Chaque chose était vivante. Chaque chose était mémoire. Chaque
objet était une part d'elle. Chaque objet était elle. Elle était
ces objets. Ils étaient elle, sa propriété, son domaine, son monde
à elle. Disposer des choses était une nécessité absolue de sa
vie. Les faire siens c'était maîtriser un monde, un univers qui lui
était propre, univers secret, inconnu, inabordable pour quiconque
n'aurait pas été dans sa peau ou dans sa tête. Qui saurait
déchiffrer le sens que prenait pour elle cette large tête sculptée
qui trônait fièrement à proximité de son lit ? Travaillée
dans un bois de noyer aux teintes ambrées, cette crinière sauvage
prenait à ses yeux l'écho d'une chevelure de femme s'ouvrant
partiellement sur le front équidé d'un animal aux naseaux puissants
et au regard fier, un regard porteur de mythes aux chevauchées et
aux combats fantastiques. Qui pouvait comprendre que l'anthracite et
le gris de lave des tapis épais qui gisaient en rectangles séquencés
aux côtés de la méridienne décorée de blanc et de gris, évoquait
pour elle la caresse d'un sable volcanique chauffé par un soleil de
printemps, une caresse rugueuse mais tendre qu’elle recevait sous
la plante de ses pieds nus alors qu’elle s’abandonnait à ses
échappées belles ?
L'équilibre se créait
ainsi, son monde était un rêve, une réalité palpable, le reste
n'avait pas de substance, presque aucune consistance. Chez elle, au
delà il n'y avait de monde réel, il n'y avait pas de matière. Au
delà des murs qui l'entouraient, flottait toujours un parfum
d'irréalité, un parfum d'extérieur qu'elle ne savait s'approprier.
Il y avait son monde, un continent dont les murs d'ocre brique ou de
blanc soyeux étaient la limite du ressac et dont les ouvertures
formaient une vue sur la mer à perte de vue. Deux velux pour donner
la couleur du ciel, un hublot et quatre fenêtres pour distinguer les
vieilles toitures comme des vagues successives à perte de vue.
C'était son monde. Au gré des humeurs elle ouvrait ses fenêtres
pour y faire rentrer le vent du large, ou les fermait totalement à
la lumière du jour pour s'isoler et se protéger des vents
menaçants. Son monde, son refuge, son foyer sacré que nul ne
pouvait pénétrer sans y avoir était invité, autorisé, accepté.
Hina vivait dans une
vaste mansarde constituée de deux espaces séparés par une marche
en forme d'obstacle léger, une marche que l'on enjambait le plus
souvent pour passer d'un côté ou de l'autre, comme une porte
invisible altérée seulement par une poutre cylindrique qui reliait
le sol, dressé de vastes plaques de bois lustré d'une couleur cuir
lumineuse, à l'une des trois longues poutres de bois sombre qui
avait toujours strié de parallèle ce lieu qui avait été le sien
depuis son origine. Deux espaces pour le tour d'une vie héritée de
ses parents décédés à la lisière de ses 17 ans, une grande pièce
sous les toits de la vieille ville qui avait été aménagée pour
elle à son adolescence et qui lors de son enfance lui servait de
cachette secrète, seul lieu où son imaginaire pouvait voguer où
bon lui semblait sans la contrainte de quiconque. Personne n'y était
accepté, ses parents n'y avaient eus aucun droit de cité.
Dès l'âge de 5 ans,
elle fut autorisée par ses parents à y venir seule, autant qu'elle
le souhaitait. Elle y venait alors souvent avec ses deux chats, seuls
êtres vivants à ses yeux à pouvoir montrer patte blanche, seuls
êtres vivants capable de mutiner parmi le vaste débarras sans en
altérer la magie originelle. Avant même que Hina ne soit enfantée,
sa mère, cet être évanescent, fragile et incertain, avait pris
soin de conserver tous les vêtements de la famille jusqu'à ceux des
grands parents. Lorsque sa mère était encore fille, elle les avait
fréquemment sauvés en cachette des fourches destructrices des
bûchers animés pour faire place nette à l'occasion. Ainsi disposés
dans de vastes malles, armoires ou sacs de voyages éparpillés, Hina
avait longtemps joué avec ces artifices, habillant des poupées et
des peluches, créant ces personnages, se créant ses amis, ses
veilleurs et ses gardiens du secret, construisant son langage dans
les légendes de ses aventures solitaires où les objets deviennent
des compagnons fidèles, dévoués et aimants.
