massifs de bois qui soutenaient la pierre, ainsi cette antiquité de verre devenait parfois le réceptacle du vin rouge que son grand-père fabriquait lorsque son père n'était qu'un enfant de la garrigue, d'autre fois le calice d'une liqueur empoisonnée offerte par passion à la femme qui refusait de s'offrir à un joli dandy bourgeois mais vil de jalousie, ou encore une pièce sans autre vie que celle venant d'héberger l'eau fraîche tirée à l'instant du seul et unique petit lavabo de faïence blanche. Ce lavabo, par endroit ébréché en de menues tâches sombres, complétait un minuscule coin douche à la Parisienne où la toilette se fait assis sur un tabouret minuscule face à un miroir aux arabesques marocaines serties de pierres oranges. Ce même miroir qui une nuit prenait naissance dans les chansons d'Ishtar et les contes de Shéhérazade, et qui la nuit suivante prenait les atours d'une magie sombre d'un conte des frères Grimm.

Ses rêves étaient ses vies. Ils l'emportaient toujours plus loin. Son antre relevait de mille détails, d'autant de vies projetées comme étant autant de possible de ce qu'elle était. Elle aimait ponctuer ses deux pièces par des coussins de formes différentes, larges carrés blancs ou crèmes, rectangles étroits de fonds blancs et de cercles aux pourtours colorés, cylindres noir en tissu de taffetas chamarré, brodés d'or et ponctués de petits pompons glissant lourdement dans le vide en des tressages épais, agréables à caresser machinalement, propices à de nouveaux envols, tout comme ce coussin épais aux dessins de cachemire disposé sur la marche obstacle qui lui rappelait au toucher la fragilité paradoxale de ces tapisseries médiévales, usées mais douces, qu'elle avait pu voir dans le vieux château musée de la ville. Son monde de Bohême était riche de matières à réinventer, apaisé par l'épaisseur moelleuse des coussins, des tissus, des dessus de lit, des tentures, des housses blanches qui ensevelissaient trois chaises aux assises confortables, courtisé par la séduction de ce petit fauteuil à l'assise circulaire, garnie d'une chaleur propre au ton abricot, laissant découvrir le reflet de cuivre et d'étain des poinçons métalliques unissant la structure de bois patinée par le temps aux tissus chaleureux et duveteux.

Détruire ces objets aurait été saccager son existence, s'en prendre à elle, la tuer assurément. Chaque objet chiné, chaque pièce de matière amassée donnait à son existence un sens supplémentaire, une raison de plus de poursuivre l'histoire silencieuse qui s'écrivait en elle. Derrière la méridienne se trouvait une statue d'un grès creux moucheté comme s'il s'agissait d'une large pierre ponce. Pourtant la surface en était légèrement plus douce, légèrement polie, mais pas suffisamment pour ôter des aspérités variées qui par leur profondeur plus ou moins importante fournissait une palette d'ombres et de nuances assez vaste. Cette autre sculpture avait une forme ronde, comme une masse dont on ne parviendrait qu'avec difficulté à discerner le sens des lignes. Lorsque la main s'y posait, la pierre travaillée par l'artiste dégageait une fraîcheur inattendue et surprenait d'autant plus que la masse semblait paradoxalement légère, alors même que l’œil extérieur, au vu de la masse difforme et d'un large pied au couleur de fer rouillé, n'aurait pu laisser soupçonner autre chose qu'un poids sans égal.

Hina avait reçu cette sculpture d'un étrange héritage, particulier et inattendu. Cette fois, il ne s'agissait pas de celui de ses parents, il s'agissait de l'héritage d'un homme ayant traversé sa vie sur la pointe des pieds, décédé maintenant depuis une dizaine d'année. Son premier amant, le premier homme. Ils s'étaient vus de façon irrégulière, toujours dans sa mansarde, ils ne parlaient l'un et l'autre que très peu, se contentaient de ce qu'ils vivaient et s'offraient mutuellement, une présence désincarnée qui laissait à l'imaginaire tout le loisir de décorer leurs rencontres de motifs à prolonger. Lui était beaucoup plus âgé qu'elle, elle n'aurait pas su dire combien d'années les séparaient, vingt ? trente ? Quarante ? Elle ne s'était pas même posé la question, les choses allaient de soi, ça n'était pas le corps qui était leur trait d'union, mais les détails à imaginer, à créer, à embrasser, les petites choses faites de rien ou de si peu, ces petites choses qui par l'espacement du temps et des caresses donnent la tenue, l'ensemble, l'unité. Tout ce qui structure et soutient un monde. Il n'avait pas posé de question. Pas de qui es-tu ? De que fais-tu ? D'où viens-tu ? Son histoire, il croyait la comprendre, il se sentait à la fois intrus dans son monde, et seul capable à accepter cet état de fait. Il était intrus. Mais il était là.

