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L'envol des papillons bleus

J'ai rencontré Sophie pour la première fois lors d'une journée d'inscription à la fac dont je me souviendrai longtemps. A l'époque, point d'APB, point de parcoursup. Mieux ou moins bien ? Je ne sais pas. Les années passant, on a un peu trop tendance à imaginer que c'était mieux à notre époque. Je crois que toutes les époques se vivent au présent, et si l'on commence à trop penser passé, c'est que l'on est un peu moins bien dans notre présent. Ce jour là, j'avais fait le trajet en train, en prenant bien soin de ne tendre aucunz perche à ma mère afin d'éviter de lui donner un prétexte pour m'accompagner en voiture à Grenoble. Imaginez donc, 18 ans, et l'opportunité de prendre mon envol seule, loin de ma petite Ardèche où trop de choses me semblaient écrites par avance. Non, non, non, ma petite maman, pas la peine de passer cette journée avec moi. Tu peux rester au magasin avec papa, tu sais, je suis majeure désormais. Bref, c'est avec beaucoup d'enthousiasme que je me suis rendue dans les bureaux d'inscription de UFR. Je ne connaissais rien de Grenoble, les moyens de la famille ne nous permettaient pas, comme d'autres, de pouvoir passer nos vacances d'hiver en station. L'opportunité de découvrir cette grande ville à taille humaine ne s'était donc jamais présentée avant ce jour là. Pourtant, au creux de ma mémoire enfouie, c'est du campus dont je me souviens, pas vraiment de la ville que j'avais traversée en tram.
Je cherchais mon chemin entre les différents bâtiments. Ok, on m'avait dit va jusqu'au terminus, après c'est pas compliqué. Mes meilleurs amis avaient fait le choix de Lyon, Montpellier et Aix en Provence. Chacun sa route. Ça n'était pas plus mal en fin de compte, cette fin d'année avait été pénible, Laure aimant Damien qui aimait Stéphanie qui elle sortait avec lui tout en flirtant avec David qui l'avait déjà trompée à plusieurs reprises avec Angélique qui elle était l'ex de Damien. De l'air ! De l'air ! Donc Grenoble loin de cette petite bande, cela m'avait fait du bien. À peine le pied posé sur le quai à la sortie du tram que j'étais déjà paumée. Je décidais de suivre un groupe qui ressemblait d'avantage à des sciences sociales qu'à des scientifiques avant de finir par demander mon chemin à trois ou quatre reprises pour trouver cette fichue porte planquée derrière l'arrière d'un bâtiment monolithique. Guère engageant, mais il y avait du monde c'était bon signe. J'attendais patiemment mon tour, une petite boule au ventre et la gorge un peu sèche, tout de même, c'était quelque chose, de débuter cette vie là, quand Sophie m'adressa la parole pour la première fois. Dieu qu'elle était belle. Les yeux bleus, la peau diaphane, une myriade de petites tâches de rousseur peintes sur le museau d'une petite souris joviale et craquante. De longs cheveux bruns et un style vestimentaire bien à elle, entre un truc un peu vieillot et un peu bab. Elle était un peu mon opposé, moi et ma peau noire virant vers le gris bleu, mes cheveux courts et crépus, ma taille affirmée et mes mains gourdes. Sophie, c'était la joie, l'insouciance, les rires de l'enfance dans le corps d'une jolie jeune femme en devenir. Sophie c'était celle qui insufflait de la confiance, qui vous rendait plus belle que vous n'étiez. Ce jour là, nous avons toutes deux faits la connaissance de Rabia et Isabelle. À nous quatre, nous ne le savions pas encore mais nous allions vivre ensemble le bonheur de nos premiers envols. Sophie et moi avons échangé nos numéros de téléphone en nous promettant de nous retrouver le jour de la rentrée.