Ses parents ne l'avaient
pas accompagnée longtemps dans cette vie aux replis enchantés. Elle
ne croyait pas en garder de blessure précise, et seule l'idée d'une
vague en ayant recouverte une autre lui venait à l'esprit
lorsqu'elle se plongeait dans les images du passé. Ses souvenirs
avaient été rapidement estompés et de leurs visages ne restaient
plus guère que les images colorées des albums photo qui étaient
toujours disposés sur l'étagère cachée par de larges rideaux
épais au rappel de toile de jute. Des images qui n'avaient plus de
vie propre mais qui s'étaient diffusées en filigrane dans chacun
des objets qu'elle même avait su sauver de la vente qui avait suivi
la disparition de ces êtres chéris. D'autres objets recueillaient
depuis ces vies antérieures, des objets dont elle avait
principalement fait l'acquisition dans les différentes braderies qui
égrainaient la clameur des rues pentues au rythme d'une journée par
saison. Ces images aux contours flous et incertains devenaient ainsi
des vies remaniées, réécrites, réinventées pour devenir son île,
des histoires changeantes au fil des humeurs qui l'envahissaient
selon la lumière du ciel et le reflet des toitures grises et rouges
qui échouaient au cœur de son île intime.
Ainsi cette vieille
carafe de verre mal façonnée qui ponctuait une table ovale de
marbre blanc légèrement veinée par des lignes du gris au noir
rappelant en négatif les trois pieds massifs de bois qui soutenaient
la pierre, ainsi cette antiquité de verre devenait parfois le
réceptacle du vin rouge que son grand-père fabriquait lorsque son
père n'était qu'un enfant de la garrigue, d'autre fois le calice
d'une liqueur empoisonnée offerte par passion à la femme qui
refusait de s'offrir à un joli dandy bourgeois mais vil de jalousie,
ou encore une pièce sans autre vie que celle venant d'héberger
l'eau fraîche tirée à l'instant du seul et unique petit lavabo de
faïence blanche. Ce lavabo, par endroit ébréché en de menues
tâches sombres, complétait un minuscule coin douche à la
Parisienne où la toilette se fait assis sur un tabouret minuscule
face à un miroir aux arabesques marocaines serties de pierres
oranges. Ce même miroir qui une nuit prenait naissance dans les
chansons d'Ishtar et les contes de Shéhérazade, et qui la nuit
suivante prenait les atours d'une magie sombre d'un conte des frères
Grimm.
Ses rêves étaient ses
vies. Ils l'emportaient toujours plus loin. Son antre relevait de
mille détails, d'autant de vies projetées comme étant autant de
possible de ce qu'elle était. Elle aimait ponctuer ses deux pièces
par des coussins de formes différentes, larges carrés blancs ou
crèmes, rectangles étroits de fonds blancs et de cercles aux
pourtours colorés, cylindres noir en tissu de taffetas chamarré,
brodés d'or et ponctués de petits pompons glissant lourdement dans
le vide en des tressages épais, agréables à caresser
machinalement, propices à de nouveaux envols, tout comme ce coussin
épais aux dessins de cachemire disposé sur la marche obstacle qui
lui rappelait au toucher la fragilité paradoxale de ces tapisseries
médiévales, usées mais douces, qu'elle avait pu voir dans le vieux
château musée de la ville. Son monde de Bohême était riche de
matières à réinventer, apaisé par l'épaisseur moelleuse des
coussins, des tissus, des dessus de lit, des tentures, des housses
blanches qui ensevelissaient trois chaises aux assises confortables,
courtisé par la séduction de ce petit fauteuil à l'assise
circulaire, garnie d'une chaleur propre au ton abricot, laissant
découvrir le reflet de cuivre et d'étain des poinçons métalliques
unissant la structure de bois patinée par le temps aux tissus
chaleureux et duveteux.