Il était vieux. Hina était jeune. Leurs vies étaient derrière eux. Lui pouvait imaginer ce qui se passerait après. Elle continuerait à vivre par tous ces objets qui l'entouraient et qui l'entoureraient toujours. Au premier jour, Hina avait acheté à cet inconnu d'alors une grande toile. Un tableau qui était depuis posé à même le sol pour ne plus jamais bouger de cette place réservée, une peinture encadrée d'un bois laqué noir. Composition peinte sur un tissu tendu sur une toile de jute. Des traits noirs au travers duquel elle hésitait elle-même entre un visage christique qu'aurait imprégné un vieux suaire, existant ainsi dans la matière et au delà du symbolique, dans le temps et l'espace, ou, à peine esquissé, un Don Quichotte au visage émacié, affaibli par les années mornes et sèches des campagnes désertes de la Mancha, homme fatigué et longiligne, éloigné de sa puissance physique, habité par la force de ses obsessions. La toile était ça et là irisée de tâches beiges et de fondus bleu pétrole cachant vers le bas l'esquisse imaginaire d'une colombe maladroite en impression négative.

Elle ne lui avait posé aucune question sur la signification de ce qu'il avait peint. Pour Hina, il était évident que l’œuvre était sienne. Il lui en était gré. Pour une fois, enfin quelqu'un avait semblé accepter ce qu'il avait créé pour se l'approprier pleinement et en faire un prolongement qui lui appartenait. Hina l'avait convié chez elle après la soirée qui venait clôturer l'exposition qui lui était consacrée, cette soirée même où il lui avait vendue cette toile, cette soirée même avant laquelle Hina n'avait pas d'existence pour lui. En découvrant son intérieur, l'artiste avait été frappé par le sentiment troublant que cette toile avait été faite pour elle, pour cet pièce précisément, pour compléter l’œuvre de la vie d'Hina, cette pièce qui hébergeait sa vie au travers de toute cette accumulation d'objets.

Au fil des quelques visites qui avaient accompagnés les mois suivants, il était très vite parvenu à se dire qu'il avait rêvé peindre cette toile, qu'elle n'était pas de sa main, qu'elle lui était désormais fondamentalement étrangère. Hina était cette étrangère. Cette étrangère sauvage et mystérieuse. Cette amazone qui l'extirpait à son monde, qui le baignait dans un autre. Cette étrangère qui le baisait selon son envie comme elle aurait pu utiliser un pieu fait de chair. Il venait à elle seulement lorsqu'elle le convoquait, généralement après un message court reçu sur son répondeur. « Viens ». Toute à son étrangeté Hina ne disait rien d'autre, ne laissait aucun prénom, aucune familiarité, aucune politesse. Un mot. Un seul. Impératif. Toujours ce mot échouait au milieu de la nuit. Alors il venait sans plus se préparer, entouré d'un nuage vaporeux, à demi-conscient, traversait dans le désert nocturne quelques ruelles pavées et pentues pour rejoindre le sommet de cet ancien hôtel particulier, il gravissait le vieil escalier médiéval en colimaçon pour venir buter à la dernière porte.