Cette année là, comme chaque été, j'ai du bosser. Mais cette fois c'était un peu plus qu'une saison de cueillette, il me fallait engranger un maximum d'économies pour faire face le plus possible à mes dépenses à venir. Le magasin battait de l'aile et le dépôt de bilan se préparait. Maman n'aurait pas droit au chômage puisqu'elle n'avait jamais été déclarée, papa en tant qu'artisan n'avait pas beaucoup d'assurance de voir sa chute amortie. J'ai donc trouvé une place au tout nouveau Mc Do et comme déjà à l'époque je ne faisait pas les choses à moitié, j'ai vite fini meilleure employée du mois, ce qui au passage m'a bien fait comprendre que c'était moyennement apprécié par les plus anciens à qui j'avais volé la prime de 500 F. Mes pensées allaient souvent vers Sophie pendant ces longues semaines de travail. J'avais envie d'entendre sa voix, mais je n'ai pas osé l'appeler, j'espérais qu'elle le fasse. Aucune de nous ne le fera finalement et c'est un jour de fin septembre que nous nous sommes toutes quatre retrouvées. Nous étions toutes rayonnantes, en tout cas je me suis sentie rayonner aux côtés de Rabia, d'Isabelle et de Sophie. Chacun dans notre style, très différentes des unes des autres, nous nous apportions chacune ce qui manquait à l'autre. Rabia c'était la timide, la plus douce et la plus bucheuse. Isabelle, celle qui aimait les hommes qui ne l'aimaient pas, hyper sportive, caractérielle et déterminée. Sophie, dois je vous la présenter à nouveau ? Sophie était brillante intellectuellement, elle attirait tous les cœurs sans qu'elle n'en aie conscience. Moi, j'étais celle qui était là, au soutien, ravie d'être à leur côté, certaine que je réussirai guidée par ma bonne étoile et une maturité qui cherchait à cacher les blessures profondes d'une enfance passée trop souvent à l'ombre d'un racisme de terroir.
Sophie partageais un studio avec Isabelle. Nous étions nombreux à dormir dans le studio lorsque les soirées de notre DEUG prenaient fin. C'était pratique, juste derrière la gare, donc tout proche des navettes qui nous déposaient en boîte de nuit dans la périphérie grenobloise. Je crois que j'étais un peu envieuse du temps qu'Isabelle pouvait passer avec Sophie. Je faisais la gniaque à cette jalousie quand c'était moi que Sophie choisissait pour partager son lit ces soirs là. Entendons nous bien. Nous devions être chaque fois une dizaine à finir nos nuits chez elle. Isabelle partageait son lit avec son copain qui ne l'aimait pas, ça va de soi, les autres garçons dormaient par terre sur la moquette. Rabia n'était jamais de la partie, ses parents n'acceptaient jamais de lui donner le billet de sortie, Il y avait souvent en plus de moi Delphine, Karine et Virginie. Donc quatre candidates au dodo dans le lit deux places de Sophie. J'aurais voulu que ce soit moi à chaque fois. Trois fois sur quatre, je faisais donc la gueule le matin, me plaignant d'un mal de dos pas tout à fait imaginaire, mais bienvenu pour masquer la déception de n'avoir pas pu profiter de la chaleur du corps de Sophie.
Je ne crois pas que j'avais conscience du désir que m'inspirait Sophie. Pas à cette époque. Je m'imaginais qu'il s'agissait d'amitié. Elle était très tactile. Nous étions très tactiles toutes les quatres. Il n'était pas rare que nous nous tenions la main, que nous nous serrions dans nos bras, que nous nous caressions les cheveux, que nous nous coiffions. Je sais que cela avait troublé quelques uns de nos camarades de promo. Celui avec lequel j'avais perdu ma virginité me l'avait confié après l'un de nos brouillons de baise mal façonné. Mais pour moi c'était quelque chose de normal. C'était notre côté petites filles affectueuses, une façon d'être encore un peu des jeunes filles jeunes femmes. Sophie était la plus démonstrative d'entre nous. Avec le recul, je me demande si je n'ai pas sciemment fermé les yeux sur l'homosexualité latente de Sophie. Je me demande dans quelle mesure Isa et Soso n'étaient elles pas amantes. Sophie comptait de nombreuses conquêtes masculines, c'était pour moi source de conflit. Aucun ne la méritait. Pour autant, je sais que ces relations n'allaient jamais plus loin que des baisers échangés. Malgré l'amour qui rayonnait d'elle et un physique à damner, elle refusait catégoriquement toute velléité sexuelle de ses prétendants. Et dieu sait qu'elle en avait ! Il y avait celui qui était son cavalier au cours de rock à six temps. Celui à qui elle donnait des leçons de piano. Celui qui prenait le tram avec elle. Celui qui était au bureau du BDE avec elle. Celui qui était moniteur de ski à Chamonix. Celui qui était doctorant en physique nucléaire. Celui qu'elle avait croisé dans la boulangerie au pied de son immeuble. Celui qui collectionnait les pin's. Celui qui s'engageait à devenir pasteur. J'aurais du mal à me souvenir de tout ces celui. Moi qui n'en avait eu qu'un un peu ballot sur cette période, je l'enviais ma Sophie.