Détruire ces objets
aurait été saccager son existence, s'en prendre à elle, la tuer
assurément. Chaque objet chiné, chaque pièce de matière amassée
donnait à son existence un sens supplémentaire, une raison de plus
de poursuivre l'histoire silencieuse qui s'écrivait en elle.
Derrière la méridienne se trouvait une statue d'un grès creux
moucheté comme s'il s'agissait d'une large pierre ponce. Pourtant la
surface en était légèrement plus douce, légèrement polie, mais
pas suffisamment pour ôter des aspérités variées qui par leur
profondeur plus ou moins importante fournissait une palette d'ombres
et de nuances assez vaste. Cette autre sculpture avait une forme
ronde, comme une masse dont on ne parviendrait qu'avec difficulté à
discerner le sens des lignes. Lorsque la main s'y posait, la pierre
travaillée par l'artiste dégageait une fraîcheur inattendue et
surprenait d'autant plus que la masse semblait paradoxalement légère,
alors même que l’œil extérieur, au vu de la masse difforme et
d'un large pied au couleur de fer rouillé, n'aurait pu laisser
soupçonner autre chose qu'un poids sans égal.
Hina avait reçu cette
sculpture d'un étrange héritage, particulier et inattendu. Cette
fois, il ne s'agissait pas de celui de ses parents, il s'agissait de
l'héritage d'un homme ayant traversé sa vie sur la pointe des
pieds, décédé maintenant depuis une dizaine d'année. Son premier
amant, le premier homme. Ils s'étaient vus de façon irrégulière,
toujours dans sa mansarde, ils ne parlaient l'un et l'autre que très
peu, se contentaient de ce qu'ils vivaient et s'offraient
mutuellement, une présence désincarnée qui laissait à
l'imaginaire tout le loisir de décorer leurs rencontres de motifs à
prolonger. Lui était beaucoup plus âgé qu'elle, elle n'aurait pas
su dire combien d'années les séparaient, vingt ? trente ?
Quarante ? Elle ne s'était pas même posé la question, les
choses allaient de soi, ça n'était pas le corps qui était leur
trait d'union, mais les détails à imaginer, à créer, à
embrasser, les petites choses faites de rien ou de si peu, ces
petites choses qui par l'espacement du temps et des caresses donnent
la tenue, l'ensemble, l'unité. Tout ce qui structure et soutient un
monde. Il n'avait pas posé de question. Pas de qui es-tu ? De
que fais-tu ? D'où viens-tu ? Son histoire, il croyait la
comprendre, il se sentait à la fois intrus dans son monde, et seul
capable à accepter cet état de fait. Il était intrus. Mais il
était là.
Il était vieux. Hina
était jeune. Leurs vies étaient derrière eux. Lui pouvait imaginer
ce qui se passerait après. Elle continuerait à vivre par tous ces
objets qui l'entouraient et qui l'entoureraient toujours. Au premier
jour, Hina avait acheté à cet inconnu d'alors une grande toile. Un
tableau qui était depuis posé à même le sol pour ne plus jamais
bouger de cette place réservée, une peinture encadrée d'un bois
laqué noir. Composition peinte sur un tissu tendu sur une toile de
jute. Des traits noirs au travers duquel elle hésitait elle-même
entre un visage christique qu'aurait imprégné un vieux suaire,
existant ainsi dans la matière et au delà du symbolique, dans le
temps et l'espace, ou, à peine esquissé, un Don Quichotte au visage
émacié, affaibli par les années mornes et sèches des campagnes
désertes de la Mancha, homme fatigué et longiligne, éloigné de sa
puissance physique, habité par la force de ses obsessions. La toile
était ça et là irisée de tâches beiges et de fondus bleu pétrole
cachant vers le bas l'esquisse imaginaire d'une colombe maladroite en
impression négative.