Là, Hina l'attendait, le plus souvent assise sur le fauteuil aux poinçons métalliques, assise les jambes écartées en une obscénité étrange, toute à elle et à son reflet fumé que lui rendait le grand miroir au cadre en dorure, encadré de feuilles de chêne au sommet, descendant en courbe vers la longueur, puis s'étiolant en liserés silencieux et discrets. Hina devenait corps végétal se fondant dans son monde d'objet. Qui lui faisait l'amour à cet instant ? Elle par sa seule main fouillant un sexe liquide au corail rouge incandescent, écartant les chairs basculées à demie à la limite du siège, laissant apparaître deux plantes voraces dardées par des doigts qui prenaient racines ? Un sexe pieuvre invisible aux autres mais concrètement réalité pour Hina ? Des tentacules qui grimpaient collées à ses jambes aspirant par petits cercles successif la peau mate jusqu'à parvenir en son centre, plongeant en l’abîme, loin des regards extérieur, plantant en elle des crocs minuscules inondant son sang d'un venin extatique qui donnait à ses lèvres la lourdeur d'un tissu pourpre et lisse, humidifié par la salive que déposait sa langue avide ? Autre monde invisible aux autres.

Étrangement vêtue sans l'être vraiment. Elle n'était pas nue. Elle n'était pas habillée. Son corps était envahi de lumières changeantes diffusées par deux grands chandeliers de fer forgé qui avaient la hauteur de petites femmes, tels des vases ouverts et structurés se terminant en bougies semblables à des volutes d'arbustes. La lumière dansait sur sa peau moite et transpirante, projetait sur ces seins lourds et pointus l'ombre de branches printanières ancrées dans un grand vase de verre, ornée de pousses de fleurs de cerisier roses. En contre point une autre source lumineuse s'échappait d'un chapeau de fourrure de loup gris, lui-même posé sur un vieux tronc d'arbre forestier, et venait se déposer sur sa nuque libérée par l'effet d'un chignon à la complexité naturelle. Son corps devenait habité d'autres vies. Soulevée de soubresauts frémissants, elle était parée d'ornements disparates, totems assemblés, glanés aux hasards de ses promenades. Bracelets enfantins en billes de bois roses et violettes, étoilées de cœurs naïfs, parures d'or aux lignes épurées qui entouraient sa taille et son cou comme un fil sans relief et large d'un demi centimètre, pendentifs de cuirs alourdis de perles d'ambre, de coquillages océaniques ou de perles de verre bleu sombre ou transparent.

Hina n'était alors plus faite de la même chair, elle appelait l'homme à elle. Elle l'invitait, non pas pour lui permettre de comprendre et percevoir son monde symbolique, mais pour absorber son corps et ainsi matérialiser derrière le paravent de ses yeux bruns tous les sexes tendus, animaux ou végétaux, qu'elle appelait au sacrifice de ses envies. Elle pouvait vouloir être prise, saillie violemment dans une étreinte qui ne donnait aucune tendresse, hurlait pour qu'on la tienne, pour que sa queue l'éventre de toute sa puissance de mâle, pour entendre le son humide des bourses taurines frappant lourdement son sexe vaseux, coulant, liquide. L'histoire devenait autre, il ne s'agissait plus d'elle ou de lui, elle était mise en scène d'images brutes, purulentes de désir fiévreux. Souvent la femme cherchait à mordre le mâle qui investissait sa chatte de sa bite turgescente, elle griffait, crachait une nature déchaînée de ses yeux drogués par la puissance du désir jamais suffisamment assouvi.

D'autres fois, le sculpteur avait la sensation d'un jeune lierre difficile à séparer du corps objet de son emprise, elle s'enroulait comme un liane au torse de son invité, le happant de ses baisers, léchant lentement la commissure de ces lèvres masculines, mordant doucement la langue de celui qu'elle investissait, glissant dans le cou pour chatouiller l'oreille, frottant son bassin contre la queue dressée pour pénétrer, glissant sur le gland sans le laisser entrer en elle, susurrant quelques mots provocateurs, « je vais baiser ta queue », « tu vas jouir mon chaton », « laisse-toi faire, tu vas voir », « je veux m'empaler sur ta bite ». Alors elle se liquéfiait, elle fondait à ses pieds, suçait sa queue avec un appétit déconcertant, sans se soucier du regard de l'autre, elle le mangeait littéralement, se goinfrait de son sexe, de son gland, de sa base, de ses couilles, sa respiration se faisait forte, elle sentait sa peau sale de l'odeur accumulée durant la journée entière, durant les premières heures de la nuit passée, une odeur de mâle, une odeur intime, entêtante, une odeur de stupre qui jamais ne la rassasiait, puis après avoir longtemps léché, entouré de sa langue, caressé de ses mains, écarté et pincé de ses doigts, aspiré en sa bouche et mordillé doucement, elle le basculait sur les tapis épais, prenait soin de lui en glissant sous sa tête le vaste coussin au dessin de cachemire, puis enfourchait son buste, offrant à son regard l'image d'une femme cathédrale.