Puis vint la fin de nos études et de nos insouciances. J'avais trouvé un premier poste dans une petite ville dromoise. Elle avait continué ces études une année de plus sur Lyon. Nous ne nous étions pas vue depuis plusieurs mois mais restions en contact grâce à ce que la généralisation progressive d'Internet et du mail nous apportait au compte goutte. J'avais pris une journée de congés pour passer quelques heures du jour et une nuit avec elle. Elle m'avait parlé avec enthousiasme de sa découverte de l'Opéra. J'avais envie de découvrir cela. Un opéra réputé, dans une très grande ville, à un prix ridicule, avec ma Soso !! C'était magique. L'enfant et les sortilèges.A la sortie de l'Opéra, nous étions comme des fofolles en attendant le métro qui nous ramènerait d'un jet au sommet de la Croix Rousse. Nous chantions, nous dansions, nous étions des soleils dans la nuit et c'était beau, et c'était bon. Je la faisais rire aux éclats et elle se blotissait dans mes bras avec un sourire béat. Nous nous étions souvent déshabillées l'une devant l'autre, pourtant cette fois ci, lorsque nous nous sommes préparées à glisser sous l'épais édredon , héritage de sa famille savoyarde, il y avait cette fois entre nous comme une gêne à nous offrir au regard de l'autre. La lumière fut vite éteinte. J'avais envie d'elle. C'était indéniable. Mais paradoxalement, alors que nous nous calinions toutes ingénues quelques minutes avant dans le métro, là cela me semblait impossible. J'avais envie d'une femme, de Sophie, de ma Soso, de ma meilleure amie. J'avais envie d'elle. Je me sentais paralysée. La lumière était éteinte, aucune de nous ne parlait, ne bougeait. Ma respiration se faisait difficile et mon cœur perdait la mesure. N'importe quoi ce cœur ! Un coup lent, cinq coups rapides, trois lents, deux courts, un long. Et mes pensées, une vraie pelote de laine qui me ramenait toujours à cette envie. Cette envie de me déshabiller, d'enlever ma culotte et ma chemise de nuit, de faire de même avec les siennes, de coller mon corps contre le sien et de l'embrasser si délicatement qu'un flocon de neige n'aurait pas fondu de pareille caresse.
C'est sa main qui est venue glisser sur ma taille, sa bouche qui est venue souffler à mon oreille ces quelques mots, "Malya, petit saphir à la peau bleutée, laisse moi t'aimer, mon Saphir. Jolie pierre sombre". Ma Sophie, ma Sapho, non seulement je me suis laissait aimé, mais je t'ai aimée comme aucune femme jusqu'à ce jour. La nuit fut noyée d'émotion, de soupirs et de râles. Je me souviens des cris de plaisir que tu m'as arrachés par la seule caresse de ta langue glissant dans le sillon de mes fesses. Je me souviens lorsqu'une dernière jouissance a fini par t'emporter. Tu étais sur moi, à califourchon, ma main était posée sur mon pubis, tu frottais ton sexe contre ma main, tes deux mains appuyées sur mes seins. Je te regardais à la lueur de la ville, distinguant ta peau diaphane comme un miroir opale et magique. Le plaisir t'a emporté loin, tu ne bougeais plus, dans cette position verticale, toujours assise sur moi, j'ai posé ma main libre sur ta poitrine, ton cœur battait la chamade, nous étions toutes deux transpirantes, et c'est ainsi que tu t'es allongée sur moi et que le sommeil a fini par nous engloutir. Le lendemain, je ne t'ai pas vu partir à la fac. Ta journée commençait tôt, moi j'avais prévu de flâner dans les rues lyonnaises avant de prendre le train à Perrache pour rentrer sur Valence et sauter dans un bus pour la Drôme provençale. Je devais rêver de nos amours à foison, j'imagine, pour ne rien entendre de ton départ. Tu m'avais laissé un mot. La jeune femme papillon s'envolait une fois de plus. "Restons celles que nous avons toujours été, oublions cette nuit". Ma Sophie, ma Sapho, j'aurais dû lutter contre ça. Au lieu de ça, je me suis soumise à ton voeu, nous n'en avons jamais plus reparlé. Nos liens se sont distendus jusqu'à se rompre totalement en silence. La dernière fois que je t'avais vu c'était à mon mariage. Nous nous sommes engueulées par ce que tu me reprochais de ne t'avoir pas remercier de tout ce que tu avais fait pour moi ce jour là. J'en fus meurtrie et interditese. J'avais tellement d'autres choses à penser ! Je n'ai plus eu aucune de tes nouvelles depuis. Jusqu'à hier où nous nous sommes croisées par hasard dans un TER qui nous conduisait toutes deux de Lyon vers Grenoble. Tu m'as dit en me serrant fort contre toi, avant que nous ne nous séparions sur le quai de la station de tramway, " tu n'as pas changé mon Saphir, tu es toujours aussi belle et sensible". Je t'ai répondu "Ne nous perdons pas cette fois ma Sapho". Nous avons convenu de passer la prochaine nuit ensemble, nous envolerons nous cette fois ensemble ?

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