Elle ne lui avait posé
aucune question sur la signification de ce qu'il avait peint. Pour
Hina, il était évident que l’œuvre était sienne. Il lui en
était gré. Pour une fois, enfin quelqu'un avait semblé accepter ce
qu'il avait créé pour se l'approprier pleinement et en faire un
prolongement qui lui appartenait. Hina l'avait convié chez elle
après la soirée qui venait clôturer l'exposition qui lui était
consacrée, cette soirée même où il lui avait vendue cette toile,
cette soirée même avant laquelle Hina n'avait pas d'existence pour
lui. En découvrant son intérieur, l'artiste avait été frappé par
le sentiment troublant que cette toile avait été faite pour elle,
pour cet pièce précisément, pour compléter l’œuvre de la vie
d'Hina, cette pièce qui hébergeait sa vie au travers de toute cette
accumulation d'objets.
Au fil des quelques
visites qui avaient accompagnés les mois suivants, il était très
vite parvenu à se dire qu'il avait rêvé peindre cette toile,
qu'elle n'était pas de sa main, qu'elle lui était désormais
fondamentalement étrangère. Hina était cette étrangère. Cette
étrangère sauvage et mystérieuse. Cette amazone qui l'extirpait à
son monde, qui le baignait dans un autre. Cette étrangère qui le
baisait selon son envie comme elle aurait pu utiliser un pieu fait de
chair. Il venait à elle seulement lorsqu'elle le convoquait,
généralement après un message court reçu sur son répondeur.
« Viens ». Toute à son étrangeté Hina ne disait rien
d'autre, ne laissait aucun prénom, aucune familiarité, aucune
politesse. Un mot. Un seul. Impératif. Toujours ce mot échouait au
milieu de la nuit. Alors il venait sans plus se préparer, entouré
d'un nuage vaporeux, à demi-conscient, traversait dans le désert
nocturne quelques ruelles pavées et pentues pour rejoindre le sommet
de cet ancien hôtel particulier, il gravissait le vieil escalier
médiéval en colimaçon pour venir buter à la dernière porte.
Là, Hina l'attendait, le
plus souvent assise sur le fauteuil aux poinçons métalliques,
assise les jambes écartées en une obscénité étrange, toute à
elle et à son reflet fumé que lui rendait le grand miroir au cadre
en dorure, encadré de feuilles de chêne au sommet, descendant en
courbe vers la longueur, puis s'étiolant en liserés silencieux et
discrets. Hina devenait corps végétal se fondant dans son monde
d'objet. Qui lui faisait l'amour à cet instant ? Elle par sa
seule main fouillant un sexe liquide au corail rouge incandescent,
écartant les chairs basculées à demie à la limite du siège,
laissant apparaître deux plantes voraces dardées par des doigts qui
prenaient racines ? Un sexe pieuvre invisible aux autres mais
concrètement réalité pour Hina ? Des tentacules qui
grimpaient collées à ses jambes aspirant par petits cercles
successif la peau mate jusqu'à parvenir en son centre, plongeant en
l’abîme, loin des regards extérieur, plantant en elle des crocs
minuscules inondant son sang d'un venin extatique qui donnait à ses
lèvres la lourdeur d'un tissu pourpre et lisse, humidifié par la
salive que déposait sa langue avide ? Autre monde invisible aux
autres.
Étrangement vêtue sans
l'être vraiment. Elle n'était pas nue. Elle n'était pas habillée.
Son corps était envahi de lumières changeantes diffusées par deux
grands chandeliers de fer forgé qui avaient la hauteur de petites
femmes, tels des vases ouverts et structurés se terminant en bougies
semblables à des volutes d'arbustes. La lumière dansait sur sa peau
moite et transpirante, projetait sur ces seins lourds et pointus
l'ombre de branches printanières ancrées dans un grand vase de
verre, ornée de pousses de fleurs de cerisier roses. En contre point
une autre source lumineuse s'échappait d'un chapeau de fourrure de
loup gris, lui-même posé sur un vieux tronc d'arbre forestier, et
venait se déposer sur sa nuque libérée par l'effet d'un chignon à
la complexité naturelle. Son corps devenait habité d'autres vies.
Soulevée de soubresauts frémissants, elle était parée d'ornements
disparates, totems assemblés, glanés aux hasards de ses promenades.
Bracelets enfantins en billes de bois roses et violettes, étoilées
de cœurs naïfs, parures d'or aux lignes épurées qui entouraient
sa taille et son cou comme un fil sans relief et large d'un demi
centimètre, pendentifs de cuirs alourdis de perles d'ambre, de
coquillages océaniques ou de perles de verre bleu sombre ou
transparent.