Elle se penchait pour saisir sa queue de la main droite alors que quelques bracelets de pacotille venait se perdre dans la tonsure des poils pubiens, arrachant quelques-uns au passage, donnant à son sexe une verticalité parfaite. Elle ramenait alors son bassin au plus proche de la queue dressée, pendant quelques secondes elle se figeait, dardait son regard dans cet autre regard. Il sentait alors une chaleur l'envahir, débutant à l'extrême pointe de son gland pour se diffuser dans son ventre sans qu'aucun contact n'aie encore eu lieu. Puis elle se laissait choir, assise sur cette bite, totalement absorbée dans un lac de mouille, échappait un soupir d'aise partagé par Hina et lui-même, puis elle se mettait à frotter son ventre contre le sien, de façon à amener son clitoris à rapper les poils pubiens pour en retirer encore davantage de plaisir. D'avant en arrière, sans remonter une seule fois le long de sa verge. Elle se frottait. Lui, immobilisé par le poids de Hina ne pouvait rien faire d'autre que de gonfler sa paroi abdominale pour tenter d'accentuer le frottement du clitoris contre ses poils, et ainsi augmenter le plaisir de sa partenaire.

Elle faisait des va-et-vient, et lorsqu'elle reculait, il avait l'impression que sa bite trouvait un point de rupture, comme si elle se brisait en un T vers l'arrière, cela décuplait l'emprise de ses mains sur ses hanches généreuses. Alors Hina se relevait, et laissait poindre l' énorme gland quinquagénaire à l'orée de son cul, elle écartait la chair de ses globes charnus en deux tensions opposées, ancrait la bite dans son mécanisme et alors descendait lentement jusqu'à en aspirer les couilles, puis remontait tout aussi lentement pour redescendre à nouveau dans un temps similaire. Hina fermait les yeux, mordait sa lèvre inférieure, grimaçait en plissant le front comme s'il s'agissait d'un exercice difficile pour la petite fille qui vivait en elle, difficile mais plaisant. Elle laissait échapper quelques sons qui ne laissaient aucun doute sur le plaisir qui l'envahissait, comme s'il la ramenait encore plus profondément en elle. Comme si elle entreprenait là un passage vers des abysses attendus et rêvés. Hina n'était plus là, son emprise sur ce corps stratagème diminuait, alors son amant pouvait commencer lui aussi à venir doucement, participant au rapprochement et à l'éloignement des deux corps qui glissaient un peu plus vite l'un dans l'autre.

Il ne brusquait rien, de peur de la voir disparaître devant ses yeux, de peur qu'elle ne lui échappe totalement. Il ne faisait que suivre ce que cette femme mystère lui dictait silencieusement, marchant sans bruit dans un pays où il ne serait toujours qu'un simple étranger, acceptant ce statut pour la rareté de l'expérience. Elle le rendait précieux. Il tâchait de retenir sa propre jouissance le plus longuement possible, mais Hina prenait la longueur du temps pour un devoir incontournable, alors souvent il jouissait avant elle, sans bruit, sans autre preuve que son souffle un peu plus rapide, que ses yeux révulsés qu'elle ne regardait pas, puis reprenant ses esprits il tâchait de ne pas perturber le cérémonial. Il restait dur en elle par une magie inexplicable, comme si la chaleur de sa chair maintenait sa force à un état de vigueur indéfini. Hina continuait à grimper et descendre, toute à son monde, son regard se perdait vers le paravent qui séparait la pièce d'eau. Il était peint en des tons noirs parsemés de rouge, orné de fleurs sculptées et colorées, égrainé de personnages aux visages d'indes, le nez rond presque disgracieux. Regardait-elle ses hommes et ses femmes qui alternaient l'ordre et l'orientation en fonction des quatre partie distinctes du paravent ? Leur donnait-elle corps, devenaient-ils prétexte à quelques mises en scènes artistiques du Kama Sutra ? Devenaient-ils les marionnettes d'une orgie qui se jouait en elle ? Puis en un cri rauque, presque sourd, elle expiait un dernier souffle avant de s'effondrer suante sur le torse parsemé de poils blancs de son amant artiste, se mettait à pleurer en des larmes chaudes et douces, et enfin s'endormait nue à ses côtés au plus profond de la nuit.

La statue qu'il avait faite pour elle lui fut donnée à son décès par la voie de son notaire. Cette statue était à son image, une masse large, ronde et ample qui selon le regard et le placement adopté laissait à voir une sorte d’œuf sans grande prise, mais qui lorsque l'on en faisait le tour laissait distinguer les traits d'une femme qui se serait enroulée sur elle-même, recroquevillée en son monde, construite dans tout le secret de son intimité foisonnante. Un objet de plus dans lequel venait se nichait la perception d'un regard extérieur qui la rendait un peu plus elle. Hina ne pleura pas son amant, il ne lui manqua pas, il vivait encore dans cet objet et dans ce lieu. Il aura été le seul à être ainsi invité chez elle, le seul à qui elle aura laissé la possibilité de connaître son monde sans lui en parler, sans lui l'expliquer, un spectateur particulier, preuve alors vivante que son monde était réel. Aucun des amants qu'elle consommera par la suite avec plus ou moins de régularité ne pénétrera sous la mansarde. Tous furent baisés, tous la baisèrent chez eux où ailleurs, et à la fin de chacune de ses relations, Hina sans en comprendre le sens leur vola un objet, une photo, un bouton, une pièce de monnaie, un paquet de cigarette, une alliance, une gourmette, un collier ou encore une carte postale. Tous vinrent nourrir son monde intérieur sans qu'ils ne puissent le déceler clairement. Ainsi à chaque rencontre, à chaque fois que les corps se heurtaient, se chevauchaient, se caressaient, s’annihilaient et s'encensaient, à chaque fois elle préparait préalablement son corps, son esprit et son imaginaire minutieusement, rassemblant sur elle, dans ses vêtements ou dans son sac à main, les objets qui étaient devenus siens au fil de ces chapardages intimes et qui poursuivaient leur vie dans d'autres vies.

Commentaires


  1. Revu et corrigé?!
    Ou bien juste (re)actualisé?!

    Et zut! Cette chaire sur laquelle mon cerveau bute à nouveau!
    :)

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  2. Aucune correction si ce n'est la "chair" que vous venez à nouveau de souligner. Je peux vous assurer que cette faute ne figurera sans doute plus jamais dans mes écrits à venir.

    Ce monde en soi pour souligner quelques mots partagés récemment par un être cher qui se réfugie souvent dans son monde intérieur pour se consoler et se protéger. J'ai écrit ce récit durant l'été 2012, je l'ai écrit en pensant à elle, pourtant elle ne m'avait alors rien dit de ce monde intérieur.

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  3. Oh, ce n'était qu'une malheureuse faute de frappe, puisque dans les lignes plus bas la chair est chair. Et cela me donne à penser au conflict dans ma tête entre chaire et chair.

    Quant au texte, à la première lecture, l'idée de cette tête qui protège le lit, nuque tournée au mur et, au-delà du mur, le monde grouillant de réel. Et puis le lavabo, le miroir...
    Enfin, le reste aussi... l'âge de l'homme, la jeunesse de Hina... l'homme qui fait d'elle heritière, non pas seulement d'une statue, mais de bien plus.

    Oui... je comprends qu'on veuille se réfugier dans un tel monde intérieur, une sorte d'intime musée où tronent les plaisirs minuscules chapardées à la vie et à ceux qui (nous) la traversent, cherchant protéction et consolation là (Hm! tiens.... Notre besoin de consolation... etc, etc ... Stig Dagerman... ma pensée en errance.)...

    A la deuxième lecture, infimes détails révélateurs de ce monde à soi, la mémoire, le trait d'union qui n'est toujours là où on croit qu'il pourrait/devrait être.
    Ce que vous écrivez donne à réfléchir. Comme toujours.

    Et puis... comme une coïncidence qui m'a fait sourire: un mots... deux... dans votre texte.
    :)

    Bon fin de dimanche!