Hina n'était alors plus
faite de la même chair, elle appelait l'homme à elle. Elle
l'invitait, non pas pour lui permettre de comprendre et percevoir son
monde symbolique, mais pour absorber son corps et ainsi matérialiser
derrière le paravent de ses yeux bruns tous les sexes tendus,
animaux ou végétaux, qu'elle appelait au sacrifice de ses envies.
Elle pouvait vouloir être prise, saillie violemment dans une
étreinte qui ne donnait aucune tendresse, hurlait pour qu'on la
tienne, pour que sa queue l'éventre de toute sa puissance de mâle,
pour entendre le son humide des bourses taurines frappant lourdement
son sexe vaseux, coulant, liquide. L'histoire devenait autre, il ne
s'agissait plus d'elle ou de lui, elle était mise en scène d'images
brutes, purulentes de désir fiévreux. Souvent la femme cherchait à
mordre le mâle qui investissait sa chatte de sa bite turgescente,
elle griffait, crachait une nature déchaînée de ses yeux drogués
par la puissance du désir jamais suffisamment assouvi.
D'autres fois, le
sculpteur avait la sensation d'un jeune lierre difficile à séparer
du corps objet de son emprise, elle s'enroulait comme un liane au
torse de son invité, le happant de ses baisers, léchant lentement
la commissure de ces lèvres masculines, mordant doucement la langue
de celui qu'elle investissait, glissant dans le cou pour chatouiller
l'oreille, frottant son bassin contre la queue dressée pour
pénétrer, glissant sur le gland sans le laisser entrer en elle,
susurrant quelques mots provocateurs, « je vais baiser ta
queue », « tu vas jouir mon chaton », « laisse-toi
faire, tu vas voir », « je veux m'empaler sur ta bite ».
Alors elle se liquéfiait, elle fondait à ses pieds, suçait sa
queue avec un appétit déconcertant, sans se soucier du regard de
l'autre, elle le mangeait littéralement, se goinfrait de son sexe,
de son gland, de sa base, de ses couilles, sa respiration se faisait
forte, elle sentait sa peau sale de l'odeur accumulée durant la
journée entière, durant les premières heures de la nuit passée,
une odeur de mâle, une odeur intime, entêtante, une odeur de stupre
qui jamais ne la rassasiait, puis après avoir longtemps léché,
entouré de sa langue, caressé de ses mains, écarté et pincé de
ses doigts, aspiré en sa bouche et mordillé doucement, elle le
basculait sur les tapis épais, prenait soin de lui en glissant sous
sa tête le vaste coussin au dessin de cachemire, puis enfourchait
son buste, offrant à son regard l'image d'une femme cathédrale.
Elle se penchait pour
saisir sa queue de la main droite alors que quelques bracelets de
pacotille venait se perdre dans la tonsure des poils pubiens,
arrachant quelques-uns au passage, donnant à son sexe une
verticalité parfaite. Elle ramenait alors son bassin au plus proche
de la queue dressée, pendant quelques secondes elle se figeait,
dardait son regard dans cet autre regard. Il sentait alors une
chaleur l'envahir, débutant à l'extrême pointe de son gland pour
se diffuser dans son ventre sans qu'aucun contact n'aie encore eu
lieu. Puis elle se laissait choir, assise sur cette bite, totalement
absorbée dans un lac de mouille, échappait un soupir d'aise partagé
par Hina et lui-même, puis elle se mettait à frotter son ventre
contre le sien, de façon à amener son clitoris à rapper les poils
pubiens pour en retirer encore davantage de plaisir. D'avant en
arrière, sans remonter une seule fois le long de sa verge. Elle se
frottait. Lui, immobilisé par le poids de Hina ne pouvait rien faire
d'autre que de gonfler sa paroi abdominale pour tenter d'accentuer le
frottement du clitoris contre ses poils, et ainsi augmenter le
plaisir de sa partenaire.
Elle faisait des
va-et-vient, et lorsqu'elle reculait, il avait l'impression que sa
bite trouvait un point de rupture, comme si elle se brisait en un T
vers l'arrière, cela décuplait l'emprise de ses mains sur ses
hanches généreuses. Alors Hina se relevait, et laissait poindre
l' énorme gland quinquagénaire à l'orée de son cul, elle
écartait la chair de ses globes charnus en deux tensions opposées,
ancrait la bite dans son mécanisme et alors descendait lentement
jusqu'à en aspirer les couilles, puis remontait tout aussi lentement
pour redescendre à nouveau dans un temps similaire. Hina fermait les
yeux, mordait sa lèvre inférieure, grimaçait en plissant le front
comme s'il s'agissait d'un exercice difficile pour la petite fille
qui vivait en elle, difficile mais plaisant. Elle laissait échapper
quelques sons qui ne laissaient aucun doute sur le plaisir qui
l'envahissait, comme s'il la ramenait encore plus profondément en
elle. Comme si elle entreprenait là un passage vers des abysses
attendus et rêvés. Hina n'était plus là, son emprise sur ce corps
stratagème diminuait, alors son amant pouvait commencer lui aussi
à venir doucement, participant au rapprochement et à l'éloignement
des deux corps qui glissaient un peu plus vite l'un dans l'autre.
Il ne brusquait rien, de
peur de la voir disparaître devant ses yeux, de peur qu'elle ne lui
échappe totalement. Il ne faisait que suivre ce que cette femme
mystère lui dictait silencieusement, marchant sans bruit dans un
pays où il ne serait toujours qu'un simple étranger, acceptant ce
statut pour la rareté de l'expérience. Elle le rendait précieux.
Il tâchait de retenir sa propre jouissance le plus longuement
possible, mais Hina prenait la longueur du temps pour un devoir
incontournable, alors souvent il jouissait avant elle, sans bruit,
sans autre preuve que son souffle un peu plus rapide, que ses yeux
révulsés qu'elle ne regardait pas, puis reprenant ses esprits il
tâchait de ne pas perturber le cérémonial. Il restait dur en elle
par une magie inexplicable, comme si la chaleur de sa chair
maintenait sa force à un état de vigueur indéfini. Hina
continuait à grimper et descendre, toute à son monde, son regard se
perdait vers le paravent qui séparait la pièce d'eau. Il était
peint en des tons noirs parsemés de rouge, orné de fleurs sculptées
et colorées, égrainé de personnages aux visages d'indes, le nez
rond presque disgracieux. Regardait-elle ses hommes et ses femmes qui
alternaient l'ordre et l'orientation en fonction des quatre partie
distinctes du paravent ? Leur donnait-elle corps, devenaient-ils
prétexte à quelques mises en scènes artistiques du Kama Sutra ?
Devenaient-ils les marionnettes d'une orgie qui se jouait en elle ?
Puis en un cri rauque, presque sourd, elle expiait un dernier souffle
avant de s'effondrer suante sur le torse parsemé de poils blancs de
son amant artiste, se mettait à pleurer en des larmes chaudes et
douces, et enfin s'endormait nue à ses côtés au plus profond de la
nuit.
La statue qu'il avait
faite pour elle lui fut donnée à son décès par la voie de son
notaire. Cette statue était à son image, une masse large, ronde et
ample qui selon le regard et le placement adopté laissait à voir
une sorte d’œuf sans grande prise, mais qui lorsque l'on en
faisait le tour laissait distinguer les traits d'une femme qui se
serait enroulée sur elle-même, recroquevillée en son monde,
construite dans tout le secret de son intimité foisonnante. Un objet
de plus dans lequel venait se nichait la perception d'un regard
extérieur qui la rendait un peu plus elle. Hina ne pleura pas son
amant, il ne lui manqua pas, il vivait encore dans cet objet et dans
ce lieu. Il aura été le seul à être ainsi invité chez elle, le
seul à qui elle aura laissé la possibilité de connaître son monde
sans lui en parler, sans lui l'expliquer, un spectateur particulier,
preuve alors vivante que son monde était réel. Aucun des amants
qu'elle consommera par la suite avec plus ou moins de régularité ne
pénétrera sous la mansarde. Tous furent baisés, tous la baisèrent
chez eux où ailleurs, et à la fin de chacune de ses relations, Hina
sans en comprendre le sens leur vola un objet, une photo, un bouton,
une pièce de monnaie, un paquet de cigarette, une alliance, une
gourmette, un collier ou encore une carte postale. Tous vinrent
nourrir son monde intérieur sans qu'ils ne puissent le déceler
clairement. Ainsi à chaque rencontre, à chaque fois que les corps
se heurtaient, se chevauchaient, se caressaient, s’annihilaient et
s'encensaient, à chaque fois elle préparait préalablement son
corps, son esprit et son imaginaire minutieusement, rassemblant sur
elle, dans ses vêtements ou dans son sac à main, les objets qui
étaient devenus siens au fil de ces chapardages intimes et qui
poursuivaient leur vie dans d'autres vies.