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  4. Ce que vous me dites me fait entrevoir des choses que moi-même je n'avais pas vu jusqu'à présent, du moins consciemment.
    Le symbole du centaure
    L'héritage et le "père"
    Le lavabo, l'eau, la toilette, l'intime, le pur et le sacré
    Le miroir et Alice, le miroir et cet autre "soi"

    Qu'est ce qui pour vous n'est pas là ou il devrait être ? Quel trait d'union ?

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  5. Ah! Mince! Pourquoi supprimé?!
    Moi qui venais y répondre! Pfff! Pas sympa!
    :)

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    1. Vous pouvez à nouveau y répondre

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    2. Donc!
      Oui, le symbole. Pas le centaure, pour moi.
      Mais bien un moaï.
      Quant à l'héritage... le père... Non, pas dans ce sens-là.
      Je ne sais pas si je vais réussir à sortir ce que j'ai dans la tête comme image: c'est l'idée, en lisant ce que vous écrivez de charnel, l'idée que cet homme lui a laissé en héritage la femme qu'elle est devenue. Enfin, pour moi, ce passage est assez puissant de ce point de vue: il y a toujours (ou peut-être pas!) un homme qui nous rend plus femme que tous les autres. Je parlais, donc, de cet héritage.

      Le trait d'union?! Ce que vous dites dans votre texte, de ce trait d'union entre deux corps... Qu'il faut bien plus pour que ce trait soit. Et je suis bien d'accord avec vos mots, c'est cela que je voulais dire.

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    3. Je me demande à l'instant s'il y a une femme qui nous rend en retour un peu plus homme. Je ne peux pas parler de l'inverse évidemment. Je ne crois pas que ce soit le cas, pour moi devenir un peu plus homme c'est une évolution intime que je ne dois qu'à moi-même et à personne d'autre. Je dirai plutôt que c'est en se libérant de l'emprise du regard des autres que je trouve ma place d'homme, que je deviens et suis homme. Un chemin vers la liberté.

      Concernant Hina, je ne crois pas qu'elle soit femme. Il me semble qu'elle reste avant tout ancrée dans l'enfance. L'incapacité à vivre en dehors de sa bulle, à accepter le présent, le futur et le réel, en témoigneraient très nettement. Aussi, je ne vois pas le peintre comme un véritable passeur, certes il est allé un peu plus proche d'elle que n'importe lequel de ses amants postérieurs, mais en payant le prix de l'incapacité d'Hina à s'inscrire dans cette relation. Peut-être a-t-il d'ailleurs contribué à renforcer ce caractère chez Hina en ne s'y opposant pas...

      C'est marrant, c'est la première fois que je spécule à ce point sur les personnages d'une fiction écrite de ma main.

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    4. Maarrant pour vous, peut-être, mais bon pour la lectrice que je suis.
      Puisque, ainsi, je peux mieux voir.
      Pour le devenir, je parlais concernant le côté charnel. Ce chemin, là, on le traverse toujours à deux, non?! Ou alors c'est vraiment triste si c'est en solitaire.
      Et là, en passant mieux sur quelques mots, phrases... oui... c'est vrai... vous avez raison de m'ouvrir les yeux: elle - toute à son monde; lui - un simple étranger.
      Allez... une troisième lecture pour mettre les choses à leur place!
      :)

      Merci, ici et ailleurs!

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    5. Oui, je comprends cette nuance. Pourtant quelque chose me dit en moi que y compris d'un point de vue charnel c'est un chemin principalement personnel. Dans cette hypothèse, l'autre deviendrai davantage révélateur que passeur. Vous me direz que le révélateur est aussi un passeur d'une façon ou d'une autre.

      Vous pouvez m'appeler Raphaël puisque c'est mon prénom.

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    6. Je parlais bien de révélateurs dans mon commentaire plus haut et non pas de passeur, Raphaël, quand je parlais de détails dans ma lecture. Celui-ci en fait partie et c'est dans ce sens-là que ma pensée fait chemin: l'Autre qui rélève quelque chose de nous qui nous est inconnu.
      Hina n'était alors plus faite de la même chair, elle appelait l'homme à elle. Elle l'invitait, non pas pour lui permettre de comprendre et percevoir son monde symbolique, mais pour absorber son corps ..., jusqu'à la femme cathédrale, jusqu'au marionettes (et là, oui... j'y vois mieux), jusqu'à la mansarde où aucun homme ne mettra plus jamais les pieds. Pourquoi aucun autre après lui?!