RépondreSupprimerRevu et corrigé?!
Ou bien juste (re)actualisé?!
Et zut! Cette chaire sur laquelle mon cerveau bute à nouveau!
:)
Aucune correction si ce n'est la "chair" que vous venez à nouveau de souligner. Je peux vous assurer que cette faute ne figurera sans doute plus jamais dans mes écrits à venir.
RépondreSupprimerCe monde en soi pour souligner quelques mots partagés récemment par un être cher qui se réfugie souvent dans son monde intérieur pour se consoler et se protéger. J'ai écrit ce récit durant l'été 2012, je l'ai écrit en pensant à elle, pourtant elle ne m'avait alors rien dit de ce monde intérieur.
Oh, ce n'était qu'une malheureuse faute de frappe, puisque dans les lignes plus bas la chair est chair. Et cela me donne à penser au conflict dans ma tête entre chaire et chair.
RépondreSupprimerQuant au texte, à la première lecture, l'idée de cette tête qui protège le lit, nuque tournée au mur et, au-delà du mur, le monde grouillant de réel. Et puis le lavabo, le miroir...
Enfin, le reste aussi... l'âge de l'homme, la jeunesse de Hina... l'homme qui fait d'elle heritière, non pas seulement d'une statue, mais de bien plus.
Oui... je comprends qu'on veuille se réfugier dans un tel monde intérieur, une sorte d'intime musée où tronent les plaisirs minuscules chapardées à la vie et à ceux qui (nous) la traversent, cherchant protéction et consolation là (Hm! tiens.... Notre besoin de consolation... etc, etc ... Stig Dagerman... ma pensée en errance.)...
A la deuxième lecture, infimes détails révélateurs de ce monde à soi, la mémoire, le trait d'union qui n'est toujours là où on croit qu'il pourrait/devrait être.
Ce que vous écrivez donne à réfléchir. Comme toujours.
Et puis... comme une coïncidence qui m'a fait sourire: un mots... deux... dans votre texte.
:)
Bon fin de dimanche!
Ce que vous me dites me fait entrevoir des choses que moi-même je n'avais pas vu jusqu'à présent, du moins consciemment.
RépondreSupprimerLe symbole du centaure
L'héritage et le "père"
Le lavabo, l'eau, la toilette, l'intime, le pur et le sacré
Le miroir et Alice, le miroir et cet autre "soi"
Qu'est ce qui pour vous n'est pas là ou il devrait être ? Quel trait d'union ?
RépondreSupprimerAh! Mince! Pourquoi supprimé?!
Moi qui venais y répondre! Pfff! Pas sympa!
:)
Vous pouvez à nouveau y répondre
Supprimer
SupprimerDonc!
Oui, le symbole. Pas le centaure, pour moi.
Mais bien un moaï.
Quant à l'héritage... le père... Non, pas dans ce sens-là.
Je ne sais pas si je vais réussir à sortir ce que j'ai dans la tête comme image: c'est l'idée, en lisant ce que vous écrivez de charnel, l'idée que cet homme lui a laissé en héritage la femme qu'elle est devenue. Enfin, pour moi, ce passage est assez puissant de ce point de vue: il y a toujours (ou peut-être pas!) un homme qui nous rend plus femme que tous les autres. Je parlais, donc, de cet héritage.
Le trait d'union?! Ce que vous dites dans votre texte, de ce trait d'union entre deux corps... Qu'il faut bien plus pour que ce trait soit. Et je suis bien d'accord avec vos mots, c'est cela que je voulais dire.
Je me demande à l'instant s'il y a une femme qui nous rend en retour un peu plus homme. Je ne peux pas parler de l'inverse évidemment. Je ne crois pas que ce soit le cas, pour moi devenir un peu plus homme c'est une évolution intime que je ne dois qu'à moi-même et à personne d'autre. Je dirai plutôt que c'est en se libérant de l'emprise du regard des autres que je trouve ma place d'homme, que je deviens et suis homme. Un chemin vers la liberté.
SupprimerConcernant Hina, je ne crois pas qu'elle soit femme. Il me semble qu'elle reste avant tout ancrée dans l'enfance. L'incapacité à vivre en dehors de sa bulle, à accepter le présent, le futur et le réel, en témoigneraient très nettement. Aussi, je ne vois pas le peintre comme un véritable passeur, certes il est allé un peu plus proche d'elle que n'importe lequel de ses amants postérieurs, mais en payant le prix de l'incapacité d'Hina à s'inscrire dans cette relation. Peut-être a-t-il d'ailleurs contribué à renforcer ce caractère chez Hina en ne s'y opposant pas...
C'est marrant, c'est la première fois que je spécule à ce point sur les personnages d'une fiction écrite de ma main.
Maarrant pour vous, peut-être, mais bon pour la lectrice que je suis.
SupprimerPuisque, ainsi, je peux mieux voir.
Pour le devenir, je parlais concernant le côté charnel. Ce chemin, là, on le traverse toujours à deux, non?! Ou alors c'est vraiment triste si c'est en solitaire.
Et là, en passant mieux sur quelques mots, phrases... oui... c'est vrai... vous avez raison de m'ouvrir les yeux: elle - toute à son monde; lui - un simple étranger.
Allez... une troisième lecture pour mettre les choses à leur place!
:)
Merci, ici et ailleurs!
Oui, je comprends cette nuance. Pourtant quelque chose me dit en moi que y compris d'un point de vue charnel c'est un chemin principalement personnel. Dans cette hypothèse, l'autre deviendrai davantage révélateur que passeur. Vous me direz que le révélateur est aussi un passeur d'une façon ou d'une autre.
SupprimerVous pouvez m'appeler Raphaël puisque c'est mon prénom.
SupprimerJe parlais bien de révélateurs dans mon commentaire plus haut et non pas de passeur, Raphaël, quand je parlais de détails dans ma lecture. Celui-ci en fait partie et c'est dans ce sens-là que ma pensée fait chemin: l'Autre qui rélève quelque chose de nous qui nous est inconnu.
Hina n'était alors plus faite de la même chair, elle appelait l'homme à elle. Elle l'invitait, non pas pour lui permettre de comprendre et percevoir son monde symbolique, mais pour absorber son corps ..., jusqu'à la femme cathédrale, jusqu'au marionettes (et là, oui... j'y vois mieux), jusqu'à la mansarde où aucun homme ne mettra plus jamais les pieds. Pourquoi aucun autre après lui?!
Bon... Bonne soirée, Raphaël.
Et merci pour cet échange qui éclaire ma lecture.
J'avais oublié vos premiers mots et été parti sur le déroulement de mes propres pensées.
SupprimerPourquoi ? je vois deux choses, l'idée du sanctuaire d'une part et d'autre part car il y a une suite à cette histoire. Une suite qui était l'idée première mais que je n'ai pas su écrire dans ce texte là, or la suite se passait ailleurs et toujours en lien avec cette idée de sanctuaire et de sacré.
SupprimerQuoi qu'il en soit, moi, j'aime bien cette idée-là!
Et la manière dont vous la traitez dans votre texte.
RépondreSupprimerp.s.
La honte!!!
BONNE fin de dimanche
...
J'en fais des bien pires !
Supprimer:)
SupprimerPas une bonne raison que je commence et continue à en faire!
Mais si, ça compense les miennes. :)
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RépondreSupprimerEuuuh! Ne comptez pas sur moi!
:)
ça faisait longtemps...
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