      Bon... Bonne soirée, Raphaël.
      Et merci pour cet échange qui éclaire ma lecture.

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    7. J'avais oublié vos premiers mots et été parti sur le déroulement de mes propres pensées.

      Pourquoi ? je vois deux choses, l'idée du sanctuaire d'une part et d'autre part car il y a une suite à cette histoire. Une suite qui était l'idée première mais que je n'ai pas su écrire dans ce texte là, or la suite se passait ailleurs et toujours en lien avec cette idée de sanctuaire et de sacré.

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    8. Quoi qu'il en soit, moi, j'aime bien cette idée-là!
      Et la manière dont vous la traitez dans votre texte.

      Supprimer

  6. p.s.
    La honte!!!
    BONNE fin de dimanche
    ...

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  7. ça faisait longtemps...

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La Malemort

Dans la clarté de la nuit des songes en nuées là la Malemort où je ne sais quoi sort s'étire et s'enchâsse s'enlace jusque sous ta gorge griffant mordant soufflant le chaud et le froid sur la peau fine écarlate prête à geindre en mille éclats de lunes en ta face putasse ta queue branlée tes bourses lourdes mises à mal pour le long voyage la malle poste et ta tête branlante riposte étouffe entre les cuisses la douceur de la peau le tendre abrasé par ta barbe impropre parsemée de l'odeur forte de son con tant de fois baisé sous le lit des pinèdes qui là te font suffoquer ahaner en grande goulée giboulée et bâillon de bave embrassées nage nage petit poisson poisseux visqueuse bite guerre de tranchée perdue avant que la messe ne soit dite car l'avant fut fessé pris engouffré pénétré fouetté mâle mené foutraqué fourré comme jamais quatorze queues putargues avalées pour te voir plus tard t'affaler offert lustré ta sueur suie blanche crasseuse épaisseur criante et ton

Un répit

 L'un contre l'autre, assis dans le salon. Lumières éteintes. Quelque chose comme trois heures passées minuit. Les lueurs de la vie. Les solitudes choisies, subies. Tes mains qui me massent, nous apaisent. Le dos se dénoue. La colonne s'abandonne. Je sens ton envie. La mienne naît ainsi de la tienne. Je ne dis rien. Je ne suis pas même certain de le vouloir. Pourtant je le veux. Mais je crains l'après. Est ce que cela effacera l'avant ? Est ce que cela effacera le dernier mois ? Ce serait plus simple, mais je ne veux pas que cela efface. L'amnésie et l'oubli pour ceux qui craignent. Je suis capable de cela. Mais je ne veux pas. Alors tu demandes. Je dis oui, j'ai envie. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, je ne sais pas si cela compliquera plus encore. Je dis cela, et je dis j'ai envie. Et tes mains continuent à glisser sur ma peau. Et tes seins, et ton ventre, et ton bassin, collés contre mon dos. Je bande. Depuis longtemps déjà. Depuis que

La chambre des rêves (communion d'un Ange ou d'un Fou)

  Bande son : Handel - Giulio Cesare in Egitto, HWV 17, Act II, scène XIII : Aria-largo "si pieta di me". Interprète : Sandrine Piau https://www.deezer.com/track/92369954 —-----------   Bilbao. Au coeur del Cerco Viejo, tout proche de la Plaza Nueva, non loin del Nervion, il y a une petite rue, des odeurs légères et trainantes de tortillas, de chipirones frios, des éclats de voix, ceux des enfants qui jouent, ceux des adultes qui s'apostrophent dans le brouhaha tout proche, des bruits de vaisselles, celles que les serveurs lavent à la va vite avant de les remplir de pintxos gourmands et généreux. Franchir le passage, c'est se noyer dans le coeur battant de la ville, dans la foule et la vie sociale, l'alcool et les rires, le plaisir de l'instant et les amitiés braillardes. Restons en bordure. Au numéro uno de cette petite kalea servant de desserte à la dizaine de bar à pintxos de la Plaza, avant le chao des hommes, il y a une porte dont seul les rêveurs ont l&#